Les polémiques récurrentes sur le voile », qui mobilisent des groupes islamistes et la militance d’extrême-gauche, sont remarquablement analysées par Fatiha Agag-Boudjahlat qui prend un parti raisonné contre le voilement.

Imaginons un militant communiste et une féministe plongés dans un sommeil profond en 1983, après le tournant de la rigueur, puis réveillés en octobre 2019 au plus fort du débat sur « le voile ». Ils ne reconnaîtraient plus leur petit monde ! Rencontrant à la Sorbonne une étudiante voilée de l’UNEF, ils apprendraient que Judith Butler, éminente théoricienne du genre, a justifié le port de la burqa en Afghanistan. Ils découvriraient que le progressisme consiste aujourd’hui à défendre les minorités religieuses, sexuelles et « racisées ». Ils verraient des figures de l’extrême-gauche dénoncer la « domination blanche » et des imams intégristes faire la loi dans des banlieues naguère régentées par le Parti communiste. Ils constateraient qu’une partie de la gauche voit dans la laïcité une ruse de la raison étatique, trouve formidable le slogan « Mon corps, mon choix, mon voile » et défend l’accompagnement des sorties scolaires par des mères de famille voilées.

C’est bien cette frénésie identitaire que la gauche a laissé prospérer avec la complicité d’une droite qui pratique elle aussi le clientélisme communautaire et qui ne crache pas sur les subsides saoudiens et qataris. Fatiha Agag-Boudjahlat expose les multiples aspects de cette entreprise qui associe une gauche d’importation américaine et les sectes islamistes. Dans ce deuxième livre (1) comme dans le premier, cette enseignante toulousaine ne brandit pas son identité familiale et personnelle mais la transcende par le rappel des principes de notre République. Tel est bien l’enjeu : faire prévaloir la raison politique et juridique – celle inscrite dans nos textes fondamentaux – face aux entrepreneurs identitaires qui sapent l’unité de la nation française.

Bien entendu, le combat de Fatiha Agag-Boudjahlat contre le voilement n’est ni une dénonciation de l’islam, ni une attaque portée contre les femmes qui se voilent : chacun est libre de sa pratique religieuse et du choix de ses vêtements. Mais un citoyen, en l’occurrence une citoyenne, est non moins libre de se livrer au démontage minutieux d’une tentative de subversion et des pièges dialectiques qu’elle utilise.

Lorsque la première « affaire du voile » a éclaté en 1989, il était possible de regarder ce morceau de tissu comme une parure analogue au fichu des paysannes ou l’expression d’une mode sans conséquences. Un regard rétrospectif fait apparaître une opération soigneusement réfléchie, menée contre l’école laïque avec le concours de jeunes filles – qu’il est moins facile de réprimander que le barbu en kamis qui refuse de serrer la main d’une femme. C’est d’ailleurs le vibrionnant Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui a détruit l’argument culturel en proclamant, après l’exclusion d’une femme voilée du club sportif, qu’un « signe religieux n’est en rien comparable à un banal couvre-chef ». Le voile est le signe d’une soumission dont Houria Bouteldja s’enorgueillit : « J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam », écrit celle qui affirme d’une femme violée par un Noir ne doit pas porter plainte pour ne pas nuire à la communauté noire…

La violence des Indigènes de la République est moins toxique que la récupération insidieuse des droits fondamentaux et des thématiques féministes. Fatiha Agag-Boudjahlat montre que le voilement n’est pas une manifestation de la « puissance d’agir » des femmes mais la soumission à un système patriarcal, l’asservissement volontaire à un groupe répressif, ultra-orthodoxe, qui, comme tous les groupes identitaires, a fabriqué la « tradition » dont il se réclame. Contre cette fausse tradition et ses manifestations publicitaires, Fatiha Agag-Boudjahlat réclame l’interdiction du voilement des fillettes selon les principes qui ont conduit à l’interdiction des costumes de « mini-miss » et se prononce pour l’interdiction du voile lors des sorties scolaires au terme d’une analyse fouillée de la question. « On ne peut, conclut-elle, hurler à l’injustice ou à la discrimination quand le degré d’orthodoxie pour lequel on a opté réduit le champ des opportunités ».

La multiculturalité de fait ne doit pas conduire l’État à pratiquer un multiculturalisme qui consiste à adapter le droit aux minorités. Le gouvernement et les citoyens doivent résister d’autant plus fermement que la religion reconstruite par les islamistes est le masque de la volonté de puissance des entrepreneurs communautaires. Ils veulent combattre l’intégration des immigrés et des enfants d’immigrés, qui signifie la fin de la domination des hommes sur les femmes et du groupe identitaire sur les personnes. L’extrémisme islamique est le signe d’une panique qui se manifeste dans la violence.

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(1) Fatiha Agag-Boudjahlat, Combattre le voilement, Le Cerf, 2019. Préface d’Elisabeth Badinter. Lire ou relire le premier livre de l’auteur : Le grand détournement, Le Cerf, 2017, présenté dans le numéro 1134 de « Royaliste ».

Article publié dans le numéro 1176 de « Royaliste » – 4 novembre 2019

 

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