Traité de Nice : l’échec des Quinze

Déc 3, 2000 | Union européenne

Ecrit plusieurs jours avant l’ouverture du sommet de Nice (1), cet article sera lu lorsque les Quinze auront achevé leurs travaux. Pourtant, je ne prends aucun risque en affirmant que l’Union européenne se trouve dans une impasse dont elle ne peut sortir sans se remettre fondamentalement en question.

Dès lors, peu importe la manière dont cet échec total sera masqué, délicatement enrobé, avoué à demi, reconnu mais différé dans ses conséquences pratiques par une nouvelle fuite en avant : l’addition des conférences intergouvernementales et la superposition des traités (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice) dit bien que nous sommes entrés dans la phase de répétition hallucinée et mortifère. La seule interrogation qui demeure porte sur la date d’un effondrement inéluctable dont il faut rappeler les causes principales :

1) L’absurdité du modèle implicite de la fédération intégrant et dépassant les nations. Ou bien le pouvoir fédérateur utilise une coercition insupportable à la longue, ou bien ce pouvoir est faible et la fédération se constitue virtuellement avant de se défaire plus ou moins violemment. Les Quinze veulent l’impossible : une union sans pouvoir politique capable de la faire exister. N’oublions pas que l’Ouest européen s’est uni sous la férule américaine contre l’Est européen, et que le traité de Maastricht a été fait pour encadrer l’Allemagne à nouveau unifiée. Deux réactions négatives ne sont pas un projet commun.

2) L’erreur originelle sur la méthode. Les européistes ont cru que l’intégration économique puis l’union unique engendreraient naturellement la supranationalité politique. C’est au contraire la souveraineté politique qui crée la monnaie, et c’est le pouvoir politique qui assure les échanges marchands et qui garantit les coopérations nécessaires.

3) La contradiction totale entre l’idéologie libérale qui inspire l’ensemble des gouvernements européens, et l’idée même d’une construction européenne. Dans son principe absolu, la concurrence déconstruit et détruit. Telle est bien la ligne générale, obstinément suivie : déréglementer les systèmes protecteurs, démanteler les monopoles publics et les entreprises nationalisées, désorganiser et désorienter en chaque pays la puissance publique.

4) L’opposition radicale entre l’Europe politique dont on rêve et la dépolitisation effective des organes plus ou moins chargés de prendre des décisions : la Banque centrale européenne, les Agences de contrôle et de régulation. A quoi s’ajoute la confusion institutionnelle et juridique engendrée par la coexistence problématique du Conseil européen, du Conseil des ministres, de la Commission, du Parlement de Strasbourg, de la Cour européenne de justice.

5) Le mensonge éhonté qui consiste à prôner en termes fleuris l’Europe politique approfondie et élargie alors que les milieux dirigeants veulent seulement perpétuer les relations économiques et financières entre les Etats-Unis et les principes puissances de l’Ouest européen. La composition de la Commission et la pondération des voix au sein du Conseil des ministres européens sont des sujets importants, mais somme toute secondaires : quant aux alliances industrielles, quant aux flux financiers, les petits pays comptent pour rien.

6) L’antinomie effectivement entre l’exigence démocratique des peuples européen et le despotisme bureaucratique qui se manifeste à Bruxelles sous la forme d’une Commission discréditée en raison de sa corruption, de son irresponsabilité, de son inefficacité et de ses mensonges – criminels dans l’affaire de la « vache folle ».

Les autres échecs, patents, sont la conséquence de ce qui précède. La monnaie unique ? Les Danois, les Anglais, les Suédois n’en veulent pas. L’Europe sociale ? Quoi qu’ils en disent aujourd’hui, les décisions prises par les Quinze à Lisbonne en sont la négation. La Charte européenne ? C’est une accumulation de redites, complétées par des déclarations minimalistes et scandaleuses (la libre circulation des capitaux). Le sommet de Nice ? Le résultat des affrontements, des marchandages, des chantages, des compromis boiteux et toujours révisables entre des Etats qui cherchent plus ou moins à préserver des intérêts nationaux.

La nation. C’est sur cette réalité qu’il faudra fonder une Europe digne de ce nom.

***

(1) La Nouvelle Action royaliste appelle ses militants et sympathisants à manifester à Nice aux côtés des organisations démocratiques de résistance à l’ultralibéralisme.

 

Article publié dans le numéro 761 de « Royaliste » – 2000

 

Partagez

0 commentaires