Dans la commémoration de la Première Guerre mondiale, n’oublions pas le rôle discret mais efficace de notre Marine. Ses hommes ont bien mérité de la patrie.

Evoquer 14-18, c’est faire immédiatement surgir les tranchées et la bataille si durement gagnée de Verdun. On oublie trop souvent que l’issue d’une guerre mondiale se décide aussi sur les mers et les océans. Le cinéma nous fait souvenir des grandes batailles navales de la Seconde Guerre mondiale – Coulez le Bismarck ; Tora, Tora, Tora – mais celles de la Première ont vite disparu des Mémoires. Il est vrai que ces batailles ont été peu fréquentes – Héligoland, Coronel, Falkland, Jutland – et elles opposèrent les flottes britannique et allemande. Notre Royale n’a pas mené la « bataille décisive » que plusieurs de ses stratèges souhaitaient mais elle a accompli tout au long de la guerre des missions qui ont contribué à la victoire. Spécialiste de l’histoire maritime et petit-fils de l’amiral Schwerer, François Schwerer a retracé dans un livre à la fois savant et accessible (1) ces quatre années de combats glorieux et de missions obscures.

Lorsque la guerre éclate, la Marine est fortement handicapée. Comme elle n’a joué aucun rôle en 1870, on se dit volontiers qu’elle n’en jouera aucun dans le futur conflit avec l’Allemagne. Les débats sur la stratégie sont restés confus et notre flotte, qui occupe le quatrième rang mondial, est en 1914 une « marine d’échantillons » alors que la Royal Navy et la Kriegsmarine sont puissantes, modernes et cohérentes. Les ministres français de la Marine sont de surcroît des incapables et les gouvernements de la IIIème République se méfient des officiers de marine, généralement catholiques et souvent royalistes : le Capitaine de vaisseau Schwerer, sous-chef d’état-major de la Marine qui négocia, sans la moindre instruction de son ministre, l’accord de coopération avec la Grande-Bretagne en août 1914, sera président de la Ligue d’Action française de 1930 à 1936, après avoir été son candidat aux élections législatives de 1924.

Pour la Marine, les conditions d’entrée en guerre sont d’autant plus mauvaises que le chef de la Première armée navale, l’amiral Boué de Lapeyrère, est en désaccord avec son ministre comme avec les Britanniques et doit se résoudre à mener une guerre sans rechercher la « bataille décisive » à laquelle il s’était préparé. La cohérence stratégique et tactique fut établie lorsque Aristide Briand, président du Conseil, appela l’amiral Lacaze au ministère de la Marine en octobre 1915 – où il demeura jusqu’en août 1917. Le nouveau ministre comprit que dans une guerre longue et menée sur terre, le rôle de la Marine devait être situé dans le cadre de la stratégie globale : maîtrise des communications par la création d’un service du chiffre, transport des troupes venant de l’Empire, ravitaillement de l’armée, sécurité des approvisionnements, lutte contre les sous-marins allemands.

Les vicissitudes politiques et les mauvais choix stratégiques et technologiques de l’avant-guerre n’empêchèrent pas la Marine de remplir immédiatement toutes les missions qui lui étaient assignées et qu’il lui fallut principalement remplir en Méditerranée. Sur le champ de bataille métropolitain, François Schwerer évoque la magnifique résistance, à Dixmude, des 6 000 fusiliers-marins de l’amiral Ronarc’h qui bloquèrent 30 000 soldats allemands du 16 octobre au 10 novembre 1914 – alors qu’ils avaient l’ordre de tenir   quatre jours. Moins connu, l’appui des canonniers de la Marine à l’infanterie tout au long de la guerre et tout particulièrement en Champagne en 1915, à Verdun et sur la Somme en 1916…

Nos marins s’illustrèrent aux Dardanelles sous le commandement de l’amiral Guépratte, tout au long de cette affaire mal conçue et mal conduite par Winston Churchill, alors Premier lord de l’Amirauté. L’échec de la tentative fut sanglant pour les Français comme pour les Britanniques. En revanche, la Marine assura en 1915 à Gallipoli et Durazzo le sauvetage de l’armée serbe, terriblement éprouvée par sa retraite à travers les montagnes balkaniques. Elle assura avec succès le blocage des côtes de Syrie et des colonies allemandes, s’illustra dans la guerre anti-sous-marine en Manche et dans l’Atlantique et joua un rôle décisif dans la protection des convois qui transportaient vers la France les soldats américains.

En 1920, le député Georges Leygues, futur et très grand ministre de la Marine, salua l’héroïsme discret des marins français, sans oublier « nos marins de commerce [qui] ont fait preuve de la même énergie et du même courage. Ils ont accompli, sans défaillance, une tâche écrasante ».

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(1)    François Schwerer, La Marine française pendant la guerre 14-18, Editions Temporis, 2017.

Article publié dans le numéro 1148 de « Royaliste » – 2018

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