Donald Trump apporte plusieurs choses à la pratique des relations internationales dont la première qui est la maîtrise du temps. Il n’est pas un marathonien mais un sprinter. Les marathons diplomatiques ont été inventés à Bruxelles. Plus les enjeux sont modestes, plus longues sont les nuits consacrées à trouver des solutions. La présidence américaine, présidence mondiale, ne peut se le permettre. Les enjeux à son niveau ne peuvent être qu’historiques, ils doivent être solubles dans l’instant, comme la décision ultime de bombarder un pays ou d’appuyer sur le bouton atomique.
Il était évident que Trump II n’aurait que faire de la diplomatie des sommets et en général de la diplomatie multilatérale, version internationale d’une démocratie parlementaire. Trump, les Etats-Unis, ont-ils à poser comme un parmi trente-deux ? Il est temps de revenir à la réalité. Le monde n’est pas même multipolaire, mais bi ou à la limite tripolaire où les 32 membres de l’Alliance atlantique ne pèsent pas comme tels. Le monde de Trump est unique.
Donc Trump est quand même venu à La Haye les 23 et 24 juin. Le roi Guillaume d’Orange a accepté de l’héberger sous les dorures du château royal de Huis ten Bosch et la reine Maxima lui offrir un petit déjeuner, avec serviteurs en livrée. Il est arrivé pour le dîner de gala et est reparti avant le déjeuner. Il a enduré non pas deux jours mais moins de trois heures grand maximum de discours inutiles. Avait-il besoin d’être présent ? Les 31 autres membres, intérêt à sa présence ? Français, à faire le déplacement ? La réponse aux trois questions est non.
Trump a fait passer à la diplomatie internationale un cap décisif : il a mis fin aux déclarations-fleuve négociées des semaines entières par des “sherpas”, tels Sisyphe poussant son rocher, particulièrement conscients et fiers de leur importance. La déclaration finale du sommet de Vilnius en 2023 comptait 11 000 mots, celle de Washington en 2024, 5000 mots. Celle de La Haye en 2025, 424 mots en seulement cinq alinéas. C’est un grand progrès dans la simplification de l’administration.
Trump n’avait pas besoin de quitter le bureau ovale où chaque chef de gouvernement, l’un après l’autre, sont allés lui rendre hommage, tel l’empereur de Chine. Le “boulot”, comme s’exprime le chancelier allemand Friedrich Merz, était fait par un valet, un larbin, le Harry Potter des champs de tulipes et des moulins, le Premier Ministre néerlandais qui avait duré le plus longtemps. Son prédécesseur, le norvégien Jans Stoltenberg, était trop rigide pour cohabiter avec un Donald Trump. Rutte est la flexibilité même, le parfait courtisan, un précieux ridicule du siècle d’or, qui a tout compris et qui, comme dans la pièce, finira par rouler son maître, Big Daddy. Tony Blair, quand il était Premier ministre de Sa Majesté, avait été, dans la guerre d’Irak, qualifié de “caniche” (poodle) du président américain. Quel terme siérait à Mark Rutte ?
En l’occurrence, le travail dont se glorifie le secrétaire général de l’OTAN pour sa première année serait d’avoir réussi à convaincre les 31 membres de passer leurs dépenses de défense et de sécurité à 5% de leur PIB. Harry Potter évolue dans un univers magique. Un dirigeant belge a qualifié le sommet d’”hystérie collective”. Il a raison. Trente délégations ont signé sachant pertinemment qu’elles n’en pensaient rien. Un seul a osé dire la vérité : l’espagnol Pedro Sanchez, sans doute parce qu’il risque d’être bientôt démis de ses fonctions et de perdre les élections. Les autres sont rentrés dans leurs capitales respectives par la porte de service, en se faisant le plus discrets possibles.
Certes la déclaration offre quelques échappatoires : d’abord, elle distingue les dépenses proprement militaires, avec un objectif de 3,5% (ce qui correspond au pourcentage du budget américain de la défense, à échelle mondiale), et des dépenses diverses d’infrastructure. La distinction est précieuse pour les pays fédéraux où la défense ressort du budget fédéral et les autres dépenses du budget des Etats fédérés, “länder” allemands ou “régions” en Belgique.
Ensuite, l’échéance a été fixée à 2035 avec une révision d’étape en 2029. Le chancelier allemand s’est gargarisé d’y parvenir en 2029, le britannique en 2035.
Enfin, la version anglaise diffère du texte français grâce à la célèbre ambiguïté sur le pluriel : les Alliés en français, Allies en anglais. Dans la version initiale, le “all” a été biffé (All Allies). En réalité, l’effort européen ne repose que sur quatre ou cinq pays. L’Espagne n’en fait pas partie. Cette fois, les quatre (France, Allemagne, Royaume-Uni, Pologne) ont intégré l’Italie dans un E 5 qui s’est réuni dans la foulée.
Pour beaucoup, le défi est rigoureusement impossible. Pour la Belgique, avec 3,5%, le budget défense représenterait à lui seul 60% du budget fédéral. Il passerait de 8 à plus de 21 milliards d’euros en quelques années !
Il reste que comme le 2% adopté en 2014, ou le 3% budgétaire européen (auquel les dépenses militaires supplémentaires échapperaient jusqu’en 2029), le chiffre de 5% est tout aussi arbitraire. “Cinq pour cinq”, aurait fait fuiter l’entourage de Trump : “pour que l’article 5 du traité ait un sens, il faut y consacrer 5% du PIB”. Sans moyens, que vaut en effet l’engagement de tous de venir à l’aide de n’importe quel membre agressé ?
Un pourcentage ne veut rien dire. L’important est de savoir ce que l’on finance, en fonction des choix stratégiques opérés par chacun. Or les revues auxquelles procède chaque pays séparément ne semblent pas nécessairement concourir à une défense commune. La déclaration appelle à une coopération entre les industries de défense des deux rives de l’Atlantique. On sait ce que cela signifie. Le Royaume Uni, en annonçant avant la réunion qu’il reprenait le volet aérien de sa dissuasion atomique à l’intérieur de l’OTAN, avec des avions F-35 et des ogives nucléaires américaines (contrairement à ce qui se passait avant 1998 où les moyens étaient nationaux) a préempté toute discussion.
Le déséquilibre franco-allemand serait (sur le papier) grandement accentué. Alors que les dépenses militaires des deux pays étaient pratiquement égales jusqu’en 2018, le rapport serait de 50% : 153 milliards en Allemagne (contre 62 en 2024) contre 100 en France (contre 50 actuellement).
Enfin la revue stratégique américaine est attendue pour septembre, avec un retrait attendu des forces terrestres stationnées en Europe de 100 000 aujourd’hui à un palier de 63 000, avec le départ des équipements correspondants.
Emmanuel Macron n’a pas eu droit à un entretien avec Donald Trump, solidement encadré en séance par son homme de main, à sa gauche, Mark Rutte, et à sa droite, grâce à l’ordre alphabétique anglais (United Kingdom avant United States), son nouveau caniche, Keir Starmer. Que faisait là la France ?
Il y en a pourtant qui ne perdent jamais le nord : les plans de carrière de certains de nos officiers généraux qui avaient fait pencher la balance dans la décision de retour dans le commandement intégré en 2009, ceux qui aujourd’hui se succèdent sur les plateaux de télévision. La France avait obtenu un commandement suprême à la transformation, basé à Norfolk, où nous en sommes au 9e du titre : depuis septembre 2024, l’amiral Pierre Vandier, précédemment chef d’Etat-major de la Marine de 2020 à 2023. Dès qu’ils sont dans la hiérarchie otanienne, ils défendent la doxa. Ce n’est pas leur faute, c’est la loi du genre. Pourquoi ne l’avons-nous jamais admis ? Pourquoi réclame-t-on encore des postes supplémentaires comme une suite logique de l’augmentation de la part européenne des dépenses communes ?
Marin, l’amiral défend l’extension du périmètre euro-atlantique à l’Indopacifique face à la Chine (au “Monde”, 21 mai 2025). La déclaration finale du sommet de l’OTAN ne mentionne que deux menaces sur la sécurité euro-atlantique : la Russie pour “le long terme” (unique mention contre 43 fois dans la déclaration du dernier sommet) et le “terrorisme”. Rien sur l’Asie. Associés systématiquement depuis trois ans, trois des quatre puissances asiatiques invitées ont déclaré forfait : la Corée du sud, le Japon et l’Australie. Seule la Nouvelle-Zélande dont le gouvernement conservateur a renversé la politique extérieure traditionnelle du pays, était présent. Le German Marshall Fund, moteur de l’atlantisme militant, recommande “une réinvention de l’Alliance par l’élargissement de ses partenariats stratégiques au-delà de l’espace euro-américain, un G 7 élargi” (“Le Monde”, 28 juin 2025). Cela ne semble plus d’actualité.
Le sommet 2026 aura lieu en Turquie, ce qui pourrait être un rendez-vous intéressant à préparer. En 2027, ce sera l’Albanie. L’Europe au centre, ce serait une ouverture politico-stratégique, avec ou sans OTAN.
Yves LA MARCK
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