Sous la domination allemande (3) – Chronique 106

Juil 16, 2015 | Union européenne

Provoquée par la victoire de Syriza, la crise de la zone euro a confirmé le destin de la social-démocratie ouest-européenne et des « socialistes » français : se fondre dans l’oligarchie et respecter en tous points les intérêts de l’Allemagne. Président du Parlement européen, Martin Schulz (1) souhaitait la formation d’un « gouvernement de technocrates » en cas de victoire du Oui au référendum du 5 juillet. Président du Parti social-démocrate allemand, Sigmar Gabriel avait dénoncé l’attitude d’Alexis Tsipras, lui reprochant d’avoir « coupé les derniers ponts » entre la Grèce et l’Union européenne. Président de l’Eurogroupe, ministre des Finances néerlandais et membre du Parti travailliste des Pays-Bas, Jeroen Dijsselbloem s’était manifesté comme maître-chanteur au service d’Angela Merkel (2) en menaçant Yannis Varoufakis lors des négociations : « Soit vous signez le mémorandum, soit votre économie va s’effondrer. Comment ? Nous allons faire tomber vos banques ». Mené par la Banque centrale européenne, le coup de force a eu lieu.

Les « socialistes » français ont confirmé leur tradition de servilité et les « frondeurs » ont démontré, en votant pour le mémorandum ou en choisissant de s’abstenir, qu’ils ne valaient pas mieux que leurs petits camarades.

Pour la France, pour l’Europe de l’Ouest, quelles leçons tirer de la victoire des oligarchies nationales sous commandement allemand ?

Entre l’eurocratie et ses oppositions, la confrontation s’est durcie. La puissance des gouvernances oligarchiques appuyées par toutes les forces capitalistes était connue : leur violence a surpris le gouvernement grec et choqué partout en Europe ceux qui croyaient aux vertus de la négociation en vue d’une autre gestion de la zone euro et d’une Union européenne transformée par l’alliance des gauches européennes. Conclusion : il n’y a pas de compromis possible avec des puissances qui sont décidées à détruire toute volonté et toute velléité de résistance (3).

Cette volonté de fer s’exerce avec une pleine efficacité parce que les oppositions sont dispersées et profondément divisées. Le Parti de gauche mélange l’inconséquence – quant à l’euro – et le sectarisme, les Verts sont fédéralistes européens, le Parti communiste est dans la dépendance du Parti socialiste et chacune de ces formations cherche avant tout son salut par elle-même. Le parti de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, mène une campagne résolue contre l’euro mais reste isolé faute d’accord avec des formations de gauche telles que le MRC et le Parti de l’Emancipation populaire. Le Front national – j’y reviendrai dans une autre chronique –  est dans l’incapacité de rassembler les ennemis de l’oligarchie en raison de son nationalisme xénophobe. Ce parti conduirait, s’il accédait au pouvoir, à une impasse pire que celle dans laquelle l’aide droite de Syriza s’est fourvoyée.

Pourtant, il n’y pas d’autre solution que le rassemblement patriotique pour la conquête du pouvoir avec comme premier objectif la mise à mort de la zone euro : telle est la condition du rétablissement de la souveraineté nationale face à l’impérium allemand et aux traités qu’il utilise. Le programme commun de ce rassemblement existe depuis des années et Syriza avait montré en janvier dernier qu’un gouvernement de rupture pouvait et devait s’appuyer sur un parti classé à gauche et sur un autre classé à droite. Malgré la brutalité de Berlin, malgré les campagnes de haine menées par certains journaux d’Outre-Rhin, malgré les obsessions monétaires d’une partie de la population allemande, il est souhaitable que ce rassemblement évite de tomber dans la xénophobie anti-allemande. Le gouvernement allemand doit être ramené à la raison par la dévaluation et par le protectionnisme. Il faut en outre souhaiter que les Allemands victimes de l’austérité retrouvent la tradition révolutionnaire qui était si vive avant 1933. Les mouvements de grève qui ont eu lieu ces derniers mois sont à cet égard un léger signe d’espoir.

Dans une Europe du sud tourmentée, la France reste atone. Les dernières grandes manifestations syndicales remontent à 2010, les machines politiciennes tournent à vide et l’armée de réserve de ceux qui s’abstiennent de participer à la vie politique a pris des proportions considérables. C’est le contraire d’une armée mexicaine : beaucoup de soldats, pas de général en chef, de l’entraînement au combat sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas rien, un « intellectuel collectif » s’est créé et n’attend plus que celui ou celle qui saura le lancer dans la bataille face aux partis de droite et de gauche qui sont des survivances de l’histoire du 20ème siècle. Syriza en Grèce et Podemos en Espagne esquissent les formations de type nouveau qui doivent gagner très vite en cohérence et en dureté. Il ne s’agit pas de créer un « Podemos français » mais d’inventer une nouvelle force politique qui puisera dans notre histoire et saisira ce qui a déjà été pensé pour l’avenir de la France et de l’ensemble du continent européen.

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(1)    Au Parlement Européen, Manolis Glezos, héros de la Résistance grecque, avait répondu aux outrages de Martin Schulz, en citant Euripide et Thomas d’Aquin : «Πρῶτον μὲν ἤρξω τοῦ λόγου ψευδῶς, ξένε, ζητῶν τύραννον ἐνθάδ᾽· οὐ γὰρ ἄρχεται ἑνὸς πρὸς ἀνδρὸς ἀλλ᾽ ἐλευθέρα πόλις. δῆμος δ᾽ ἀνάσσει διαδοχαῖσιν ἐν μέρει ἐνιαυσίαισιν, οὐχὶ τῷ πλούτῳ διδοὺς τὸ πλεῖστον ἀλλὰ χὠ πένης ἔχων ἴσον».

« Étranger, tu as débuté par une erreur, en cherchant un tyran dans ces lieux. Cette ville ne dépend pas d’un seul homme, elle est libre ; le peuple y commande à son tour, et les magistrats s’y renouvellent tous les ans; la prépondérance n’y appartient pas à la richesse, et le pauvre y possède des droits égaux ». Euripide, Les Suppliantes. Traduction française : M. Artaud.

« Timeo hominem unius libri » – « Je crains l’homme d’un seul livre. Thomas d’Aquin

(2)    Cf. Romaric Godin : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/jeroen-dijsselbloem-le-zele-allie-de-wolfgang-schauble-recompense-492277.html

(3)    Nous pouvons le dire en grec, pour rappeler notre dette intellectuelle : face à l’hubris (la démesure) allemande, la métis (la ruse) des Grecs a été déjouée et le peuple voué à la servitude.

 

 

 

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