Dans « Marianne » (8 février), Natacha Polony et Soazig Quéméner posent la question essentielle : Comment rendre sa légitimité au président élu ? Pour résumer à gros traits une fine analyse, Emmanuel Macron, appuyé sur un socle de 18{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des électeurs inscrits réunis au premier tour, s’est fait élire en jouant sur la peur du Front national et prétend depuis imposer un programme de guerre de classe, comme si celui-ci avait été plébiscité. Face à la révolte des Gilets jaunes, qui résulte pour une part de ce tour de passe-passe, le vainqueur de 2017 cherche à recréer le clivage entre « nationalistes » et « progressistes » en mobilisant de surcroît le « parti de l’ordre » effrayé par les violences de rue.

L’illégitimité d’Emmanuel Macron tient à sa volonté de fracturer la société française et de mater sa partie rebelle par tous les moyens, légaux et illégaux, d’intimidation et de répression. Il n’y a pas de violence d’Etat qui soit légitime. J’ajoute que le viol permanent de plusieurs articles de notre Constitution fonde ce procès en illégitimité, trop souvent détourné en dénonciation de la Ve République. Et je souscris à la conclusion de Natacha Polony et Soazig Quéméner : pour redevenir  légitime, le président doit « cesser d’utiliser les institutions de la Ve République et leur miraculeuse stabilité pour imposer aux Français un système économique dont ils ne veulent pas ». Si Emmanuel Macron prenait cette injonction au sérieux, il trouverait une issue à la crise selon un plan que je me permets de suggérer :

– Le président de la République déclare solennellement à la nation qu’il cesse d’être le chef effectif du gouvernement et du parti dominant et qu’il est désormais décidé à agir dans le cadre des fonctions prévues à l’article 5 : assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat, garantir l’indépendance nationale…

– Le président de la République annonce qu’il dissout l’Assemblée nationale afin qu’un débat démocratique s’ouvre dans le pays. Il précise qu’il ne cherchera pas à influencer le vote et qu’il laissera le gouvernement qui aura la confiance de l’Assemblée nationale libre de « déterminer et conduire la politique de la nation ». C’est ce gouvernement effectivement responsable devant le Parlement qui pourrait déposer un projet de réforme électorale, recourir au référendum, engager une réforme de la Constitution…

Le retour à la démocratie parlementaire ne permettrait pas de résoudre la crise de la représentation nationale car c’est l’ensemble du système des partis qui doit librement se réorganiser selon les traditions de notre pays et selon les tendances nouvelles qui se font jour. Mais Emmanuel Macron, s’il décidait de devenir le président de la République qu’il n’a pas encore été, pourrait très vite acquérir une solide popularité – y compris chez les Français qui, aujourd’hui, le combattent et le détestent.

S’élever à la hauteur de sa fonction est toujours difficile, souvent douloureux. Emmanuel Macron, pour devenir le président de tous les Français, devrait s’arracher à sa classe sociale, s’affranchir de ses préjugés idéologiques, subir toutes sortes de pression. Mais il découvrirait la grandeur et les joies du dialogue avec les Français sur la France.

Je l’invite, comme tous ceux qui aspirent à la charge suprême, à méditer le règne de Louis-Philippe (1). Le duc d’Orléans n’avait pas écrit un livre intitulé « Révolution » mais il avait participé à la grande Révolution et exercé un commandement dans les armées révolutionnaires avant de devenir le roi des Français après la Révolution de 1830. Il défendit l’intérêt national et présida, parfois maladroitement, à l’installation du régime parlementaire ; mais la Monarchie de Juillet reposait sur une base sociale trop étroite et elle laissa la classe ouvrière, durement exploitée et réprimée, hors de la citoyenneté faute d’avoir voulu le suffrage universel.

Dans leurs exils, les successeurs de Louis-Philippe surent tirer les rudes leçons de la Révolution de 1848. Il n’y a pas de transformation possible du pays sans un accord entre le pouvoir politique et le peuple français. Cet accord s’inscrit dans la dynamique des conflits politiques et des luttes de classes transcendées par la volonté d’indépendance nationale. La Monarchie de Juillet fut tricolore, comme la monarchie élective, parlementaire et démocratique, instituée par le général de Gaulle. Pour devenir chef d’Etat, et bien servir son pays, il faut s’inscrire dans notre histoire nationale et savoir s’en remettre au peuple à qui, seul, appartient la souveraineté nationale.

***

Editorial du numéro 1161 de « Royaliste – 2019

 

 

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6 Commentaires

  1. PenArBed

    Simone Weil (Méditation sur l’obéissance et la liberté, hiver 1937-1938) :
    «Puisque le grand nombre obéit, et obéit jusqu’à se laisser imposer la souffrance et la mort, alors que le petit nombre commande, c’est qu’il n’est pas vrai que le nombre est une force. Le nombre, quoique l’imagination nous porte à croire, est une faiblesse. (…)
    Sans doute, en toute occasion, ceux qui ordonnent sont moins nombreux que ceux qui obéissent. Mais, précisément parce qu’ils sont peu nombreux, ils forment un ensemble. Les autres, précisément parce qu’ils sont trop nombreux, sont un plus un plus un, et ainsi de suite. Ainsi, la puissance d’une infime minorité repose malgré tout sur la force du nombre. Cette minorité l’emporte de beaucoup en nombre sur chacun de ceux qui composent le troupeau de la majorité. Il ne faut pas en conclure que l’organisation des masses renverserait le rapport, car elle est impossible. On ne peut établir de cohésion qu’entre une petite quantité d’hommes. Au-delà, il n’y a plus que juxtaposition d’individus, c’est-à-dire faiblesse ».
    (…) Les puissants n’ont pas d’intérêt plus vital que d’empêcher cette cristallisation des foules soumises, ou du moins, car ils ne peuvent pas toujours l’empêcher, de la rendre le plus rare possible. Qu’une même émotion agite en même temps un grand nombre de malheureux, ce qui arrive très souvent par le cours naturel des choses ; mais d’ordinaire cette émotion, à peine éveillée, est réprimée par le sentiment d’une impuissance irrémédiable. Entretenir ce sentiment d’impuissance, c’est le premier article d’une politique habile de la part des maîtres».

    • FONTAINE

      Le régime actuel au point où il est parvenu est l’entrée de de la salle du pouvoir personnel. Il permet à une bande, plus ou moins argentée et soutenue par un lobby de grandes sociétés anonymes, de s’emparer du législatif et de l’exécutif. Le mode de scrutin des législatives doit être aboli et remplacé par la proportionnelle. L’élection dU Président au suffrage direct a toujours été (et surtout depuis Napoléion III) considérée comme la base de possibles coups d’Etat. Attention danger. Il faut changer de Constitution

  2. Catoneo

    Merci beaucoup, la situation est même pire si on rapporte les suffrages du premier tour de la présidentielle au nombre d’adultes habitant le pays et qui sont échantillonnés sur les « ronds-points ».
    Nous sommes cette fois sur la même longueur d’onde. Il s’agit, comme vous le dites, de réhabiliter la Constitution dans son esprit parlementaire et pour ce faire :
    – retour au septennat, mais à mandat unique ;
    – injection d’un tiers de proportionnelle dans les élections législatives afin d’importer la dispute de la rue à la chambre ;
    – déconnexion des élections présidentielle et législatives : plus de législatives post-présidentielle.

    Ce Congrès serait un électrochoc dont l’intensité diminuerait la prégnance des revendications catégorielles des gilets jaunes qu’il faudra affronter, mais plus tard.
    Pour sortir de l’ornière, il faut casser la présidentialisation du régime car les contrepouvoirs ne fonctionnent pas et les abus de position sont trop faciles.
    Revenir à l’esprit d’origine de la Constitution.

    On peut rêver. Le césarisme est une addiction.

    • xc

      Si le Président est élu pour 7 ans et les députés pour 5, la déconnexion se fera d’elle-même, sauf une fois tous les 35 ans, à supposer qu’il n’y ait pas de dissolution. Mais si le Président s’en tient au titre II (Le Président de la République), qu’il y ait connexion ou pas est sans importance. Et, dans ce même cas, je ne vois pas pourquoi ne lui permettre qu’un seul mandat.

      • Catoneo

        Mandat unique pour supprimer la pression d’une réélection et éviter l’endormissement. Les seconds mandats de Mitterrand et de Chirac ont révélé un certain « affaissement ».

        Mais je me doute bien que dans votre esprit plusieurs mandats amorceraient une forme de perpétuation toute monarchique. Malheureusement nous n’en sommes pas là, le royalisme français n’est pas encore un agrégat suffisamment pugnace et résilient pour faire une transformation utile de nos institutions en propulsant un roi.
        Le sera-t-il un jour ?

  3. FONTAINE

    Le régime actuel est l’entrée vers le pouvoir absolu pour toute bande plus ou moins argentée et soutenue par un lobby de grandes sociétés anonymes. L’élection du Président au suffrage direct et le mode scrutin des législatives ouvrent l’accés des pouvoirs législatif et exécutif sans contrôle. L’élection au suffrage direct d’un Président a toujours (surtout depuis Napoléon iii) été considérée comme l’ouverture vers toutes les aventures. Attention danger. Il faut changer de Constitution et instaurer la proportionnelle aux législatives