Une théorie anglaise de la souveraineté

Avr 10, 2009 | Res Publica

Dans quelles conditions religieuses et politiques le roi Jacques VI d’Ecosse devenu Jacques Ier d’Angleterre a-t-il été amené à écrire son traité des « libres monarchies » ? Bernard Bourdin explicite la théorie anglaise de la souveraineté avant la Glorieuse Révolution.

 Il est rare que les rois soient versés dans les questions théologiques et politiques. Plus rare encore qu’ils rédigent de leur propre main une théorie du pouvoir. Jacques Ier d’Angleterre, devenu tel en 1603, est de ceux qui, à différentes époques, ont voulu penser par eux-mêmes ce qu’ils incarnaient.

Cette adéquation est un bel idéal de la raison politique. Il n’est pas sûr qu’elle garantisse un bon gouvernement mais les limites et les échecs de ces tentatives ne sauraient justifier le mépris des idées et des fonctions dont nous avons aujourd’hui l’exemple désastreux. Du moins, l’ouvrage du roi Stuart nous permet de saisir un moment décisif de l’histoire européenne – précisément britannique et française – de la pensée politique. Tel est l’intérêt de la traduction du traité des « libres monarchies » (1) que Bernard Bourdin annonçait dans l’ouvrage magistral qu’il a consacré à la genèse théologico-politique de l’Etat moderne (2).

Quant à l’histoire politique, le moment jacobéen se situe après la mort d’Elisabeth Ière, dans la période troublée des conspirations contre le nouveau roi et du complot des Poudres (1 605) organisé par le catholique Guy Faukes. Jacques Ier ne peut se contenter de punir les coupables : il lui faut conforter son pouvoir et établir sa pleine et entière autorité. Au début du 17ème siècle, celle-ci ne peut être concrètement exercée sans une prise de position précise dans la controverse fondamentale sur la relation entre le théologique et le politique. En Angleterre, la Trew law of Free Monarchies exposées par Jacques Ier marquent le point culminant de cette grande dispute – peu avant qu’elle ne soit effacée par le débat entre les philosophes du contrat social, lancé par Thomas Hobbes, grand admirateur de Jacques Ier, qui publie son Léviathan en 1651.

Ce moment de l’histoire intéresse autant les Anglais que les Français car les deux nations se construisent en même temps et selon la même problématique – jusqu’à la Révolution française – à laquelle les rois de France et d’Angleterre apportent des réponses différentes.

Dans son introduction au traité de Jacques Ier, Bernard Bourdin note que « à l’instar de la royauté britannique, la monarchie des Valois ignore la doctrine du droit divin direct des rois. C’est précisément, comme en Angleterre, le problème de la succession qui valorise cette doctrine, notamment par l’intermédiaire du juriste toulousain Pierre de Belloy, chargé par Henri IV de développer les arguments justifiant la légitimité du nouveau souverain, particulièrement la loi salique et le droit divin ».

De part et d’autre de la Manche, la question décisive est celle de la souveraineté. Jacques Ier est proche de Jean Bodin et l’Angleterre est anglicane comme la France est gallicane – sans qu’Henri VIII et Elisabeth Ière cessent d’être catholiques. Publié en 1598 par un homme qui a acquis son expérience du pouvoir et des affaires religieuses comme roi d’Ecosse pendant 31 ans, « La Vraie loi des libres monarchies » n’est certainement pas une proclamation absolutiste. Nous assistons à un cheminement subtil entre plusieurs théories politiques (celles de George Buchanan, de Richard Hooker) et les grandes controverses théologiques de l’époque – entre catholiques, entre catholiques et protestants. Bernard Bourdin s’attache à nous expliquer la conception calviniste du rapport entre le spirituel et le temporel ainsi que les thèses de l’Eglise presbytérienne et nous rappelle la conception monarchomaque de Buchanan, précepteur de Jacques, selon laquelle « le service du peuple appelle à un consentement mutuel des sujets et des rois » qui se lient lors de la promesse faite lors du couronnement.

Telle n’est pas la pensée du futur roi d’Angleterre, qui délaisse la théorie de l’obligation mutuelle (le roi s’engage envers ses sujets qui s’engagent envers lui) pour une théorie des devoirs mutuels : l’engagement moral l’emporte alors sur le lien juridique. Le roi Jacques n’est pas absolutiste au sens banal du terme : il développe une pensée de l’absoluité. Autrement dit, la monarchie selon Jacques Ier n’est pas plus arbitraire que celle théorisée par son ancien précepteur : elle est libre car elle ne reconnaît pas de contrainte juridique mais se donne une limite morale fondée sur la religion chrétienne. Comme la royauté française, la royauté jacobienne s’inscrit explicitement dans la tradition biblique que Jacques interprète ainsi : la vraie loi est la Loi naturelle, Dieu (non le pape ou les pasteurs) est le seul juge du contrat passé entre le roi et le peuple. Le roi règne grâce à l’accord de Dieu, dans la soumission au jugement divin et selon une hiérarchie des lois. Le peuple n’est pas un acteur politique qui pourrait retirer le consentement qu’il a donné mais une multitude obéissante au sein de la république (commonwealth).

En Angleterre comme en France, l’absoluité royale se termine de la même manière : la décapitation de Charles Ier en 1649 annonce celle de Louis XVI…

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(1) La vraie loi des libres monarchies ou les devoirs réciproques et mutuels entre un roi libre et des sujets naturels, Traduction et édition critique par Bernard Bourdin, Astraea Texts n°2 – 2008. Presses universitaires de la Méditerranée, www.PULM.fr15 €.

(2) Bernard Bourdin, La genèse théologico-politique de l’Etat moderne, Presses Universitaires de France, 2004. 32 €. Cf. « Royaliste », n° 850.

Article publié dans le numéro 946 de « Royaliste » – 2009.

 

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