Accablés de soucis, les Français ont soudain été avertis de la profondeur abyssale du gouffre budgétaire et de leurs responsabilités en la matière. Après avoir clamé que la France jouait sa survie et annoncé qu’il y aurait … des annonces en juillet, François Bayrou est retourné à son train-train.

Pour comprendre la démarche de François Bayrou dans son siècle, il faut réveiller sa mémoire cinématographique. Dans Opération Corned Beef, on voit un brave homme sans histoires, Jean-Jacques Granianski (Christian Clavier), soudain projeté dans une histoire d’espionnage au cours de laquelle il est séduit par une blonde créature de la DGSE, dans le cadre d’une opération pilotée par le Squale (Jean Reno), qui n’est autre que le mari de la diablesse.

Tabassé par les sbires du conseil d’Autriche, embarqué par le Squale dans des poursuites haletantes, exposé à la mitraille, le pauvre Jean-Jacques s’accroche à la banalité de sa vie. Il tient à sa Citroën BX et à sa pipe en bruyère ; il craint son beau-père, qui assure 85% du chiffre d’affaires de sa boîte et il a des rapports ambigus avec le tapis de tante Violaine – celui du salon – sur lequel il a fauté, ce qui décuple la colère de Marie-Laurence (Valérie Lemercier), son épouse légitime…

Tout comme Jean-Jacques Granianski, François Bayrou s’accroche à l’ordinaire des jours, tissés de formules convenues enrobant des calculs à ras du sol. Il ne veut pas voir qu’il est transporté dans une autre réalité, faite de violences et de coups tordus. Dans le film de Jean-Marie Poiré, le décalage mental de Jean-Jacques est comique. Le dé-rangement de François Bayrou est tragique.

Ce notable centriste avait l’ambition de gérer platement un pays sous tutelle de l’Union européenne et des Etats-Unis, avec pour horizons le conseil municipal de Pau, les bureaux parisiens et le collège Notre-Dame de Bétharram. Il s’accroche aux apparences paisibles de ce petit monde aux violences discrètement étouffées, alors qu’il a pris la charge d’une nation durement exposée aux effets des bouleversements climatiques, géopolitiques, économiques, technologiques, financiers… A la manière ancienne, il a monté une opération de communication sur les finances publiques, comme il a organisé, voici quelques mois, sa manœuvre sur la réforme des retraites. Il ne s’agit pas de résoudre des problèmes, ni même de gagner du temps, mais de faire comme si on pouvait encore vaquer aux occupations ordinaires.

On a donc ressorti tout l’attirail. Mise en condition par les médias pendant 48 heures, réunion le 15 avril d’un “comité d’alerte du budget” et conférence organisée devant un public de parlementaires, de syndicalistes et de diverses personnalités – mais dont l’Association des maires de France s’était exclue pour ne pas cautionner une opération de communication. Or c’est bien la potion urticante qui a été administrée à une opinion publique saturée d’effets de manche. Nous avons eu droit au centième discours “churchillien” sur la profondeur abyssale du gouffre budgétaire, à combler par le sang et les larmes. Comme François Fillon découvrant les fameuses “caisses vides”, François Bayrou a décrit une “situation intenable” aboutissant à un “piège dangereux, potentiellement irréversible”. Remontant la chaîne des causes, le Premier ministre a asséné quelques truismes. Par exemple, les citoyens pris à témoin n’ont pas été trop étonnés d’apprendre que “nous n’avons pas assez de ressources parce que notre pays ne produit pas assez”, ce qui conduit à faire de la réindustrialisation “une obsession”, selon le mot d’ordre déjà entendu pendant la crise sanitaire.

A en croire l’orateur, il s’annonce quelque chose qui consisterait à réduire les dépenses (de 40 milliards) tout en relançant la production mais sans augmenter les “prélèvements obligatoires” – comme toujours abusivement confondus avec les impôts. Ceci dans un système libre-échangiste, avec une monnaie gérée par la Banque centrale européenne et dans une conjoncture internationale marquée par les coups de boutoir protectionnistes des Etats-Unis.

François Bayrou veut comme ses prédécesseurs mobiliser la nation en faisant reposer la responsabilité de la crise économique et financière sur les citoyens. Or c’est bien le même personnage qui a porté Emmanuel Macron au pouvoir et qui a été haut-commissaire (fictif) d’un Plan inexistant. C’est lui qui est co-responsable du malheur français. Le déficit budgétaire est encore moins supportable que par le passé en raison d’une croissance atone. La quasi-stagnation risque de durer car la baisse de la consommation des ménages s’ajoute à la baisse de l’investissement, à la trop faible productivité du travail et au déficit du commerce extérieur.

Pour établir le budget de l’an prochain, le gouvernement va donc consulter les partenaires sociaux et recueillir les “suggestions”.

Comme d’habitude, on va assister au jeu de la patate chaude. L’Etat va demander des sacrifices aux collectivités locales, le patronat va viser les retraités, les chômeurs, les dépenses de santé ; les milieux d’affaires feront dire qu’il faut réduire le nombre de fonctionnaires…

Comme d’habitude, on va très vite s’avouer, en haut lieu, que si on taxe les riches les capitaux vont fuir, que si on réduit les subventions aux entreprises, les défaillances, en forte hausse, vont encore augmenter et que si on porte de nouveau atteinte à la protection sociale, la rue va gronder.

Déjà, la menace d’une motion de censure est brandie par La France insoumise et le Rassemblement national. Tout le monde sait que la chute du gouvernement Bayrou ne résoudra rien, aucune équipe, aucun parti n’étant capable de sortir la nation des impasses dans lesquelles les élites l’ont enfermée tout en promettant, année après année, qu’elles allaient résoudre nos problèmes.

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Article publié dans le numéro 1299 de « Royaliste » – 20 avril 2025

 

 

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