INACCEPTABLE : VICHY, UN « ETAT REPUBLICAIN » !

Le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à payer la moitié des sommes dues par Maurice Papon au motif de ses condamnations civiles. Cette décision constitue une révision inacceptable de l’histoire et du droit.

En réclusion criminelle depuis 1998, Maurice Papon avait été par ailleurs été condamné par la cour d’assises de la Gironde à verser 4,720 MF aux parties civiles au titre des dommages et intérêt et en règlement des frais de justice.

Invoquant la loi de 1983 qui prévoit la couverture par l’Etat des condamnations civiles prononcées contre un fonctionnaire en réparation d’une faute de service, le condamné avait demandé à l’Etat de prendre en charge la totalité de la somme exigée. Le ministre de l’Intérieur (Jean-Pierre Chevènement) avait opposé à l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde une fin de non recevoir fondée sur de classiques motifs juridiques : la République française n’a rien de commun avec le régime de Vichy, à juste titre dénoncé comme un pouvoir de fait par d’éminents juristes dès 1940. Maurice Papon avait alors formé un recours devant le Conseil d’Etat qui a rendu une décision dont il a souligné la « portée historique » dans son propre communiqué de presse.

Passons rapidement sur les aspects secondaires de la décision : le Conseil d’Etat a jugé que la part prise par Maurice Papon dans l’arrestation et l’internement de juifs entre 1942 et 1944 constituait une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions administratives. Mais le Conseil a ajouté que l’administration devait être tenue pour partie responsables des agissements de son agent car elle avait, sans subir la contrainte de l’occupant, organisé dès octobre 1940 le fichage et l’arrestation de personnes dites « de race juive » ou de confession israélite. D’où la condamnation, pour moitié, de l’administration.

Le raisonnement juridique est rigoureux, si l’on s’en tient strictement au droit administratif. Mais ce sont les prémisses qui sont inacceptables. Nous lisons en effet que « Le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité de l’Etat républicain pouvait être engagée à raison d’agissements administratifs accomplis dans le cadre des actes législatifs et réglementaires du régime de Vichy qui établissaient ou appliquaient une discrimination fondée sur l’origine juive des personnes ».

L’Etat républicain ? Il peut être conçu de plusieurs manières, mais aucune n’est compatible avec les agissements du régime de Vichy.

Si nous reprenons Jean Bodin (théoricien de la monarchie au 16ème siècle) qui définit la République comme « un droit gouvernement de plusieurs ménages avec puissance souveraine », il est certain que le régime de Vichy, qui a perdu le plein exercice de la souveraineté de l’Etat sur un territoire national occupé et démembré, n’est en rien républicain. En rien, puisque le droit a été révoqué.

Si nous préférons la définition donnée par Jean-Jacques Rousseau (« Tout gouvernement légitime est républicain ») il est non moins certain que le régime de Vichy n’est pas républicain car l’Etat légitime est défini par l’auteur du Contrat social comme l’Etat « régi par des lois ».

Si nous faisons référence à la conception gaullienne de la légitimité qui intègre la défense de la nation millénaire, le service rendu au présent et le consentement populaire, il est évident que le régime de Vichy n’est en rien légitime et qu’il ne saurait être dit républicain.

Peut-on cependant affirmer que l’administration vichyste opérait selon la légalité républicaine ? Le Conseil d’Etat l’affirme, évoquant les « actes législatifs » du régime de Vichy. Mais il oublie l’article 6 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « la loi est l’expression de la volonté générale »… qui ne s’est point manifestée entre 1940 et 1944. Plus précisément, peut-on rapporter à la loi républicaine des mesures édictées à l’encontre des juifs alors que la Déclaration de 1789 affirme dans son article 10 que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses » – le racisme n’étant pas conçu à l’aube de la Révolution française ? Violant délibérément plusieurs principes fondamentaux de notre droit, Vichy agissait en plein arbitraire.

Sans reprendre ici toute la question du vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, rappelons que l’Assemblée de Bordeaux a violé le principe selon lequel un organe ne peut renoncer de lui-même à une fonction que lui attribue la Constitution. Et même si l’on conteste ce point, nul ne peut contester que le Maréchal Pétain a aboli la République en se proclamant chef d’un Etat autoritaire par « l’acte constitutionnel n°1 », en ne réunissant pas les Chambres régulièrement élues, en n’organisant pas une consultation permettant de ratifier le nouveau régime et en concentrant sur lui tous les pouvoirs alors que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » (article 16 de la Déclaration de 1789).

Etrangement, le Conseil d’Etat reconnaît que Vichy était un pouvoir de fait puisqu’il cite l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine. Mais c’est pour affirmer qu’en déclarant un acte nul et de nul effet, on admet son caractère fautif. Comme si la nullité ne signifiait pas l’anéantissement de toute règle, autrement dit la formation d’un abîme juridique peu à peu comblé par la formation d’un gouvernement provisoire mais légitime – hors des territoires occupés mais dans un des départements français d’Algérie.

En inscrivant Vichy dans la continuité de l’Etat républicain, le Conseil d’Etat exclut le général de Gaulle, le Comité français de Libération nationale et le Gouvernement provisoire de la République française de l’histoire de France.

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Article publié dans « Royaliste », numéro 793 – 2002

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1 Commentaire

  1. Wenzel Eric

    Peut-être serait-il intéressant de regarder d’un peu plus près la composition du Conseil d’Etat ? Peut-on suggérer un manque d’objectivité, juridique y compris, compte tenu des « impératifs » de l’actuelle direction de l’Etat ?
    Plus sûrement, l’argument présenté tient dans la volonté d’une continuité historique de l’Etat français (en France) entre 1940 et 1944 ; l’Etat ne pouvant « mourir ».