Vérités sur les banlieues

Oct 21, 2014 | Res Publica | 1 commentaire

Bien des romans dévoilent une réalité sociale aussi bien ou mieux qu’une enquête menée dans une intention scientifique. En voici un (1), remarquable, qui figurera plus tard dans les documents majeurs sur notre société car il sera conforté par maints rapports officiels qui dorment en ce moment au fond des tiroirs.

L’auteur, Olivier Norek, est lieutenant de police judiciaire en Seine-Saint-Denis. Il aurait pu écrire un essai ou un pamphlet pour dénoncer ce qu’il a vu et compris mais il aurait succombé avec son éditeur sous les procès en diffamation. Cette menace planait aussi sur un roman policier qui se serait déroulé dans une ville connue de la banlieue parisienne. Ce sont  donc des lieux et des personnages imaginaires qu’il décrit avec talent. Imaginaires mais plausibles et somme toute très proches de personnages qu’Olivier Norek a rencontrés en faisant son métier ou en s’informant auprès de diverses personnalités politiques (2) qui, en privé, livrent des analyses d’un parfait cynisme comme j’ai pu le constater à maintes reprises depuis une trentaine d’années.

L’histoire est celle du maire d’une ville de banlieue qui décide de provoquer une émeute pour répondre à une pressante demande de « remboursement » venant d’un caïd. L’argent envoyé par le gouvernement pour rétablir le calme sera partagé entre les dealers et le maire qui financera ainsi la campagne pour sa réélection. Des élus consultés par l’auteur n’avaient jamais eu vent d’opérations de ce genre, qu’ils jugeaient cependant vraisemblables. Mais tous les autres faits et propos rapportés dans « Territoires » sont véridiques.

Il est vrai que des maires, avec la complicité de ministres de droite et de gauche, achètent la paix sociale dans leur commune en laissant se développer le commerce de la drogue parce que le deal fait vivre les quartiers pauvres et parce que les dealers veulent, comme tous les commerçants, des rues et des cités tranquilles.

Il est vrai que des voyous répertoriés se trouvent dans maintes structures municipales, voire dans l’entourage de ministres ou de chefs d’Etat (3), et que certains maires se servent d’eux pour acheter des voix.

Il est vrai que certains maires se réjouissent en privé des taux d’abstention qu’ils déplorent en public. Comme le disait un élu à Olivier Norek : « Mon intérêt à moi, politiquement, c’est de dégoûter les gens de la politique pour qu’ils ne s’y intéressent pas et que je conserve un fort taux d’abstention » car il est plus facile d’influer sur un scrutin à 12 000 votants que sur un scrutin à 80 000.

De ces vérités accablantes, plusieurs conclusions politiques peuvent être tirées :

Le mythe du « pays réel » en prend un sacré coup : les collectivités décentralisées sont aussi corrompues que les autorités politiques nationales mais autrement et de manière moins visible.

Les nationalistes xénophobes se trompent et nous trompent en désignant à la vindicte populaire des groupes « ethniques » relégués dans les « quartiers difficiles ». Des quartiers et des régions sont abandonnés à l’exploitation politico-mafieuse parce que les élites ne croient plus au développement économique et à la politique du bien-être généralisé.

La réflexion ne doit pas se faire contre les élus locaux – la plupart sont honnêtes – mais sur les tâches qui devront être assignées, avec les moyens nécessaires, au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur après la défaite de l’oligarchie. Au lieu de monter en spectacle la répression contre la petite délinquance qu’on laisse prospérer dans les « quartiers difficiles », il faudra réprimer les complices politiques du crime organisé aussi durement que les organisations criminelles.

Pour l’heure, il faut se soucier des tâches imbéciles et inutilement dangereuses qui sont assignées à maints fonctionnaires de police mal équipés mais lucides et exaspérés. Le ministre de l’Intérieur – comment s’appelle-t-il, déjà ? – ferait bien de s’inquiéter.

***
(1) Olivier Norek, Territoires, Editions Michel Lafon, 2014.

(2) Cf. dans Marianne l’entretien d’Olivier Norek avec Mathias Destal, http://www.marianne.net/Comment-les-maires-du-93-tiennent-leurs-villes_a241886.html

(3) Cf. Pierre Péan, La République des mallettes, Enquête sur la principauté française de non-droit, Fayard, 2011.

Editorial du numéro 1064 de « Royaliste » – octobre 2014

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. CHAPONIK

    Les grands groupes internationaux, leurs actionnaires et les banquiers sont devenus ceux qui gouvernent en réalité le monde. Ils n’ont pas de patrie que celle de l’argent et les élites politiques ne sont désormais que leurs « porte-coton » comme on appelait les grands dignitaires du royaume de France qui s’occupaient de la toilette des rois.

    Cordialement E.C.