Georges Marchais a raison. Le constat peut surprendre, mais il serait dommage de ne pas se rendre à l’évidence. Georges Marchais a raison quand il souligne, devant le comité central du Parti communiste, la « nature quasi-monarchique du pouvoir » dans la Constitution de la Vème République.

La lecture de l’ensemble du texte montre, évidemment, que le secrétaire général du P.C. énonce ce jugement dans l’intention de nuire. Selon lui, la « quasi-monarchie » actuelle a détruit l’authentique démocratie que permettait le régime d’assemblée… Nul ne peut s’étonner de voir G. Marchais célébrer un système archaïque, tellement incapable d’assurer le gouvernement de notre pays et la participation des citoyens à la vie publique qu’il est bien le seul a en avoir aujourd’hui la nostalgie. Mais le diable porte pierre, et il n’est pas interdit d’extraire d’une homélie médiocre une formule vraie pour mieux en soupeser les termes.

DÉFINITION

Encore faut-il s’entendre sur le moi de monarchie. Bien entendu, G. Marchais l’utilise dans une intention polémique, en essayant de nous faire croire qu’il s’agit d’un pouvoir dictatorial, arbitrairement exercé. Terrain dangereux pour notre constitutionnaliste d’occasion, qui défend par ailleurs des régimes agissant sans retenue ni contrainte. Nous savons bien, quant à nous, qu’entre la monocratie stalinienne ou brejnévienne et la monarchie espagnole, par exemple, la différence est de nature, non de degré. Car la monarchie n’est pas « le gouvernement d’un seul » selon la fausse définition reprise par G. Marchais. Loin d’être le pouvoir d’un homme qui écrase la société, la monarchie est ce qui se trouve, comme l’étymologie l’indique, au principe, à l’origine, au fondement (1) même de la cité, et qui tire de ce rôle constitutif son autorité.

Sans doute faut-il quelqu’un pour incarner ce principe, pour garantir les conditions de l’existence sociale. Quelqu’un pour défendre, contre les intérêts privés et les factions, la paix et l’unité ; quelqu’un pour assurer, par son arbitrage, la justice, et garantir la liberté. Tâches essentielles qui supposent l’indépendance de situation, l’unité de décision, et cette capacité de se confondre avec l’histoire de la nation qui procède d’une volonté de service constamment affirmée. Loin d’être un a priori, l’hérédité du pouvoir vient de cette nécessité, proprement politique, de l’indépendance du Prince et de la permanence de sa fonction. Rien qui soit dictatorial dans ces exigences, ou qui participe de l’habituelle volonté de puissance. S’il en faut un, c’est que le pouvoir divisé contre lui-même a tôt fait d’être détruit, et que cette destruction déchaîne une violence qui ruine toute justice et toute liberté. Ce ne sont pas là des théories. L’histoire de notre pays fait apparaître ce rôle éminent de la monarchie (2) et, dans l’Europe contemporaine, il est facile de constater que cette institution est la condition même de la démocratie.

L’ESPRIT DE LA MONARCHIE

Le sens du mot retrouvé, et la monarchie regardée telle qu’elle est aujourd’hui, il devient possible de s’interroger sur la nature du pouvoir actuel, succinctement analysée par G. Marchais. Nul ne peut soutenir, comme il le fait, que le rôle de l’Assemblée Nationale a été réduit « à zéro » et que le débat politique s’en est trouvé « appauvri ». La portée de la révolution institutionnelle de 1958 est tout autre. Au lieu d’annihiler la représentation nationale, le général de Gaulle lui a redonné sa mission propre, différente de celle du gouvernement. Au lieu d’étouffer le débat démocratique, il l’a institutionnalisé en faisant inscrire pour la première fois dans la Constitution que les partis concourraient à l’expression du suffrage universel. Mais le général de Gaulle a surtout voulu que le pouvoir politique retrouve sa dignité et son indépendance, et dispose à nouveau de la continuité nécessaire. Cela dans un souci de légitimité qui implique à la fois le sens du projet historique de la nation, la volonté de la servir tout entière et le consentement populaire. Ainsi conçu et restauré, il ne fait aucun doute que le pouvoir retrouvait sa nature monarchique, du moins en esprit (3), que son action pendant la période gaullienne se situai dans la tradition des Capétiens et que l’aboutissement logique de cet effort était l’élection, longtemps souhaitée par le fondateur de la Vème République, du comte de Paris.

Cette solution n’a pu prévaloir et nous en restons à la « quasi-monarchie » évoquée par G. Marchais. Dans sa bouche, la formule indique un déjà-trop. Pour nous, elle souligne un manque. Nous avons bien une monarchie de fait, puisque l’unité de décision est maintenue, puisque le chef de l’Etat dispose d’une indépendance relative, puisque le souci de l’unité demeure. Mais l’arbitrage – donc la justice – est difficile dans la mesure où le Président de la République apparaît, qu’il le veuille ou non, comme l’élu d’un camp contre un autre. Mais l’unité est impossible, pour la même raison, et le pouvoir se révèle incapable d’empêcher la guerre civile froide et l’éclatement de la société française. Mais la continuité de l’action est compromise par la règle du septennat et par le jeu de la conquête et de la revanche. La légitimité du pouvoir s’en trouve réduite et sans cesse contestée, puisque le Président ne peut incarner notre histoire tout entière, ni bénéficier du consensus sans lequel rien de solide et de durable ne peut être entrepris.

La quasi-monarchie instaurée en 1958 et restaurée en 1981 après la triste caricature giscardienne ne suffit pas à assurer notre existence commune. Au lieu de la dénoncer, ou de vouloir un quinquennat qui ferait retomber le pouvoir dans la logique des partis, il faut songer, dès à présent, à rendre nos institutions conformes à l’esprit qui les anime. Ni l’indépendance du pouvoir, ni la continuité, ni l’arbitrage, ni la paix civile ne seront garantis sans que la monarchie devienne pleine et entière, comme chez nos voisins européens où cette institution est comprise et vécue comme le meilleur couronnement possible de la démocratie.

***

(1) Tel est le premier sens du mot « archê » indiqué par le vénérable dictionnaire Bailly.

(2) Sur ce point cf. la « Lettre aux Français », du comte de Paris, Fayard. Prix franco : 50 F.

(3) Cf l’ouvrage fondamental de Dominique Decherf : « L’Esprit de la monarchie dans la Vème République » (L.G.D.G.)

 

Editorial du numéro 411 de « Royaliste » – 3 octobre 1984

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