Transnationales : prédation sans frontières

Déc 14, 2014 | Union européenne

La réalité du pouvoir échappe aux Etats nationaux et même aux organes de l’Union européenne : ce sont les grandes firmes privées, surtout américaines, qui influent de façon décisive sur les dirigeants politiques.

Il faut, encore et toujours, refuser les théories du complot aujourd’hui surabondantes sans pour autant négliger les opérations discrètes ou secrètes par lesquelles divers groupes capitalistes tentent de faire prévaloir leurs propres intérêts.

Comme il n’y a pas, dans le monde des affaires, de secrets qui ne se puissent percer, un minutieux travail de décryptage et de dévoilement permet d’informer les citoyens sur ce qui se trame en leur nom et sur leur dos. Présidente d’honneur d’Attac-France et présidente du conseil du Transnational Institute d’Amsterdam, Susan George excelle dans cette tâche salutaire qu’elle explique dans un récent ouvrage (1). Ses informations sont d’autant plus solides qu’elle s’appuie sur les travaux de maintes organisations en lutte contre les groupes de pression- les lobbies que nous avons, pour notre part, tant de mal à repérer.

L’ONU, le FMI, la BCE, nous savons ce que c’est. Mais qui connaît l’organisation et les missions de l’IASB (Bureau international des normes comptables), de l’ILSI (Institut international des sciences du vivant), de l’USCC (Chambre de commerce des Etats-Unis), de BusinessEurope qui est l’association patronale de l’Union européenne ? Ce sont des ONG d’un genre particulier, soutenues et financées par les firmes d’un secteur ou d’un pays, qui peuvent mobiliser des sommes considérables pour séduire et finalement convaincre les hauts fonctionnaires, les ministres, les chefs d’Etat de respecter les desiderata des entreprises transnationales (ETN) quant aux lois et aux normes.

En 2009 et 2010, le chiffre d’affaires des agences américaines spécialisées dans l’influence s’élevait à 3,5 milliards de dollars et restait au-dessus de 3 milliards en 2013. Susan George souligne que « depuis le milieu des années 1980, enhardies par l’essor du néolibéralisme, les principales ETN américaines dans le secteur de la banque, des assurances et de la comptabilité ont réuni leurs forces, employé près de 3 000 lobbyistes et dépensé quelque 5 milliards de dollars pour se débarrasser d’une douzaine de lois introduites par l’administration Roosevelt dans les années 1930, dans le cadre du New Deal : des lois qui, pendant près de soixante ans, avaient servi de garde-fou à l’économie américaine »… notamment le Glass-Steagall Act dont l’abrogation a favorisé la dernière crise financière.

Il va sans dire que l’Union européenne est frappée du même fléau : en 2013, le Parlement de Bruxelles recensait 5 700 groupes de pression de toute nature et l’on estime que 10 000 à 15 000 lobbyistes sont en relation permanente avec les députés, fonctionnaires et commissaires européens pour défendre les banques, les marchands de tabac, de médicaments, de produits alimentaires lourdement chargés en substances dangereuses. Face à cette gigantesque entreprise d’intimidation et de corruption, devinez le poids des citoyens qui vont, de temps à autre, manifester leur mécontentement dans les rues de la capitale belge… Et devinez le poids des électeurs dans les tractations qui aboutissent à la rédaction des normes et des directives européennes…

Les groupes de pression sont en train de détruire sans bruit la démocratie car les gouvernements sont peuplés d’hommes et de femmes qui ont mille fois plus de considération pour les propagandistes des laboratoires pharmaceutiques et des pétroliers que pour leurs électeurs. L’exemple le plus criant est celui des négociations transatlantiques que Susan George analyse avec précision sans perdre son sens de la pédagogie.

Nous savons peu de choses du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Assez cependant pour nous inquiéter. Il ne s’agit pas vraiment d’un accord de libre-échange mais plutôt d’une charte des libertés des entreprises transnationales désireuses de s’affranchir de leurs responsabilités sociales et écologiques. Susan George explique les dangers qui pèsent sur notre alimentation, sur notre santé, sur le climat et sur les Etats puisqu’il est prévu que les conflits entre les entreprises et les Etats souverains seront portés devant une cour d’arbitrage privée qui sera certainement acquise aux principes de l’ultra-concurrence. L’exemple de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) est à cet égard frappant : en subventionnant leurs exportations de maïs vers le Mexique, les Etats-Unis ont ruiné deux millions d’exploitants mexicains et l’implantation de Walmart, qui vend ce qu’elle fait fabriquer à bas prix en Chine, a détruit 28 000 petites entreprises mexicaines. Les promesses du TTIP en matière de croissance et d’emplois sonnent déjà comme autant de mensonges.

Susan George appelle à la mobilisation contre les prédateurs qui font la loi à Davos et qui ne cessent de gagner en influence au sein des institutions de l’ONU. Dans la tradition d’Attac, elle appelle à rejoindre les associations engagées dans la bataille, qui font un remarquable travail d’information et qui multiplient les actions de harcèlement en vue de briser le mur du secret. Il faut aussi préparer les décisions politiques qui permettront aux Etats nationaux de retrouver leur liberté d’action : la nationalisation des secteurs-clés et la protection tarifaire et non-tarifaire des activités nationales figurent parmi les moyens indispensables de notre  reconquête de la démocratie.

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(1)   Susan George, Les usurpateurs, Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Seuil, 2014.

Article publié dans le numéro 1068 de « Royaliste » – 2014

 

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