« Pour faire un bon diplomate, il ne faut pas seulement être ignorant, il faut aussi être poli » nous rappelle fort à propos ce maître de la diplomatie qu’est Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Au-delà de la boutade, il y a dans cette citation connue une bonne dose de bon sens chez celui qui fut homme d’Église, homme d’État, diplomate français actif du règne de Louis XVI à celui de Louis Philippe, particulièrement pendant les périodes de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration. Il nous rappelle que tout diplomate qui se respecte doit mêler harmonieusement qualités de l’âme et de l’esprit. Par ailleurs, il ne vise que des objectifs limités dans le champ du possible. De la sorte, il contribue, à sa manière et selon ses moyens, à remplir l’un des objectifs assignés à l’État qu’il représente par le Préambule de la Charte de l’ONU, à savoir « à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage, à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales … »[1]. Ce qui n’est pas très courant de nos jours dans le monde en transition que nous connaissons et, en particulier, dans notre Douce France sous le règne empreint de magnificence et de munificence de Jupiter 1er. Faisant fi des leçons de la théorie diplomatique classique qui fait la part belle au diplomate pompier, le Président disrupteur inaugure une pratique nouvelle qui privilégie le diplomate pyromane. Passons de la théorie à la pratique !
DE LA THÉORIE DIPLOMATIQUE CLASSIQUE : LE DIPLOMATE POMPIER …
De façon très logique, la diplomatie classique définit ses objectifs clairs servis par une méthodologie ayant fait ses preuves au fil des siècles.
Des objectifs clairs
« Le rôle du diplomate est d’accourir avec un seau partout où le feu menace » (Klemens Wenzel von Metternich). Ainsi, l’on comprend mieux le rôle dévolu à tout diplomate qui s’apparente à celui d’un pompier. Il est censé agir tant en amont, pour prévenir le feu qui couve aux quatre coins de la planète qu’en aval, pour faire cesser la guerre lorsqu’elle n’a pu être évitée. Les choses sont relativement claires dans le binôme guerre et paix : au militaire de jouer sur le terrain de la coercition, au diplomate d’œuvrer dans le champ de la coopération. Pour résumer, l’on peut se référer à l’adage populaire « chacun son métier, les vaches seront bien gardées » tiré de la fable Le Vacher et le Garde-chasse que l’on doit à Jean-Pierre Claris de Florian en 1792. C’est de cette dichotomie que le diplomate tire sa force. Comme le rappelle le Duc de Broglie : « Il reste vrai qu’en tout temps et en tout état politique, la diplomatie, c’est-à-dire l’art d’entretenir des relations et de débattre les questions qui s’élèvent entre des nations indépendantes » en s’appuyant sur la connaissance des faits et la connaissance des hommes. En conséquence, il n’y a rien de plus dangereux que de mettre des journalistes de profession dans le bain de la diplomatie, parce que les médias, dans leur souci de l’urgence parlent de choses qu’ils ne savent pas, tandis que les diplomates ont le devoir de ne pas parler de celles qui savent. Quoiqu’on fasse et qu’on dise, la diplomatie ne s’improvise pas.
Une méthodologie éprouvée
« Là, nous ne sommes plus dans le flamboiement de la philosophie, mais dans le terre-à-terre de la diplomatie ». (François Missoffe, 1977). Ainsi, de proche en proche, par petites touches successives, à la manière d’un peintre impressionniste s’esquisse le portrait en creux du diplomate réel, non celui irréel qui ressort des clichés du diplomate Ferrero Rocher. Un homme tout en retenu dans son attitude, dans son propos qui récuse l’excès, sachant parfaitement que tout ce qui est excessif est insignifiant. Un homme aiguillé par le bon sens et le calme. Un homme qui sait éponger pour prévenir les conflits, y compris en avalant son chapeau. Un homme qui doit adapter son attitude en fonction du temps et du lieu. En effet, il est incontestablement des circonstances où la diplomatie doit devenir ferme et même brutale, il en est également où elle doit rester souple, temporisatrice et ondoyante. Tout est question d’équilibre. Un homme qui doit débrouiller les questions les plus compliquées qui n’existeraient pas s’il n’y avait pas de diplomates. Un homme discret qui se garde comme de la peste de mettre de l’huile du feu à la manière d’un pyromane. Or, c’est malheureusement dans ce travers que tombe à pieds joints le plus jeune Président de la Cinquième République. Volontairement ou involontairement ?
… À LA PRATIQUE DIPLOMATIQUE NOUVELLE : LE DIPLOMATE PYROMANE
Après la théorie, passons à la pratique diplomatique d’Emmanuel Macron qui ignore manifestement que « le but de la diplomatie n’est pas d’avoir raison de l’adversaire mais d’éviter de l’humilier ». (Emmanuel de Waresquiel ». Fort de la conviction d’être l’unique dépositaire d’une sorte de vérité révélée, d’avoir la morale et le droit, Emmanuel Macron s’enfonce dans le déni des vérités dérangeantes. Il refuse « l’acceptation loyale du conflit qui commence par le respect de son adversaire et la prise en compte de ce qu’il exprime »[2].Prenons quelques exemples concrets tirés de l’actualité internationale la plus récente pour illustrer notre propos !
États-Unis. Charles Kuchner, ambassadeur des États-Unis à Paris enfonce le clou israélien là où ça fait mal en critiquant « l’absence d’action suffisante » d’Emmanuel Macron contre l’antisémitisme. Ceci lui vaut d’être convoqué, pour les remontrances d’usage, par le Quai des Brumes. Estimant que ceci n’est pas de son niveau et qu’il avait mieux à faire (aller nager à la piscine), il se fait représenter par son chargé d’affaires[3]. En dépit des réprimandes du Quai d’Orsay sur le thème du refus des ingérences étrangères, le proche de Donald Trump enfonce le clou dans un entretien postérieur accordé à Darius Rochebin sur LCI et à Paris Match. Une sorte de coup de pied de l’âne. De minimis non curat praetor. Encore, une nouvelle humiliation pour le Président de la République sur un sujet sensible à un moment où il en a nul besoin sur le plan intérieur[4] ! Sujet qui risque de devenir son sparadrap du capitaine Haddock. Par ailleurs, Donald Trump rappelle à son homologue français qu’il n’a cure de ses avertissements sur un éventuel entretien Poutine-Zelensky.
Israël. Avec le Premier ministre israélien (qui n’est pas exempt de tout reproche), Emmanuel Macron ne cesse de multiplier les attaques gratuites, sur un plan diplomatique, avec une régularité de métronome alors qu’il prétend vouloir jouer un rôle de premier plan dans le règlement du problème palestinien : « l’offensive à Gaza ne peut conduire qu’à un véritable désastre », déclare-t-il. Résultat, la fracture ne cesse de se creuser sans que l’on devine où il veut aller en termes stratégiques[5]. Au bout du compte, il reçoit une missive bien sentie de Benjamin Netanyahou qui l’accuse d’attiser le « feu de l’antisémitisme » en France, basée sur quelques faits objectifs incontestables. Le Président de la République lui répond par une missive[6] peu convaincante sur plusieurs points en dépit des jugements positifs du folliculaire du Monde. Si critique il doit y avoir de l’action du gouvernement israélien, elle devrait se faire en dehors de la place publique pour conserver des marges de manœuvre à l’avenir
Italie. Matteo Salvini déclare à l’endroit de Jupiter : « Vas-y toi. Tu mets le casque, le gilet pare-balles, le fusil et tu pars en Ukraine ». En dépit d’une convocation de l’ambassadrice d’Italie à Paris (24 août 2025), l’homme persiste et signe : « va te faire voir »[7]. Le Chef de la Ligue présente le Président français comme le premier belliciste d’Europe au moment où nous apprenons que les services du Ministère de la Santé demandent aux agences régionales de santé (ARS) de préparer les soignants à un conflit armé en Europe[8]. Une fois de plus, Emmanuel Macron paie intérêt et principal le dédain dont il gratifie le gouvernement italien dont les résultats sont loin d’être ridicules contrairement à ce que les oracles de la bien-pensance nous avaient annoncés[9].
Russie. À trop chercher l’ours russe, on finit par le trouver. Ses échanges avec le vice-président Medvedev (il évoque « le coq gaulois sans cervelle ») constituent un modèle du genre. Emmanuel Macron est incapable de retenue : il traite Vladimir Poutine « d’ogre qui a besoin de manger sans cesse pour survivre … C’est un prédateur, une menace pour les Européens, il ne faut pas être naïf ». Il en remet une couche contre Moscou lors de sa visite à Chisinau (27 août 2025), en compagnie de ses homologues allemand et Polonais[10], visite destinée à épauler la Première ministre, Maia Sansu, en difficulté pour les prochaines élections législatives[11]. N’est-ce pas de l’ingérence dans les affaires intérieures moldaves ?[12] Une chose est certaine. Le Chef de l’État n’a pas à faire à des ingrats avec ses interlocuteurs russes qui pratiquent la diplomatie des otages d’État. Comme par hasard, notre compatriote, Laurent Vinatier se voit inculper de nouveaux chefs d’accusation (espionnage) passibles de vingt années d’emprisonnement[13]. La réponse du berger à la bergère.
Quelles conclusions, mêmes limitées, peut-on tirer de ce florilège de la diplomatie théâtrale du président de la République ? On sourit en entendant Emmanuel Macron condamner les ingérences étrangères d’où qu’elles viennent alors qu’il excelle dans ce sport. Il serait bien inspiré de balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres. Ceci lui éviterait de multiples déconvenues. Par ailleurs, l’on reste sans voix face à son indignation à géométrie variable, lui qui se présente comme le meilleur porte-parole de la patrie des droits de l’homme. S’il pratique une diplomatie particulièrement vocale à l’endroit du Premier ministre israélien (parfois à raison), il possède un art consommé de la diplomatie de la retenue à l’endroit du Président algérien qui maintient dans ses geôles peu accueillantes deux de nos ressortissants innocents des faits qu’on leur impute. Nous pensons bien évidemment à Boualem Sansal dont la fille dénonce fermement le fait qu’Emmanuel Macron n’ait jamais trouvé le temps de répondre à la lettre qu’elle lui a écrit au printemps dernier : « La France ne peut pas se contenter d’une indignation polie : elle doit faire de cette affaire une priorité diplomatique et morale »[14]. On ne saurait mieux dire ! Cette diplomatie de gribouille doit être mise en regard de la situation intérieure française dont le Chef de l’État ne semble avoir cure alors qu’elle devient de plus en plus préoccupante : dette abyssale, insécurité galopante, immigration incontrôlée, instabilité politique[15] … Plus le temps passe et plus le Mozart de la finance et de la diplomatie sera dans une position inconfortable sur la scène européenne[16] et internationale ! Il plonge le pays dans une impasse dont on cherche en vain la sortie[17].
LE BATEAU IVRE … D’HUBRIS
« Les diplomates ne sont utiles que par beau temps fixe. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte ». Cette appréciation peu amène sur les diplomates, portée par le Général de Gaulle, pourrait facilement s’appliquer à la manière de procéder de l’actuel Président de la République dans le concert des nations. La diplomatie d’Emmanuel Macron peut se résumer en deux termes : infatuation et défaillance. Son résultat est catastrophique. Elle conduit la France dans le mur de ses ambitions internationales, mettant au passage le Quai d’Orsay dans l’embarras[18]. Ce dont ce dernier se serait bien passé, affaibli qu’il est par la réforme jupitérienne brutale du corps diplomatique. Comptant sur sa capacité de séduction par les mots, souvent décalés et inappropriés, le Chef de l’État pense donner le change à l’international[19] alors qu’il viole les règles élémentaires gouvernant les relations normales entre États et, parfois/souvent celles de la courtoisie élémentaire entre personnes bien élevées. Nous en mesurons le résultat chaque jour avec les exemples des errements diplomatiques évoqués ci-dessus. Enfin, Emmanuel Macron semble perdre de vue qu’un diplomate n’est pas payé pour défendre l’intérêt général (comment le définir objectivement ?), mais pour faire valoir des intérêts nationaux (qui relèvent de l’évidence). Bienvenue dans le royaume béni où Jupiter excelle dans l’art de la diplomatie du pyromane.
Jean DASPRY
(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques).
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
[1] https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text
[2] Nicolas Truong (propos recueillis par), Marcel Gaucher : « Tout va dans le sens d’un retour du politique », Le Monde, 27 août 2025, p. 22.
[3] Philippe Ricard, L’ambassadeur des États-Unis à Paris convoqué au Quai d’Orsay, Le Monde, 26 août 2025, p. 3.
[4] Éditorial, Le va-tout désespéré de François Bayrou, Le Monde, 27 août 2025, p. 24.
[5] Lara Tchekov, Macron-Netanyahou. La fracture, Le Journal du Dimanche, 24 août 2025, p. 15.
[6] Philippe Ricard, Antisémitisme : Macron répond aux accusations de Nétanyahou, Le Monde, 28 août 2025, p. 3.
[7] Allan Kaval, Matteo Salvini attaque de nouveau Macron, Le Monde, 26 août 2025, p. 3.
[8] Fanny Ruz-Guindos, La Santé réquisitionne les hôpitaux pour la guerre en Europe, Le Canard enchaîné, 27 août 2025, p. 4.
[9] O. P., Meloni et Salvini jouent au pont, Le Canard enchaîné, 27 août 2025, p. 5.
[10] Florentin Collomp, Macron, Merz et Tusk au chevet de la Moldavie, Le Figaro, 28 août 2025, p. 8.
[11] Marine Leduc, En Moldavie, Macron dénonce les « mensonges » du Kremlin, Le Monde, 29 août 2025, p. 5.
[12] Marine Leduc, Moldavie : le soutien des Européens à Maia Sandu, Le Monde, 27 août 2025, p. 4.
[13] Benjamin Quénelle, À Moscou, Laurent Vinatier désormais poursuivi pour espionnage, Le Monde, 27 août 2025, p. 3.
[14] Martin Bernier, Sabeha, fille de Boualem Sansal : « L’Algérie doit cesser de martyriser mon père avant qu’il ne soit trop tard », Le Figaro, 28 août 2025, p. 19.
[15] Isabelle Chaperon, L’instabilité politique inquiète les entreprises, Le Monde, 29 août 2025, p. 12.
[16] Éditorial, L’accord avec le Mercosur, miroir d’une double perte d’influence, Le Monde, 5 septembre 2025, p. 26.
[17] Yves Thréard, De Charybde en Scylla, Le Figaro, 28 août 2025, p. 1.
[18] Philippe Ricard, La rentrée sous tension de la diplomatie française. En cinq jours, le Quai d’Orsay a convoqué coup sur coup les ambassadeurs des États-Unis et de l’Italie, Le Monde, 27 août 2025, p. 3.
[19] Elsa Conesa, La difficile relance du moteur franco-allemand, Le Monde, 29 août 2025, p. 2.
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