Pendant des mois, nous allons observer les allées et venues dans un labyrinthe sans issue. Des élus de gauche et de droite vont s’affronter et se diviser autour de questions importantes, mais secondaires et sans réponses crédibles, faute de vouloir sortir de l’impasse principale.
Comme dans toute crise politique digne de ce nom, les poignards sont sortis des fourreaux et l’on s’étripe, à droite, entre faux-frères d’armes.
Commençons par les plus hauts placés dans l’oligarchie. Trois anciens Premier ministres sont successivement intervenus pour exécuter le Jupiter déchu. Gabriel Attal s’est posé en meurtrier du père en affirmant qu’il fallait partager le pouvoir au sein de l’exécutif. Face à “l’affaissement de l’Etat”, qui “n’est plus tenu”, Edouard Philippe a vivement prié son ancien maître d’organiser une élection présidentielle anticipée. Le même jour, Elisabeth Borne demandait une suspension de la réforme des retraites, piétinant la réforme-phare d’Emmanuel Macron. Conclusion évidente : la macronie a explosé faute de pouvoir devenir un parti porteur d’un projet.
Les chicayas entre les hiérarques LR n’ont échappé à personne. Dans un épisode funambulesque, on a vu Bruno Retailleau, qui s’était précipité dans le gouvernement Lecornu 1, découvrir la présence de Bruno Le Maire à la tête des Armées et menacer de démissionner. Ayant provoqué la chute de Lecornu 1, le Vendéen a été entraîné dans l’éboulement à la satisfaction de Laurent Wauquiez, expert en savonnage de planches pourries. Depuis, le parti est ravagé par les luttes de clan et miné par les trahisons puisque plusieurs membres de LR sont entrés au gouvernement Lecornu 2. Retailleau n’est pas César et Wauquiez n’est pas Brutus. Nous ne sommes pas dans une tragédie élisabéthaine mais chez Guignol.
Il faut bien entendu garder un œil sur le Rassemblement national, qui mise sur une dissolution rapide et qui est en échec sur ce point depuis l’accord conclu entre le Premier ministre et les socialistes, avec pour conséquence le rejet de deux motions de censure le 16 octobre. Surtout, il faut observer la partie qui se joue sur “l’union des droites”, que Marine Le Pen a toujours refusée alors que Jordan Bardella est beaucoup plus sinueux sur le sujet, tenté qu’il est par une alliance avec LR. De circonlocutions en périphrases, les petites différences entre Marine et Jordan vont finir par alimenter la méfiance. A moins que la cour d’Appel, en janvier, ne vienne bloquer le processus de rivalité mimétique. Il est d’ailleurs assez rigolo d’entre parler d’union des droites au moment où les groupes et sous-groupes se morcellent sous l’effet d’inexpiables guerre des chefs.
Le choc des ambitions est une banalité qu’il ne faut pas négliger mais les véritables enjeux sont ailleurs. La principale question du moment concerne la survie du gouvernement Lecornu 2, qui tient à la bienveillance du Parti socialiste, obtenue par la suspension de la réforme des retraites. Dans divers médias, on a loué le pétulant Olivier Faure pour son sens tactique, qui l’a placé au centre du jeu parlementaire. Puis on s’est aperçu que le groupe socialiste s’était embarqué sur une drôle de galère, exposée à de gros récifs.
Souvenons-nous d’abord que Sébastien Lecornu s’est engagé à ne pas recourir à l’article 49-3, qui permet qu’un texte soit considéré comme adopté s’il n’y a pas de motion de censure déposée et adoptée à la majorité absolue. Le Parti socialiste réclame depuis longtemps le non-recours à cet article, qui répondait en 1958 aux vœux du socialiste Guy Mollet. Olivier Faure est comblé, mais son groupe va devoir se prononcer sur tous les textes, alors qu’avec le 49-3, il est possible de laisser faire le gouvernement en s’abstenant lors du vote d’une motion de censure. Le non-recours peut au contraire prendre la forme d’un piège. Ainsi, au lieu de s’abstenir sur le vote d’un budget d’austérité, les socialistes devront voter pour ou contre. Donc soutenir le gouvernement, ce qui serait à juste titre considéré comme une trahison, ou participer à sa mise à mort et prendre le risque d’une dissolution. Un risque que le Parti socialiste n’a pas voulu prendre à la mi-octobre.
Le dilemme sera identique lorsque le gouvernement présentera l’amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui permettra la suspension de la réforme des retraites. Il faudra donc que les socialistes votent le PLFSS et acceptent les mesures anti-sociales qu’il contiendra, ou bien refusent l’amendement et sacrifient leur gain. Dans les deux cas, Olivier Faure et ses camarades perdront la face.
Sébastien Lecornu n’en sera pas conforté pour autant : les groupes d’opposition vont avoir de nombreuses occasions de bloquer ses choix budgétaires par voie d’amendement. Somme toute, les dupeurs et les dupés vont se prendre dans leurs propres filets. Tous font perdre du temps au pays, qui va rejouer jusqu’à la présidentielle le débat sur la réforme des retraites – avec, en guise de récréation, le débat sur l’immigration. Deux sujets importants, sur lesquels on continuera de piétiner, alors que la France est confrontée au réchauffement climatique, à la détresse sociale, à la désindustrialisation, à la dégradation des services publics. Mais pour envisager la politique économique qui nous sortirait de l’impasse principale, il faudrait mettre en question le libre-échange, l’euro et l’ensemble des dispositifs néolibéraux. De l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par tous les centres, le consensus s’est fait sur le déni des enjeux décisifs. La France et les Français vont continuer à le payer très cher.
Dans ce sombre paysage, Marine Tondelier nous offre le spectacle réconfortant d’une femme en veste verte qui jouit du flot de paroles qu’elle déverse devant les caméras. Il faut imaginer Marine Tondelier heureuse, ce qui remonte immédiatement le moral.
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Article publié dans le numéro 1309 de « Royaliste » – 18 octobre 2025
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