Ukraine : quand il faut dire non (Luc de Goustine)

Avr 27, 2014 | Billet invité | 10 commentaires

J’accueille avec plaisir sur ce blog les réflexions de Luc de Goustine, écrivain et journaliste, membre du Comité directeur de la Nouvelle Action royaliste.

Après trois semaines d’embrouillaminis propagandistes, la cause est entendue quant à l’Ukraine : la crise internationale déclenchée à la faveur de ses troubles intérieurs n’a rien qui la concerne. Elle n’en est que le prétexte, car sur les braises de ce pays à l’unité mal dégrossie, il faut bien que des intervenants extérieurs aient puissamment soufflé pour qu’il devienne l’enjeu d’une confrontation entre l’Europe, les Etats-Unis d’Amérique et la Russie.

Le boutefeu immédiat fut, comme on le sait, l’Union européenne tendant à Kiev le miroir aux alouettes d’une adhésion à court ou moyen terme. Ce pays n’avait ni l’intérêt ni les moyens de la désirer alors que son voisinage industriel, commercial et monétaire avec la Russie comme ses affinités historiques avec l’Autriche-Hongrie et la Pologne le prédisposaient à être une « marche » unissant l’est à l’ouest du continent.

Mais l’instigateur de cette manœuvre, persévérant à tisser ses alliances et à poster ses forces militaires aux portes de l’ancien empire soviétique, est évidemment la puissance déclinante des Etats-Unis, sous couvert d’une OTAN à laquelle les principales nations d’Europe ont paresseusement délégué leur défense ou, comme la France depuis Sarkozy, se sont par clientélisme atlantiste ré-asservies.

Il a suffi que le chef d’Etat Ianoukovitch – diabolisé à l’Ouest alors qu’il était aussi médiocrement corrompu que ses prédécesseurs et voisins – prenne soudain conscience des servitudes économiques qu’entraînerait une candidature à Bruxelles et s’y dérobe, pour que ses opposants le renversent et le remplacent. Coup d’Etat superbement héroïsé par la rumeur occidentale, pourtant assez conservatrice pour museler ses propres contestataires. Inutile de gloser sur la qualité du gouvernement dit de transition, qui réunit à Kiev un gratin d’affairistes et de national-populistes aux relents fangeux, ni sur l’assiduité des visites que rendent chaque jour les ministres des affaires étrangères de toute l’Europe, voire le vice-président de l’Amérique en personne, à une Place Maïdan érigée en Mecque de la démocratie.

Tout ce charivari aurait des couleurs d’opérette si les sanctions économiques décrétées envers la Russie, les bruits de bottes aux frontières, l’afflux de commandos étrangers de part et d’autre et le risque d’affrontement que font planer les armes distribuées, les blindés en manoeuvre, voire les missiles, avions et satellites espions environnant ce champ de bataille virtuel ne menaçaient de prendre toute l’épaisseur hideuse d’une bonne vieille guerre.

C’est là qu’il faut dire non. Et savoir pourquoi et avec qui.

Pas question ici d’un pacifisme béat qui interdise le plein emploi des moyens politiques, auxquels doivent concourir, qu’on le veuille ou non, les forces militaires. En revanche, refus radical d’un comportement agressif alors que la guerre qui en résulterait ne serait ni juste, ni motivée, et ne serait surtout en aucun cas la nôtre.

Parce que la politique poursuivie, tant européenne qu’américaine, est radicalement contraire à celle que la France a coutume et vocation de promouvoir à la face du monde, et qu’elle heurte aussi bien nos idéaux les plus hauts que nos intérêts les plus concrets.

L’état de l’Europe jusqu’à l’Oural – tel qu’il a résulté de l’effondrement de l’URSS totalitaire et de la recomposition de la Russie – commande de la part des nations de l’Ouest une diplomatie globale diamétralement inverse de celle qui résulte de la manipulation par l’Alliance atlantique d’une Union européenne devenue une sphère oligarco-bureaucratique sans inspiration ni projet.

L’autre politique existe, inscrite dans les gènes du Quai d’Orsay pour ainsi dire « depuis des siècles », et n’attend qu’une bouffée de liberté pour s’accomplir. Voilà pourquoi il faut dire non et le dire vite, pendant que les conditions politico-sociales sont réunies pour motiver une large coalition de convictions à ce sujet.

Avec qui ? Il faut savoir le dire et ne pas hésiter à le faire savoir. C’est sans doute la première fois depuis 1945 que se présente une conjoncture où, de la droite à la gauche, une majorité de citoyens peut s’unir pour assurer la survie et l’avenir de la nation.

Refuser l’attitude qui accrédite la fatalité d’un affrontement dans un environnement propagandiste tel que celui qui sévit actuellement en Europe, et le faire au nom d’un projet politique fort et partagé, c’est, de tous horizons, rejoindre l’attitude du CNR. Pour que renaisse une résistance politique nationale face à une dictature de lâches, tentés par une nouvelle forme de collaboration.

Luc de GOUSTINE

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10 Commentaires

  1. OLIVIER COMTE

    L’ intérêt et le génie de la France se rencontrent souvent.
    Aujourd’hui, notre devoir moral est évident.

    L’ Europe est notre héritage commun, non une obligation bureaucratique plaquée sur notre histoire.
    La force des royalistes est de connaître et reconnaître les leçons de l’ histoire qui semblent ensevelies parmi les tombes des gaullistes et des communistes.

    La « bouffée de liberté » heureusement invoquée par Luc de
    Goustine peut devenir un cri de ralliement.

  2. Jean-Gilbert de Custine

    Les services russes et leurs sbires sont présents en Ukraine pour provoquer les pro-Kiev et semer le chaos. La chanson est connue. Les Russes ne veulent pas de l’élection du 25 mai. Partout la même stratégie en Ossétie, Abkhasie, Transnistrie, Crimée, et bientôt Ukraine orientale. Cela finira par un conflit généralisé si on refait un Munich de lâcheté et d’abandon. L’agresseur sera toujours plus encouragé pour aller plus loin. Et je ne parle pas de la Chine en Asie, des Iraniens au Moyen-Orient, des Pakistanais au Cachemire etc… qui se sentiront pousser des ailes si l’OTAN recule face à la Russie. A un moment donné, les USA devront réagir et il y aura un gros clash entre un Poutine qui aura fait le mouvement de trop et Obama qui ne voudra pas être humilié avant les élections du mid-term de novembre.

    C’est pourquoi il va bien falloir réagir autrement qu’avec des sanctions économiques face à l’agressivité russe. Il va falloir faire pression sur les Russes pour les amener à la table de négociation. Je parle d’une vraie pression militaire. Pourquoi ne pas menacer de blocus l’enclave de Kaliningrad par exemple et y masser des troupes autour par exemple ?

    Il ne faut pas recommencer l’erreur qui a été de ne pas réagir au réarmement de la Ruhr par Hitler et ensuite de le laisser faire. Plus on attend et plus le clash final sera violent et proliférant.

  3. Catherine d'Eu

    « La Russie justifie son action en prenant prétexte de cas où le droit international aurait été violé par les Occidentaux durant les vingt dernières années : guerre du Kosovo, invasion de l’Irak, renversement de Kadhafi en Libye, menaces de bombardements en Syrie, etc. La vérité est que l’agression d’un pays tiers pour lui ravir une partie de son territoire, alors même que la Russie, puissance nucléaire, était garante de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par le memorandum de Budapest de 1994, n’a pas de précédent dans l’histoire récente, sinon avec l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Un tel comportement est profondément déstabilisateur pour l’ordre international, pour ses principes, pour le respect des frontières établies. »

  4. Catherine d'Eu

    Ambassadeur de France auprès de l’OSCE (05/05/2014) – idem commentaire précédent :

    « La « prise » de la Crimée par la Russie, puis le soulèvement organisé des régions russophones, minent la stabilité politique du pays, confronté par ailleurs à bien d’autres défis (difficultés économiques, blocages structurels, corruption, mauvaise situation des finances publiques, contentieux gazier avec la Russie). L’objectif des Occidentaux, des Etats-Unis, de l’Union européenne, des institutions financières internationales, est de stabiliser la situation, d’aider l’Ukraine, de réussir la transition politique et la tenue de l’élection présidentielle, d’amorcer un dialogue national pour permettre une réforme constitutionnelle acceptée par tous, de permettre à ce pays de se moderniser, de s’ouvrir et de se réformer, et à ses habitants de vivre en paix et d’améliorer leur situation matérielle, ce qui est leur aspiration de base, quelles que soient leurs origines. »

  5. bouillot

    L’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN, cette dernière n’a pas à protéger un pays qui n’est pas membre de l’alliance.

    Le blocus de Kaliningrad serait un acte de guerre. La seule solution est la partition de l’Ukraine, la zone occidentale rejoignant un jour l’UE et l’OTAN.La zone orientale plus russe se rattachant à la Russie comme la Crimée.

    • Catherine d'Eu

      La prise de la Crimée par les Russes n’est pas un acte de guerre ? Et l’Ossétie, Abkhasie, Transnistrie ? ?? Les actes de guerre ils sont du côté russe et depuis trop longtemps. L’OTAN a le droit de commencer à s’inquiéter et à réagir car où les Russes vont-ils s’arrêter ? les Baltes, membres de l’Otan, hôtes d’une importante communauté russophone, ont le droit de s’en émouvoir.

  6. Catherine d'Eu

    De Jan Fleischhauer, chroniqueur de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel :

    « Même aujourd’hui, beaucoup ont du mal à reconnaître la vraie nature de Poutine qui est actuellement en train de renverser l’ordre de paix européen. Peut-être nous n’avons pas le courage de faire les bonnes comparaisons car elles nous rappellent une époque que nous pensions avoir mis derrière nous. Au sein du parti de gauche Die Linke et d’une partie des sociaux-démocrates de centre-gauche en Allemagne, Poutine est toujours considéré comme un homme moulé dans la tradition des leaders soviétiques qui défendaient une version idéalisée du socialisme. Le vieux réflexe de solidarité est toujours là. C’est basé sur un malentendu, toutefois, parce que Poutine n’est pas post-communiste. Il est post- fasciste.

    La recherche de l’analogie historique correcte devrait se concentrer sur les événements de Rome en 1919 plutôt que sur ceux de Sarajevo en 1914. Ceux qui examinent le monde des chambres d’écho et des métaphores qui accompagnent la pensée de Poutine ne prendront pas beaucoup de temps pour identifier des caractéristiques qui étaient également présentes à la naissance du fascisme. Il y a le culte du corps, la noble rhétorique de l’affirmation de soi, le dénigrement de ses adversaires comme des dégénérés, le mépris pour la démocratie et le parlementarisme occidental, le nationalisme exacerbé.

    A l’extrême droite en Europe, les ennemis de la liberté ont senti dès le début le changement de climat politique. Ils ont immédiatement vu dans Poutine quelqu’un parle qui partage leurs obsessions et leurs aversions. Poutine leur rend la pareille en leur reconnaissant une similarité. « En ce qui concerne la reprise en considération des valeurs dans les pays européens, oui, je suis d’accord que nous assistons à ce processus » a-t-il répondu à son interlocuteur à la télévision, en pointant la victoire de Victor Orban en Hongrie et le succès de Marine Le Pen en France. C’était la seule chose positive qu’il avait à dire dans la totalité d’un entretien de quatre heures. »

  7. OLIVIER COMTE

    Je dois rappeler à ceux qui ont pris la croix contre les infidèles Russes que l’ antifascisme n’ est pas une sorte de breuvage instantané, obtenu par dissolution des lieux communs de la gauche molle et de la vieille droite dans beaucoup d’ eau tiède.

    La Russie est la partenaire privilégiée de la France, contre tous ceux qui entendent abaisser notre pays et soutenir sa dépendance.

    Enfin, je rappelle que suivant les échanges diplomatiques connus comme ACCORD DE CONSTANTINOPLE, les deux puissances belligérantes Grande-Bretagne et France ont garanti l’incorporation dans le territoire Russe des Dardanelles et de Constantinople.

  8. Gérard

    L’Urss n’est plus et la guerre froide est terminée. Ce n’est pas un scoop mais il semble bon de le rappeler tant certains semblent vivre sur des époques parallèles.

    Or pour mener de bonnes analyses – et tenter de justes conclusions – il ne faut pas se tromper d’espace de données. Je remarque beaucoup de commentaires, ici ou ailleurs, qui se fondent sur un ressenti personnel qui se préoccupe peu de creuser les réalités.

    Dire, par exemple, que « Poutine est actuellement en train de renverser l’ordre de paix européen » ne rend pas compte de la réalité du terrain (en tout cas se fonde exclusivement sur le seul épisode criméen, ce qui est un peu court…).

    Comme Luc de Goustine le remarque très justement, ce n’est pas Poutine qui fut le boutefeu mais bien l’Union Européenne (factotum zélé des intérêts de Washington) !

    La Russie considère – pourquoi lui dénier ce droit – qu’elle a une sphère d’influence privilégiée dans laquelle figure l’Ukraine avec qui les liens économiques, historiques, culturels, linguistiques et religieux sont manifestes. En constatant toutefois que l’ouest ukrainien, dont la très remuante Galicie, ne satisfait que très partiellement, voire pas du tout, à chacun de ces critères.

    De nombreux analystes – ceux qui ne sont pas aveuglés par des préjugés ou liés par des attachements partisans – considèrent que la Russie a adopté une stratégie purement défensive depuis que l’empire soviétique – lui, belliqueux et activement déstabilisateur – s’est fissuré puis écroulé à grand fracas.

    Accuser Moscou d’avoir fomenté les troubles en Ukraine pour assurer son emprise sur cette ancienne possession ou pour récupérer la Crimée est une ineptie digne des cafés du commerce. Pourtant cette fable circule le plus sérieusement du monde dans des milieux habituellement plus inspirés.

    Que le Kremlin ait réagi avec promptitude pour préserver ses intérêts, ses ressortissants et une population russophone à 90{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} ne donne pour autant aucun crédit à la thèse de la préméditation.

    D’une certaine manière, Poutine avait plus d’intérêts à avoir à ses côtés une Ukraine alliée et partenaire (en dépit de ses successifs dirigeants, tous plus corrompus les uns que les autres et peu fiables) que de se retrouver, comme dans la situation actuelle, avec une population russophone lui demandant un secours qui lui cause bien des embarras (sur le plan des relations internationales, en particulier).

    Parler de « soulèvement organisé des régions russophones » est une ânerie dont notre diplomatie devrait rougir tant elle s’aligne sur un discours transatlantique vindicatif et « guerrefroidiste » hors de propos.

    Pas besoin d’être travaillées par des «sbires» ni par des «services russes» pour se révolter. Les populations de l’est ont simplement réagi à des mesures intolérables tout autant qu’inquiétantes prises à leur encontre par le gouvernement putschiste de Kiev.

    Ce qui s’est passé ces dernières semaines en la tragique et éclatante démonstration. Le pouvoir de Kiev a envoyé des chars et des milices très lourdement armées (à défaut d’être compétentes).
    Il ne s’agissait même pas de maintien de l’ordre, il s’agissait de se débarrasser des «terroristes» (les discours incendiaires de messieurs Iarosh et Tourtchinov concernant les populations récalcitrantes étaient sans demi mesure).

    On sait ce qu’il en est advenu (tout le monde peut le constater sur les très nombreuses vidéos disponibles sur le Net), les «sbires» de la Garde Nationale tirent sans hésitation sur des populations civiles innocentes et désarmées !

    Ces jours derniers, ce sont des roquettes (« Grad ») qui se sont abattues sur de pauvres habitations de pauvres gens qui n’ont strictement rien à voir avec le moindre terrorisme qui n’existe que dans la rhétorique des idéologues des partis extrémistes associés au pouvoir.

    Sans se prêter à d’indécentes comparaisons de comptabilités macabres, le nombre de morts tués par les “pro-Maïdan” dans l’est du pays dépasse désormais très largement celui de Maïdan (même en y incluant l’effectif des policiers tués) ! Rien qu’à Odessa, le 2 mai, 46 morts officiellement reconnus dans le siège meurtrier de la Maison des Syndicats (asphyxiés, brûlés, tués par balles et des blessés “achevés” ! Sans compter quelques disparus que l’on peine à recenser).

    Il est paradoxal de comparer Poutine à Hitler en usant de métaphores historiques totalement anachroniques et discordantes d’avec la situation réelle, tandis que les véritables néo-nazis (le parti Svoboda, ex-Parti Social Nationaliste d’Ukraine, les différentes factions regroupées sous la bannière du « Secteur droit » de Dmytri Iarosh) ont, eux, des portefeuilles ministériels et occupent des fonctions importantes au sein même du gouvernement !

    S’il y a une comparaison pertinente à effectuer avec la situation des années trente, elle serait beaucoup plus du côté de ces groupements paramilitaires qui ont mené a terme l’insurrection de la place Maïdan (sous la coordination “militaire” d’Andreï Parubyï, désormais chargé de la Sécurité du pays, qui dirigeait les sections d’assaut du Pravyï Sektor…), ont été le fer de lance d’un coup d’état et sont maintenant partie prenante active du gouvernement.

    Il faut également noter, pour ceux qui ne connaissent la question ukrainienne qu’au travers du discours de nos médias, que le parti Svoboda (à côté duquel le FN n’est qu’une aimable réunion de vieilles bourgeoises retraitées et édentées autour de leur thé-gâteaux hebdomadaire) compte plus de trente députés qui font régulièrement le coup de poing dans l’hémicycle, ont évincé leurs opposants et viennent tout dernièrement de chasser les parlementaires communistes. Si tout cela ne rappelle pas les menées des députés nazis au reichstag c’est que les mémoires sont courtes et sélectives !

    Le 12 septembre 1932, en particulier, le gros Gœring, grâce à sa position de président et à un habile tour de passe, fit voter une motion qui lui permit de proclamer la chute du gouvernement Papen. Est-ce que les similitudes avec ce qui s’est passé à la Rada de Kiev, le 22 février dernier, ne sont pas troublantes : des néo-nazis qui proclament la chute du gouvernement légitime, celui de Ianoukovitch, après avoir tripatouillé la constitution avec la complicité active du président du Parlement ?…

    • Bierte

      Vous avez parfaitement raison; tout est dit. Mais la propagande de l’ OTAN, relayée par Le Monde, Libération, Le Figaro, etc… a semble-t-il rendu autistes de nombreux commentateurs (certes ravis d’ être autistes; cela est tellement plus facile !).