Violences en Asie du Sud

Juil 5, 2008 | Chemins et distances

Grâce à sa longue expérience de terrain et à la richesse de sa documentation, le général Lamballe dresse un tableau complet et inquiétant des mouvements insurrectionnels et des organisations terroristes dans des régions qui ne retiennent pas suffisamment notre attention.

Sur l’Asie du Sud, l’honnête homme français du 21ème siècle est peu et mal informé. On lui parle un peu du Pakistan, à cause de la guerre en Afghanistan ou à la suite d’attentats spectaculaires, rarement de la question du Cachemire, de la guerre civile à Sri Lanka, des mouvements insurrectionnels et des attentats qui secouent l’Inde. Ce sont surtout les menées islamistes qui concentrent l’intérêt des médias, même si la récente victoire des maoïstes au Népal a été brièvement évoquée. La mondialisation de l’information laisse décidément beaucoup de zones d’ombres sur le monde tel qu’il se fait et se défait.

Le récent livre du général Lamballe (1) permet de combler nos ignorances. On peut faire confiance à cet auteur trop peu connu : il parle, entre autres langues, le hindi et le hurdu ; il a servi comme attaché de défense au Pakistan et à Sri Lanka et comme attaché militaire adjoint en Inde ; il a effectué une grande partie de sa carrière militaire dans le renseignement et se consacre actuellement à la recherche sans perdre ses liens avec les peuples et les régions qui le passionnent.

Ces connaissances approfondies et sans cesse actualisées lui ont permis de composer un dictionnaire très complet des mouvements violents qui secouent une grande partie de l’Asie du Sud : enjeux des conflits, typologie des groupes militants, méthodes du terrorisme et du contre-terrorisme, organisation des services de sécurité dans les divers pays concernés – tous les aspects de la question sont recensés avec rigueur. Hors de tout sensationnalisme, le général Lamballe permet de faire le point sur l’éventuelle utilisation d’armes nucléaires par les terroristes, sur la piraterie, sur la puissance des groupes islamistes, sur le cyber-terrorisme…

L’islamisme est une cause majeure des violences mais il faut aussi prendre en compte de très nombreux mouvements nationalistes (Armée de libération baloutche au Pakistan, Front national de libération du Tripura…) et la virulence des organisations marxistes ou marxisantes de diverses obédiences : le Centre communiste maoïste et le Groupe de la guerre du peuple sont actifs dans neufs Etats de l’Inde centrale et méridionale ; les Tigres tamouls de Sri Lanka se réclament du marxisme.

Bien entendu, le nationalisme et la religion peuvent se composer de manière explosive : les militants séparatistes du Cachemire indien, qui veulent se rattacher au Pakistan, sont tous musulmans ; les Chakmas du Bangladesh revendiquent leur autonomie pour préserver leur culture bouddhiste. Comme ailleurs, les « communautés religieuses » peuvent connaître de violentes divisions, surtout les musulmans : les chiites et les sunnites s’affrontent au Pakistan et, pour compliquer le tableau, des Arabes, des Tchétchènes et des Ouzbeks combattent dans les rangs des talibans. N’oublions pas non plus les mouvements naxalistes/maoïstes indiens qui coopèrent avec des mouvements islamistes et les relations commerciales (armes, drogue) que les Tigres tamouls entretiennent avec divers mouvements nationalistes indiens.

Observés à Paris, sur la Place de la République, un Premier mai, les Tigres tamouls paraissent quelque peu folkloriques. Erreur : cette organisation terroriste plonge Sri Lanka dans une sanglante guerre civile. Et l’Inde des palais merveilleux et des plages enchanteresses doit affronter une situation plus ou moins insurrectionnelle sur 250 000 km² des territoires du Nord-Ouest – tout particulièrement en Asom / Assam. Ceci depuis très longtemps puisque les naxalistes sont entrés en action en 1967.

Ainsi travaillées par des mouvements religieux et séparatistes, les deux principales puissances de l’Asie du Sud mènent un jeu diplomatique complexe qui favorise la déstabilisation de voisins plus faibles. La politique pakistanaise retient tout particulièrement l’attention en raison de la présence de soldats français en Afghanistan. Islamabad ne nie plus que des milliers de combattants islamistes trouvent refuge au Pakistan dans les fameuses zones tribales de la Province Frontière du Nord-Ouest et au Baloutchistan. Le Pakistan abrite par ailleurs des milliers de combattants qui mènent des opérations contre les Indiens au Cachemire. Mais le Pakistan fait l’objet de tentatives de déstabilisation de l’Inde, qui manipulerait certains groupes musulmans pakistanais et des mouvements séparatistes. L’Inde est également impliquée dans les affaires du Bhoutan, du Bangladesh, de Sri Lanka et d’Afghanistan. La longueur des frontières et les incertitudes sur leur tracé viennent encore compliquer les relations entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Inde.

Les conflits évoqués sont généralement de longue durée et marqués par des périodes de trêve. Mais l’avenir de l’Asie du Sud est sombre. Rien n’annonce une baisse d’intensité des actions islamistes et les revendications nationalistes restent vives et le mélange des extrémismes religieux, marxistes et ethniques, compliqué par les rivalités entre groupes, fait obstacle aux politiques de paix.

On aimerait connaître les orientations de la diplomatie française dans cette partie du monde et les relier avec les objectifs militaires que nous poursuivons en Afghanistan. On aimerait…

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(1) Alain Lamballe, Insurrections et terrorisme en Asie du Sud, Editions Stratégies, Collection des Chercheurs militaires, 2008.

 

Article publié dans le numéro 930 de « Royaliste » – 2008

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