Après le sommet européen de Bruxelles, faut-il dénoncer la trahison de François Hollande ? Pour que le mot convienne, il faudrait que le président de la République ait brusquement abandonné des positions fermement tenues et solidement argumentées. Tel n’est pas le cas. L’élite au pouvoir se trouve dans un bain idéologique qui n’a pas varié depuis le tournant de la rigueur en 1983. En langue de bois, cela s’appelle le « choix de l’Europe » comme dépassement fédéraliste des nations. Pour les socialistes, c’était une manière de compenser un internationalisme dévoyé par le stalinisme – sans s’avouer que leur choix européiste impliquait l’absorption de l’ultralibéralisme sur fond de sauce atlantiste.

Les justifications des socialistes ne valaient pas mieux que celles avancées par la droite libérale, mais l’arrogance et l’inculture historique de cette gauche lui permettaient de croire en cette mythologie pauvre qui servit de fondement à l’euro… François Hollande et ses amis reviennent dans une zone euro dévastée, où l’on n’a cessé de mentir à soi-même et aux autres. Mensonge d’une « monnaie unique » qui n’est pas l’unique monnaie de l’Union européenne. Mensonge d’une «intégration européenne» qui n’a jamais été autre chose qu’une somme de compromis entre intérêts nationaux. Mensonges statistiques parmi lesquels la mise en relation de la dette à long terme et du PIB annuel. Mensonges, innombrables, sur le sens des sacrifices imposés avec une violence croissante aux peuples des différentes nations – y compris le peuple allemand.

François Hollande, Laurent Fabius et maints conseillers du gouvernement savent que la zone euro est perdue. Pendant combien de temps accepteront-ils de perpétuer le système de mensonges dans lequel ils évoluent ?

Cette question, si elle venait à leurs oreilles, leur paraîtrait intolérable car il y a chez eux des bribes de vérités – oui, il faut construire l’Europe mais autrement – une part d’autosuggestion et l’attente d’un miracle qui surgirait, tel un génie de sa boîte, des recettes de madame Merkel. Il n’empêche ! Les mensonges qu’ils répercutent à tous vents forment un système inerte et précaire qui isole les dirigeants socialistes du peuple qui leur a accordé une confiance très mesurée. Les Français savent déjà ou ne tarderont pas à se rendre compte que le plan de relance de 120 milliards – illusion comptable – sera sans effet sur la croissance puisque le Pacte budgétaire va instituer une rigueur qui a partout échoué. Lorsqu’il sera avéré que le « changement » promis aggrave la régression industrielle et la souffrance sociale, les socialistes ne pourront pas repousser les accusations de trahison et la vague de colère qui risque de les submerger.

Nous ne souhaitons pas de nouvelles épreuves de force mais, en l’affaire, nos souhaits n’ont pas d’importance. « Le mensonge n’empêche pas la vérité, mais il empêche l’homme d’en être l’annonciateur et le bon conducteur… », écrit Vladimir Jankélévitch (1). Les dirigeants socialistes refusent de prendre la responsabilité d’annoncer la fin de l’euro et de conduire une politique de redressement et de développement qui sera nationale. Pour leur défense, ils réciteront le conte bleu de la France qui trouve son salut dans « plus d’Europe » au mépris de l’affligeante réalité : l’empilement des traités européens aboutit à l’institution d’une cour de discipline budgétaire présidée par Berlin et administrée par Bruxelles, avec pour seule perspective la déflation qui favorise les extrêmes.

Il est nécessaire, pour la France et pour eux-mêmes, qu’ils reconnaissent publiquement la vérité désormais connue : l’euro a été une erreur tragique et les traités européens marquent une progression dans l’impasse. D’innombrables Français de gauche et de droite salueraient cet acte de courage et si un nouveau projet national était immédiatement annoncé, ils se mobiliseraient sans plus songer à demander raison des fourvoiements passés. Le président de la République ne peut pas ignorer qu’une politique cohérente de sortie de l’euro a été tracée dans une série de notes, de rapports et de déclarations publiques. Il a, pleine et entière, la liberté de choisir.

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(1)Cf. Les vertus de l’amour, tome I, p. 204, Flammarion, 1986.

Editorial du numéro 1017 de « Royaliste » – 2012

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1 Commentaire

  1. Nico

    Je partage complètement votre analyse, mais pensez vous que la génération Hollande-Aubry, biberonnée aux fausses promesses d’Europe sociale de Delors, sera capable d’un colossal retour critique sur elle-même, et de reconnaître qu’entre Delors-Mitterrand et Séguin-Chevènement, ce sont les seconds qui avaient tout prévu en 92 ?
    Je cite un seul extrait du discours de Séguin en mai 92, qui me semble en accord avec ce que vous dites du « fédéralisme » germano-bruxellois qui se dessine :

    « Que l’on ne s’y trompe pas la logique du processus de l’engrenage économique et politique mis au point à Maastricht est celle d’un fédéralisme au rabais fonda­mentalement anti-démocratique, faussement libéral et résolument technocratique.
    Il ne comporte même pas, en effet – ce serait, après tout, un moindre mal – les garanties du fédéralisme. Car le pouvoir qu’on enlève au peuple, aucun autre peuple ni aucune réunion de peuples n’en hérite. Ce sont des technocrates désignés et contrôlés encore moins démocratiquement qu’auparavant qui en bénéficient et le déficit démocratique, tare originelle de la construction européenne, s’en trouve aggravé. »
    D’autres extraits notamment sur la monnaie unique ici : http://blogdenico.fr/?p=1782