On se demandait ce que la reconnaissance internationale de l’Etat de Palestine signifiait au-delà des simples relations diplomatiques. La réponse est venue de la déclaration finale de la conférence internationale réunie aux Nations Unies à New York sur « le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux Etats » en date du 29 juillet 2025.
Sous la coprésidence française et saoudienne, en la personne des deux ministres des Affaires étrangères, la déclaration ne se limite pas aux habituelles périphrases et aux bonnes intentions, aux affirmations solennelles et aux principes fondamentaux. C’est plutôt une feuille de route méthodique développant une stratégie cohérente. L’exploit est plutôt inattendu pour être souligné. Cela ne signifie pas que ce soit un exercice hors-sol. Au contraire, il engage les signataires. A cet égard, Paris est par position concerné au premier chef, plus qu’on aurait imaginé, plus qu’il sera sans doute possible de sa part, peut-être prisonnier d’un engrenage qui n’a pas été totalement mesuré au départ. Bref, il semble que les négociateurs français soient allés plus loin que ne l’autorisait leur mandat initial. D’accord pour la diplomatie, mais ici on est au-delà, dans l’action directe.
La déclaration ne comporte pas moins de 42 paragraphes, issus de huit groupes de travail. Le document cherche à répondre à certaines préoccupations israéliennes. Contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, il est de facture arabe plus qu’européenne. Il est clair que l’Arabie saoudite en fut l’auteur principal et non la France qui n’est pas au même degré partie prenante mais a joué son rôle d’intercesseur autant que d’intermédiaire.
La déclaration choisit de ne pas partir des résolutions onusiennes spécifiquement. Certes la mention des résolutions « pertinentes » y figure mais au côté des initiatives arabes de paix. Nulle référence non plus à l’historique des accords de Camp David à Oslo. En un sens, ce nouveau pragmatisme ne devrait pas déplaire à Jérusalem. Le document se garde bien de viser les derniers développements à la CIJ, à la CPI, ou à l’Assemblée générale des Nations Unies dominés par les pays dits du Sud global. Ce qui n’a pas manqué de décevoir les organisations de soutien au peuple palestinien à travers le monde, y compris en France, qui attendent de la 80 e session de l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 septembre une condamnation définitive d’Israël et l’admission pleine et entière de la Palestine à l’ONU.
Deux préoccupations israéliennes sont prises en compte : la gouvernance des Palestiniens et la sécurité. Sont présents outre l’Arabie saoudite, les deux pays qui ont un traité de paix avec Israël, l’Egypte et la Jordanie, ainsi que le Qatar et la Turquie. C’est tout, mais cela suffit. La Ligue arabe était représentée en tant que telle mais n’engage pas ses membres. Si ce cœur de pays est uni et déterminé, il peut décider de l’Autorité palestinienne comme il l’entend. C’est ce qui est fait dans plusieurs paragraphes. Une Autorité dûment rénovée, élue dans un délai d’un an, se voit reconnue comme compétente sur l’ensemble des territoires, y compris Jérusalem est et la Bande de Gaza. Hamas doit « cesser d’exercer son autorité » et « remettre ses armes à l’AP ».
Concernant la sécurité, les signataires s’engagent à encadrer les forces de sécurité de l’AP, la déclaration prend note que l’AP ne souhaite pas un « Etat démilitarisé ». Une « mission internationale temporaire de stabilisation sous l’égide des Nations Unies avec un mandat du conseil de sécurité est prévue à laquelle « plusieurs Etats membres » se sont montrés « disposés à mettre des troupes à disposition ». La France est-elle de ceux-ci ?
Autre pas en direction d’Israël : la suppression programmée de l’UNRWA au paragraphe 14. Première mention de ce genre entourée certes de nombreuses conditions et circonvolutions, mais le principe n’est plus tabou. L’agence des Nations Unies remettrait ses « services publics » dans les territoires aux institutions palestiniennes dûment habilités et préparés ». La contrepartie est le maintien du droit au retour, que les Etats arabes ne pouvaient évidemment pas ne pas mettre en avant, sans néanmoins élaborer. La question est ouverte dans la mesure où le statut des Palestiniens hors de Palestine, la moitié du total (7 sur 14 millions selon les estimations), varie d’un pays à l’autre. La Jordanie est seule à leur avoir accordé la nationalité jordanienne sauf à une partie d’entre eux. En Egypte et au Liban, ils sont pour la plupart ou réfugiés ou apatrides.
La Jordanie n’a pas oublié dans un paragraphe 30 de rappeler ses droits comme gardienne des lieux saints musulmans et chrétiens à Jérusalem et l’administration jordanienne des biens sur l’Esplanade des Mosquées (Waqfs et Al Aqsa). On regrettera que Jean-Noël Barrot n’ait pas eu l’occasion de rappeler le rôle de la France à ce sujet.
Un point faible : un seul paragraphe (18) traite en termes trop généraux des mesures de lutte contre les « haines », les « extrémismes » sans que personne ne soit nommé.
Au total, la déclaration n’est pas destinée au classement vertical. Elle mérite la lecture. Elle sonne un son neuf. Elle se veut clairement une base de négociation. Aucune idéologie, aucune condamnation, pas d’ultimatum, Israël peut y trouver son intérêt. En un sens, la déclaration reflète l’état d’avancement des consciences déjà enregistré avec les accords d’Abraham. Le quai d’Orsay y a confirmé sa compétence et sa flexibilité en ce domaine de prédilection.
Outre les pays de la région mentionnés ci-dessus, la communauté internationale était restreinte à onze Etats : trois membres de l’Union européenne, Espagne, Irlande, Italie ; deux autres européens, le Royaume Uni et la Norvège ; deux autres membres du G 7, le Japon et le Canada ; deux sud-américains, le Brésil et le Mexique ; deux musulmans, l’Indonésie et le Sénégal.
A ce stade, une bonne surprise, un bel exercice diplomatique, digne des professionnels qui s’y consacrent avec persévérance, qui reste à être transformé en conscience politique. L’Etat de Palestine est plus qu’un concept vide, il a gagné un peu de chair.
Yves LA MARCK
(Yves La Marck assure la chronique de politique étrangère dans Royaliste depuis un demi-siècle).
0 commentaires