De l’injustice de la justice ! – par Jean Daspry

Août 8, 2025 | Billet invité

 

La vérité est en marche

Et rien ne l’arrêtera.

Qui souffre pour la vérité et la justice

Devient auguste et sacré.

Il n’est de justice que dans la vérité

Il n’est de bonheur que dans la justice

Émile Zola (stèle érigée avenue Émile Zola dans le XVème arr. de Paris).

 

Cette citation devrait être enseignée aux futurs magistrats au sein de la prestigieuse École nationale de la magistrature (ENM) sise dans la bonne ville de Bordeaux. Elle devrait l’être également aux futurs membres du Conseil d’État (formés dans le vivier chic et choc de l’INSP, ayant succédé à feu l’ENA) sis à Paris, Place du Palais-Royal. C’est peu dire que la Justice – qu’elle soit judiciaire ou administrative -, qui n’est pas une science exacte, devrait en faire son miel pour éviter quelques spectaculaires embardées dont elle s’empresse d’effacer aussitôt les traces compromettantes[1]. En dépit de ce lourd passif, les magistrats les plus capés du siège et du parquet interviennent régulièrement dans les gazettes pour s’ériger en rempart contre les basses attaques dont leur corporation ferait l’objet de la part d’imbéciles de grand chemin. À les lire, les magistrats seraient infaillibles, étant détenteurs d’une sorte de vérité révélée qui les mettrait à l’abri des injustices dont certains ont l’outrecuidance de les accuser. Nous en avons un exemple frappant avec la tribune mordante de l’ex-juge, Eva Joly[2] publiée en réaction aux attaques de l’actuelle Ministre de la Culture, ex-Garde des Sceaux, Rachida Dati contre les magistrats ayant décidé de l’envoyer faire un petit détour par la case tribunal correctionnel pour des faits allégués de « corruption et de trafic d’influence »[3]. Ni plus, ni moins[4]. La dame, écologiste pur jus, nous explique les immenses bienfaits de la justice de la certitude. A contrario, elle passe sur les immenses méfaits de cette justice qui ignore le doute.

DES IMMENSES BIENFAITS DE LA JUSTICE DE LA CERTITUDE

D’entrée de jeu, reconnaissons à Eva Joly un pouvoir de conviction certain tout au long de sa démonstration implacable présentée comme une réponse à la charge virulente de Rachida Dati contre les magistrats accusés de violer les droits de la défense[5].

Eva Joly assène, in limine litis, ses coups à l’exécutif, évidemment contre la Ministre de la Culture, évoquant une « faillite morale ». Puis, elle change de cible en s’en prenant au Président de la République pour son silence coupable. En effet, il aurait dû intervenir en sa qualité de garant constitutionnel de l’indépendance de l’autorité judiciaire soit pour la recadrer, soit pour l’évincer. Le ton est donné. Ensuite, elle rappelle les attaques passées contre l’institution judiciaire, citant celle de Nicolas Sarkozy. Elle en profite pour décerner un satisfecit aux juges qui n’ont pas courbé l’échine face aux attaques de la classe politique. Elle attribue cet esprit de résistance « à la forte légitimité qu’ils tirent de leur compétence ». Revenant au passé, elle rappelle la prégnance de la tension entre le pouvoir et les juges qu’elle fait remonter à l’époque de la Révolution française. Mais, cette dernière a su mettre en place la « séparation des pouvoirs » théorisée par les Lumières, en particulier par Montesquieu. Elle en profite pour décocher ses flèches contre Viktor Orban, Donald Trump et Benjamin Nétanyahou qui n’ont cure du principe de limitation d’un pouvoir par un autre, garant d’une authentique démocratie. Puis, elle revient au cas Dati dont elle évacue les critiques d’un revers de main, prétexte pris que tous les magistrats impliqués dans cette affaire étaient parvenus à des conclusions identiques. Comment, dans ces conditions, ces professionnels se seraient-ils ligués contre la prévenue pour régler des comptes avec elle ? Pareille hypothèse est invraisemblable. Elle en profite pour réfuter la critique du « gouvernement des juges », étrillant au passage Éric Zemmour pour son ouvrage publié en 1977, intitulé Le coup d’État des juges. Elle évoque les condamnations de Jacques Chirac (2011) et d’Alain Juppé (2004) dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Ces dernières débouchent sur la création du Parquet national financier en 2013 dans la suite de l’affaire Cahuzac. Cette nouvelle structure permet de dégager des moyens financiers permettant des enquêtes visant des personnalités puissantes. La mise en place de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) complète utilement le dispositif.

En guise de conclusion, Eva Joly, jamais habitée par le doute, qualifie de « miracle » le fait de pouvoir poursuivre des dirigeants politiques ou industriels malgré les forces puissantes qui les protègent. Elle termine en apothéose en affirmant que ce miracle tient au fait que le peuple soutient les juges, qu’il est conscient que les atteintes à la probité par des puissants constituent le meilleur chemin vers la tyrannie. Rien de moins. Nous citerons in extenso sa péroraison : « Il sait que le juge est le protecteur d’acquis civilisationnels précieux, issus d’une tradition plurimillénaire qui puise ses racines dans la philosophie grecque, et que le juge est un acteur crucial de la société démocratique ». Rien de moins. Les honnêtes gens peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Le bon juge veille sur eux et traquent les politiques véreux. Quelle chance avons-nous de vivre dans la patrie autoproclamée des droits de l’homme.

À y regarder de plus près, le réquisitoire implacable de Madame propre présente quelques faiblesses intrinsèques qu’il convient d’analyser.

DES IMMENSES MÉFAITS DE LA JUSTICE DE LA CERTITUDE

Manifestement, Eva Joly n’a rien perdu de sa verve, de sa gouaille, de sa détermination à faire tomber des têtes[6]. Elle garde son style Fouquier-Tinville, accusateur central pendant le début de la Révolution française et la Terreur. À la lire, Madame est toujours plus militante (subjective par nature) que magistrate (objective par essence) ! Elle n’a jamais été une fervente adepte de la retenue. Pourquoi voudrait-on que cela change ?

Que nous explique-t-elle avec une fougue et une conviction qui peuvent aisément prêter le flanc à la critique ? En décrétant qu’Emmanuel Macron aurait dû « sanctionner » sa Ministre de la Culture, Eva Joly commet une faute impardonnable, la violation du principe de séparation des pouvoirs. Dans le cas de figure, elle estime que l’autorité judiciaire devrait lancer des injonctions au pouvoir exécutif. A-t-elle déjà oublié le contenu de ses cours de droit constitutionnel ? Elle suit la démarche du Syndicat de la magistrature (SM) qui n’a de cesse de critiquer vertement les textes émanant du pouvoir exécutif et législatif comme attentatoires aux libertés fondamentales. Le peuple n’est-il pas souverain ? On croit rêver en lisant pareille sornette émanant de personnes qui se drapent dans les oripeaux du concept galvaudé d’État de droit[7]. Comment penser que notre magistrate de choc est indépendante et impartiale (Cf. droit à un procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe) ? Elle s’attaque en priorité à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et Alain Juppé et accessoirement à Jérôme Cahuzac. Suivez mon regard ! De quel droit Eva Joly se permet-elle de juger Donald Trump, Viktor Orban ou Benjamin Nétanyahou – si critiquables soient-ils – qui ont été élus démocratiquement par le peuple et non par un coup de baguette magique ?[8] C’est bien la preuve que cette Dame n’a rien à faire de la souveraineté du peuple consacrée par l’article 2 de la Constitution française du 4 octobre 1958, principe qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Le fait que tous les magistrats sollicités dans le cadre de l’affaire Dati aient conclu à la culpabilité de cette dernière ne constitue pas une preuve irréfragable ? Eva Joly a manifestement oublié les affaires Dreyfus, Iacono, Dills, Outreau … dans lesquels les magistrats se sont fourvoyés collectivement. Les sanctions de ces juges ont-elles été proportionnées à la gravité de leur faute ? Les punitions sont pour les autres, jamais pour eux[9]. Les « petits pois » ne supportent pas la moindre critique, y compris lorsqu’elle est justifiée, en tout ou en partie. Ils ont le droit et le devoir de dire si telle loi est bonne ou mauvaise. Nous pensions que cette fonction revenait au pouvoir législatif et non à l’autorité judiciaire chargée d’appliquer la loi et non de la critiquer. Une fois encore, le peuple est souverain et c’est en son nom que sont rendues les décisions de justice. Pour les magistrats, il s’agirait d’une pure clause de style qui ne les oblige pas. L’on croit rêver à les lire dans nos journaux, à les entendre à la TSF, à les voir sur les plateaux des chaînes d’abrutissement en continu.

Son madrigal final sur « le juge acteur crucial de la société démocratique » est risible tant il est en décalage avec l’opinion majoritaire des Français sur la justice. Si tout allait aussi bien au sein de l’autorité judiciaire, pourquoi les sondages d’opinion concordants au fil du temps démontrent une défiance croissante contre les magistrats pour leur laxisme envers les délinquants qui leur pourrissent la vie ?[10] Sujet qu’Eva Joly se garde bien d’aborder dans son plaidoyer pro domo. Si tout allait aussi bien au sein de l’autorité judiciaire, pourquoi le Garde des Sceaux aurait-il mis en chantier une réforme pénale ambitieuse[11] que les magistrats vilipendent matin et soir à l’exception d’une minorité[12]. Gérald Darmanin la place sous le signe du bon sens et de l’adéquation avec les vifs souhaits et les premières priorités de nos concitoyens. Cela est inacceptable et insupportable pour nos magistrats à hermine en retard d’un train de société.

Eva Joly vit manifestement dans un autre monde comme nombre de ses collègues idéalistes ou idéologues.

LA JUSTICE ENTRE DROIT ET CONSCIENCE

 « La justice immanente est rarement immanente » (Pierre Dac). Souvent les bons humoristes nous éclairent simplement sur des problématiques complexes. L’immense mérite de la saillie d’Eva Joly est qu’elle se discrédite elle-même par ses outrances, ses approximations et ses erreurs grossières. Aussi coupable est la quotidien Le Monde qui décrète pratiquer un « journalisme fiable » ! Pour être fiable, il faut tendre à l’objectivité. Nous n’en sommes pas là. Pour être crédible, ce journal de référence de l’intelligentsia germanopratine aurait dû présenter en même temps que cette tribune une autre en prenant le contrepied. Ainsi, le lecteur aurait pu se forger sa religion en toute objectivité. Comment les citoyens français peuvent-ils encore faire confiance à la justice de leur pays[13] en lisant pareilles carabistouilles sous la plume d’une ex-magistrate qui n’a pas laissé que de bons souvenirs chez ceux qui ont eu la malchance de passer entre ses mains ? Comment peuvent-ils encore faire confiance à des magistrats politisés dont l’indépendance et l’impartialité doit être questionnée (Cf. un tiers de la corporation appartient au Syndicat de la magistrature) ? Horresco referens ! La question soulevée par le contenu de la philippique d’Eva Joly est d’importance en un temps de doute croissant des Français à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif et de l’autorité judiciaire censée être la bouche du droit et non celle qui l’écrit[14]. Le pire, dans une démocratie authentique, dans un État de droit digne de ce nom, n’est-il pas de supporter l’injustice de la justice ?

Jean DASPRY

(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques).

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.

*** 

[1] Guy Bechtel/Jean-Claude Carrière, Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, Robert Laffont, 1965.

[2] Eva Joly, « Jeter l’opprobre sur les juges relève de la faillite morale », Le Monde, 27-28 juillet 2025, p. 24.

[3] Rémi Dupré, La stratégie de défense contre-productive de Dati dans l’affaire Ghosn, Le Monde, 20 juillet 2025, p. 8.

[4] Éditorial, Rachida Dati sur le fil du rasoir, le Monde, 31 juillet 2025, p. 26.

[5] Elle cause plus, elle flingue, Le Canard enchaîné, 30 juillet 2025, p. 2.

[6] Ancienne juge d’instruction au pôle financier du Palais de justice et ancienne députée européenne écologiste (2009-2019), candidate à la présidence de la République en 2012.

[7] Nicolas Truong (propos recueillis par), Laurent Fabius « L’État du droit ne vaut que dans le respect de l’État de droit », Le Monde, 24 mai 2025, p. 25.

[8] Franck Johannès (propos recueillis par), Patrice Spinosi : « Même les démocraties les mieux installées peuvent être dévitalisées par un leader populiste », Le Monde, 20 mai 2025, p. 27.

[9] Rémi Dupré, Dati signalée à la justice pour « outrage », Le Monde, 3-4 août 2025, p. 7.

[10] Clémence de Longraye, « Le système est devenu laxiste » : Gérald Darmanin passe-t-il à l’action ?, www.bvoltaire.fr , 29 juillet 2025.

[11] Grégoire Biseau, Darmanin précise les contours de sa réforme pénale, Le Monde, 30 juillet 2025, p. 9.

[12] Grégoire Biseau, Béatrice Brugère, l’influente magistrate répressive, Le Monde, 18 juin 2025, p. 11.

[13] Claude Butin, Ne faites jamais confiance à la justice de votre pays, Les 3 Colonnes, 2022.

[14] Bruno Cotte/Geneviève Giudicelli-Delage/Christine Lazerges, Préservons l’équilibre, fragile mais indispensable entre le politique et la justice, Le Monde, 8 juillet 2025, p. 25.

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