Jupiter ou la symphonie ukrainienne – par Jean Daspry

Août 22, 2025 | Billet invité

 

« Si on commence avec des certitudes, on finit avec des doutes » (Francis Bacon).

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« Le doute est le commencement de la sagesse » (Aristote). Le doute n’est à l’évidence pas la qualité première que l’on reconnait au Président de la République, Emmanuel Macron tant il est sûr de son fait. Or, dans la sphère diplomatique, le doute est une force, pas une faiblesse. Il permet d’appréhender les problématiques internationales, y compris les plus complexes, sans a priori, sans idée préconçue ab initio. Ainsi, il conduit à laisser ouvertes toutes les options, y compris les moins probables. Ne dit-on pas qu’un diplomate surpris est un diplomate désarmé ? Et, c’est bien ce qui caractérise le cogito macronien au regard d’une expérience de huit années passées à la barre du navire France. À trop vouloir avoir raison sur tout, il finit par avoir raison sur rien. Nous en avons un exemple éclairant avec la démarche poursuivie par le Chef de l’État depuis le début du conflit ukrainien le 24 février 2022. Tel Moïse marchant sur l’eau, un Emmanuel Macron triomphant promet urbi et orbi la (l’étrange) victoire de l’Ukraine sur l’ours russe. Mais, depuis le début de l’année 2025, marquée par le retour à la Maison Blanche de Donald Trump qui fait ce qu’il avait promis, les cartes sont rebattues. Face à la force du réel, un Emmanuel Macron lénifiant doit enfin composer avec (l’étrange) défaite de ses brillantes idées, mais aussi et surtout, de l’Ukraine.

MACRON TRIOMPHANT OU L’ÉTRANGE VICTOIRE

Comme dans moultes disciplines, tout raisonnement biaisé, surtout lorsqu’il emprunte les chemins tortueux d’une morale, à géométrie variable débouche immanquablement sur une conclusion erronée, a fortiori lorsqu’il s’agit de la guerre.

Un raisonnement biaisé : la voie de la morale

Dès le premier jour de l’invasion russe de l’Ukraine, Emmanuel Macron adopte une ligne ayant toutes les apparences de la cohérence. Moscou est l’agresseur, Kiev est l’agressé. En conséquence, la France, appuyée par ses alliés européens, doit aider l’Ukraine à se défendre pour repousser les assauts intolérables de l’ours russe, d’une part, et condamner vigoureusement et sanctionner le fada du Kremlin pour le mettre à genoux au plus vite, d’autre part. Tout cela au nom des grands principes, des valeurs universelles et du respect du droit international. C’est pourquoi, Jupiter décrète de couper tous les ponts diplomatiques avec Vladimir Poutine. Si cette position est entièrement justifiée sur un plan moral, elle l’est moins sur un plan diplomatique, celui de la Realpolitik. En effet, l’essence même de la diplomatie réside dans le dialogue avec l’autre, surtout dans les périodes paroxystiques. Qui plus elle, pareille démarche permet de laisser ouvertes toutes les options futures. Gouverner, c’est prévoir, nous rappelle l’adage ancien ! Il n’est nul besoin d’être grand clerc pour savoir que les militaires cèdent toujours la place aux diplomates, une fois que les armes se taisent. C’est cette ligne mortifère conflictuelle qu’adopte et suit le guerrier Emmanuel Macron avec une constance qui force le respect. Il tire naturellement les conclusions qui s’imposent dans la conduite de sa diplomatie au fil de l’eau, du chien crevé au fil de l’eau.

Une conclusion erronée : la voie de la guerre

Compte-tenu de ce qui précède et en dépit des inconvénients inhérents à sa démarche, Emmanuel Macron place tous ses œufs dans le même panier, celui du seul recours aux armes pour tenter de régler le conflit russo-ukrainien. Il plaide pour cette voie auprès de ses partenaires européens, avec succès, reconnaissons-le. Et, les dernières années, jusqu’à la fin 2024, sont marquées par la fourniture, manu larga, d’armes à Kiev (certaines dont nos Armées manquent comme les canons Caesar) ; par la formation de militaires ukrainiens tant sur place qu’en France ; par le déversement, sans contrôle tatillon, de milliards d’euros aux autorités de ce pays des blanches mains de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Pfizer ; par des promesses, souvent non honorées, d’en faire toujours plus pour satisfaire les appétits insatiables de l’ancien comique… Cette démarche débridée est conduite sans la moindre stratégie cohérente de long terme si ce n’est celle de défaire la soldatesque russe et de la bouter hors du sol ukrainien, le plus rapidement possible. Force est de constater que la petite armée ukrainienne fait des miracles face au rouleau compresseur du tyran de Moscou ! Miracle, embrassons-nous Folleville. Mais, au fil du temps, la situation se retourne par la conjonction de plusieurs facteurs : attrition de l’aide américaine et européenne ; supériorité de la meute russe ; lassitude de la population ukrainienne …

Comme le souligne feu Jacques Chirac en son temps : « Les m., ça vole en escadrilles ». Et, le 5 novembre 2024, le peuple américain porte ses suffrages sur Donald Trump qui ne fait pas mystère de faire cesser les combats au plus vite en négociant directement avec Moscou et de couper le robinet de l’aide américaine à l’Ukraine. Jupiter n’a pas vu venir l’homme à la mèche blonde qui se veut faiseur de paix et, pourquoi pas, prochain Prix Nobel de la paix, avant d’aller au paradis.

MACRON LÉNIFIANT OU L’ÉTRANGE DÉFAITE

Au fil du temps, Emmanuel Macron se révèle comme l’exemple type du diplomate somnambule incapable de percevoir le monde réel caractérisé par le dialogue des grandes puissances, comme au bon vieux temps de la Guerre froide. Il excelle dans sa pratique préférée d’une diplomatie de l’impuissance comme en témoignent ses innombrables déclarations à jet continu aux médias et sur les réseaux sociaux.

Un diplomate somnambule

Alors que les résultats des sondages entre Donald Trump et Kamala Harris sont serrés, Emmanuel Macron ne veut pas envisager, l’espace d’une seconde, la probabilité d’une victoire du milliardaire à la mèche blonde à la présidentielle américaine du 5 novembre 2024. Qui plus est lorsque le pire pour lui est arrivé, il se plait à croire que le malappris à la crinière ne fera pas ce qu’il a promis sur l’Ukraine. Il oublie que les États-Unis ne sont pas la France et que Donald Trump n’est pas « Joe l’endormi ». Errare humanum est, perseverare diabolicum. Il commence à peine à comprendre que la voie choisie pour le règlement du conflit est la voie pacifique et que « la paix passe par Trump »[1], qu’il le veuille ou non. Le temps des illusions a passé. L’Ukraine est en ruines. Elle perd la guerre. Les Européens en sont à quémander un strapontin à la table de négociation[2]. Ils peuvent sauter sur leur chaise comme un cabri en criant « garanties de sécurité » à l’Ukraine[3] et à faire bloc derrière Volodymyr Zelensky[4], cela ne changera rien. Même s’il est encore trop tôt pour préjuger de l’issue de la dynamique bilatérale lancée à Anchorage par le Président américain, Emmanuel Macron est en retard d’une guerre au sens propre et figuré. Pour s’être fait le bon apôtre de la guerre, il est et sera le laissé-pour-compte de la paix, le dindon de la farce diplomatique qui se joue hors Paris et sans Paris. De proche en proche, le Président de la République en est réduit à jouer les utilités.

Un diplomate impuissant

Emmanuel Macron est désarmé à tous les sens du terme. Faute de disposer de leviers sur la suite de l’exercice, il est conduit à pratiquer son exercice favori, la communication à outrance et outrancière, celle qui le discrédite dans le concert des nations. À titre d’exemple, les propos peu diplomatiques qu’il tient à propos du Président russe : « Poutine est un ogre qui a besoin de manger pour survivre » (Emmanuel Macron, 19 août 2025) sans parler de son intervention sur LCI et ses coups de gueule dans Paris Match aussitôt après les rencontres de Washington du 18 août 2025[5]. Est-ce digne d’un Chef de l’État qui aspire à jouer un rôle de premier plan, avec ses partenaires européens, dans la suite du processus de négociation sur l’Ukraine lancé par Donald Trump ?[6] Cette réaction est pour le moins enfantine, pour ne pas dire ridicule. En sus de la diplomatie du mégaphone, exercice dans lequel il excelle, Emmanuel Macron se vautre dans la diplomatie de l’agitation permanente[7]. S’agiter pour exister, telle semble être sa devise ! Et cela ne conduit nulle part si ce n’est à une impasse et au ridicule alors qu’Américains et Russes sont à la manœuvre[8]. « Le coq gaulois sans cervelle » (surnom dont l’affuble Dimitri Medvedev) n’a pas de plan B pour sortir du piège qu’il a lui-même armé, privilégier la guerre par rapport à la paix. Vladimir Poutine est devenu le maître des horloges[9] pendant qu’Emmanuel Macron est le spectateur du sablier qui s’écoule.

LA RÉVÉLATION DES CONTRAIRES

« Si nous voulons être libres, si nous voulons être indépendants, nous devons être craints, si nous voulons être craints, nous devons être puissants ». Telles sont les paroles frappées au coin du bon sens prononcées par Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse organisée au Fort de Brégançon (Var), le 17 août 2025[10], à la veille de s’envoler pour Washington pour participer à la réunion organisée par Donald Trump à la suite du sommet américano-russe d’Anchorage (15 août 2025)[11]. Tout va très bien, Madame la marquise … hormis un petit rien. Entre de ce que dit, proclame le Président de la République urbi et orbi et ce qu’est la situation de notre Douce France, telle que ressentie par ses citoyens, tant sur le plan intérieur qu’extérieur – il n’est nul besoin de s’y appesantir – existe un gouffre, celui du réel[12]. Le réel sur lequel se cogne aujourd’hui le Chef de l’État tout en faisant mine de ne pas s’en apercevoir. En définitive, la France n’est ni libre, ni indépendante et encore moins crainte car elle est impuissante. Comment, dans ces conditions, faire valoir une position originale sur le dossier ukrainien comme sur celui du Proche-Orient ? Tels sont les accents de la symphonie ukrainienne composée et interprétée par Jupiter, ingénieur en chef du chaos !

 Jean DASPRY

(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.

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[1] Philippe Gélie, La paix passe par Trump, Le Figaro, 20 août 2025, p. 1.

[2] Philippe Ricard/Cédric Valet, Guerre en Ukraine : les Européens à l’heure des choix, Le Monde, 21 août 2025, p. 2.

[3] Cédric Vallet, Les garanties de sécurité à l’Ukraine, la priorité sur le Vieux Continent, Le Monde, 19 août 2025, p. 3.

[4] Thomas d’Istria, Les Européens font bloc derrière Zelensky face à Trump, Le Monde, 19 août 2025, pp. 2-3.

[5] Nicolas Barotte, Ukraine : le sursaut des Européens pour ramener Trump dans leur camp, Le Figaro, 20 août 2025, pp. 2-3.

[6] Éditorial, À Washington, une rencontre indispensable mais peu fructueuse, Le Monde, 20 août 2025, p. 26.

[7] Macron, le fort en gueule de Brégançon, Le Canard enchaîné, 20 août 2025, p. 2.

[8] Constantin Gaschignard (propos recueillis par), Jean-François Colosimo : « Vladimir Poutine et Donald Trump partagent un objectif commun : la mise au pas de l’Europe », Le Figaro, 20 août 2025, p. 18.

[9] Emmanuel Grynszpan, Les troupes russes menacent la région de Donetsk, Le Monde, 21 août 2025, p. 3.

[10] Mariama Darame, Macron appelle à une « nouvelle phase diplomatique », Le Monde, 19 août 2025, p. 7.

[11] Nicolas Barotte, Zelensky et ses alliés face au « deal » de Trump, Le Figaro, 19 août 2025, p. 4.

[12] Giuseppe Gagliano, Europe : quand la menace ne vient plus de l’extérieur …, www.lediplomate.media, 19 août 2025.

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