Trahison de gauche

Jan 18, 2009 | Res Publica

Les socialistes désignent comme « traître » Eric Besson, ancien secrétaire national du Parti socialiste, devenu secrétaire d’Etat en 2007 et depuis peu promu ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire en remplacement de Brice Hortefeux. Le nouveau ministre, qui avait naguère dénoncé la politique sarkozienne de l’immigration, s’est empressé de déclarer qu’il respecterait « scrupuleusement » la ligne fixée par le supposé président.

Ainsi, Eric Besson a trahi ses principes, ses engagements, ses camarades. Il n’y pas lieu d’insister sur ce point pour une raison aussi simple que désagréable à entendre : l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Ce transfuge n’est pas un cas isolé. Il y a une trahison de gauche sur laquelle les socialistes de toutes obédiences devraient s’interroger pour repartir du bon pied. Je ne me pose pas en procureur : toute famille politique doit être lucide sur elle-même, liquider la part insupportable de son histoire et reconnaître les erreurs, les fautes et les compromissions du passé proche. Ce travail critique n’a jamais été entrepris au Parti socialiste. Evoqué de temps à autre, l’ « inventaire » masque des règlements de comptes et des opérations d’autojustification qui permettent d’éviter les questions décisives.

Questions sur l’histoire de la gauche : comment des humanistes, des démocrates, des antiracistes, des socialistes, des syndicalistes, des anarchistes, des intellectuels antifascistes ont-ils pu rallier aussi massivement le camp de la Collaboration ? Comment le pacifisme est-il devenu « vecteur principal de collaboration » comme le démontre Simon Epstein ? Son livre (1) a été étouffé alors qu’il aurait dû provoquer un choc salutaire. En cherchant à protéger leur pureté historique, en affectant de croire que les traîtres des années quarante – Marcel Déat, René Belin – furent d’incompréhensibles exceptions, les socialistes et les intellectuels de gauche misent sur l’ignorance et l’oubli. Ce pari est d’ores et déjà perdu. Les travaux de Simon Epstein feront leur chemin et les socialistes finiront par être accusés de ce qu’ils reprochent aux autres : mensonge historique, imposture, complicité, censure. Un dur travail de mémoire serait libérateur – nous le savons d’expérience.

Question sur le temps présent : quelles sont les conditions politiques et sociologiques qui ont rendu possible la trahison d’Eric Besson et de quelques autres ? Si le Parti socialiste avait eu une pensée cohérente et forte, élaborée dans la fidélité à Jean Jaurès et à Léon Blum, les reniements auraient-ils été aussi faciles ? L’histoire de la gauche prouve que l’idéologie n’empêche pas les dérives et les reniements. Mais les états d’âme des actuels transfuges ont été d’autant moins douloureux que les dirigeants socialistes avaient donné le mauvais exemple : ralliés à la vulgate néo-libérale, ils ont accepté de constituer l’aile gauche de l’oligarchie. Ils partageaient – ils partagent toujours – avec son aile droite des éléments très appréciables de confort ; ils jouissaient de la considération des directeurs de banque et des affairistes à la mode ; ils pratiquaient avec arrogance leur « pragmatisme » quotidien. Somme toute, Eric Besson est un traître de troisième ordre. Dans la dérive, il est allé un peu plus loin que son parti mais il n’a pas renié sa classe sociale, ni abjuré sa foi pragmatique. Il a tout simplement adapté aux circonstances quelques-unes de ses positions. N’en doutons pas : c’est avec une sensibilité de gauche qu’il fera le sale boulot sur l’immigration.

Question sur le proche avenir : les dirigeants socialistes vont-ils tirer la leçon de leurs déconvenues et rompre avec l’oligarchie ? Si cette rupture se produisait, comment pourraient-ils tolérer que Dominique Strauss-Kahn viennent siéger parmi eux et tenter de devenir le premier d’entre eux – comme s’il n’avait pas été l’un des hommes-clés du système ultralibéral en voie d’effondrement ?

Le Parti socialiste peut encore devenir un parti d’opposition. Ses réponses nous intéressent au plus haut point.

 

***

 

(1) Simon Epstein, Un paradoxe français, Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Albin Michel, 2008. Cf. l’entretien qu’il nous a accordé, Royaliste n° 936.

 

 

 

Editorial du numéro 940 de « Royaliste » – 2009


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