Selon l’esprit et la lettre de la Constitution de la Vème république, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, devrait être non partisane, pour respecter l’article 5 qui dispose : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. ».
Or, depuis que les partis politiques se sont emparés de la « clef de voûte » de nos institutions, vouée à l’origine à demeurer indépendante et au-dessus des partis, le Chef de l’Etat n’a plus la légitimité nécessaire pour arbitrer en cas de crise politique. En de telles circonstances, il ne peut en effet se comporter à la fois, comme chef de la majorité présidentielle, et comme chef de l’Etat. Au mieux, à défaut de disposer d’une majorité présidentielle, il subit une période de cohabitation, face à une majorité parlementaire opposée.
Selon la formule consacrée de François Mitterrand « la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution », prononcée lors de son discours du 8 avril 1986, après la défaite du Parti socialiste aux élections législatives, le Président de la République tente autant que possible, en période de cohabitation, d’incarner la position d’arbitre que lui confère la Constitution, mais sans recueillir nécessairement la reconnaissance et la confiance de ses opposants. En effet, comment devenir arbitre, tout en ayant été capitaine de l’équipe adverse, et comment être arbitre tout en étant capitaine d’équipe ? Même si la politique n’est pas une compétition sportive, chacun peut comprendre aisément la difficulté, la contradiction, de cette situation.
Néanmoins, dans ce cas, la désignation du Premier ministre ne pose pas de problème particulier, il s’agit nécessairement du chef de l’opposition, nommé par le Chef de l’Etat, exerçant son pouvoir régulateur selon l’article 5 de la Constitution, en vue de former le nouveau gouvernement.
Tout se complique, lorsqu’aucune majorité se dégage à l’Assemblée nationale, et que le Président de la République, faute de pouvoir ou de vouloir dissoudre ladite assemblée, s’entête de surcroît à garder la main, refusant de reconnaître la défaite de sa majorité et de jouer son rôle d’arbitre, au lieu d’appeler soit la coalition la plus nombreuse, soit le parti le plus représentatif, à former un nouveau gouvernement.
Emmanuel Macron, après quatre démissions successives de Premiers ministres, en l’espace de seize mois, dont la dernière en date faisait suite au record absolu de tout temps en France, pour la durée éphémère d’un gouvernement, soit 14 heures, a reconduit une nouvelle fois son Premier ministre démissionnaire, Sébastien Lecornu. Cette fois, le Président a tenté de s’appuyer essentiellement sur ce qu’il reste de sa majorité présidentielle, minoritaire à l’Assemblée, en misant sur la non-censure du Parti des Républicains et du Parti Socialiste, au prix d’incessantes tractations, « compromis », voire compromissions : un cas unique sous la Vème République, réputée stable grâce au fait majoritaire de son système électoral, et de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct : il n’en est rien.
Pourtant, ce qui est exceptionnel en France depuis 1958, est assez courant en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas, parfois au Danemark ou au Royaume-Uni. La différence réside dans la position du Chef de l’Etat. Le Roi, indépendant des partis, contrairement au Président de la République, a la capacité d’exercer par son autorité et sa légitimité, un pouvoir régulateur de médiation pour parvenir à une solution politique, dans l’intérêt général, et en tant que garant de la continuité de l’Etat ainsi que du bon fonctionnement des institutions démocratiques.
En Belgique, le Roi joue un rôle actif et central après chaque élection législative (système de représentation à la proportionnelle), pour nommer un Premier ministre et former un gouvernement, en désignant tout d’abord un informateur, chargé d’explorer les possibilités de coalition entre partis, puis un formateur, chargé d’étudier les compositions possibles en vue de la constitution d’un gouvernement. Il arrive que le formateur soit ensuite nommé Premier ministre, mais pas nécessairement. Le Roi consulte les présidents de parti et s’assure que le futur Premier ministre disposera d’une majorité à la Chambre des députés avant de procéder à sa nomination et à celle de son gouvernement. Le processus peut durer plusieurs mois parfois, sans que la continuité de l’Etat, incarnée par le Roi, puisse être mise en cause ou menacée. On se souviendra particulièrement de la crise politique belge de 2010 à 2011, lors de laquelle la Belgique était privée de gouvernement effectif sur une durée record de 541 jours, sans que le pays en ait été déstabilisé pour autant, ou que la situation ait été vécue comme un drame. Le Roi Albert II avait ainsi évité la paralysie totale de l’Etat, par ailleurs dans un contexte de montée du séparatisme flamand. Il a nommé huit personnalités successives pour différentes missions et a pu maintenir ainsi le dialogue entre les partis, malgré les tensions communautaires.
De même en Espagne, les élections générales du 20 décembre 2015 n’avaient pas permis au Parti populaire, arrivé en tête, d’obtenir une majorité absolue au Congrès des députés. La crise politique espagnole dura 314 jours. Le Roi Felipe VI a joué son rôle de médiateur et de facilitateur, en recevant à tour de rôle, les chefs de partis, dans une relation de confiance et de confidentialité, sans esprit partisan, de compétition, ou d’arrières pensées politiques, comme ce peut être le cas avec le Président de la République en France. En Espagne, le Roi ne nomme pas directement le Président du gouvernement (chef du gouvernement) comme en Belgique (1er ministre), mais il propose au Congrès des députés un candidat qui doit obtenir l’investiture de la Chambre basse, pour être ensuite officiellement nommé par lui.
On peut également citer le Danemark, où en 2015, après les élections législatives du 18 juin, aucune majorité ne s’étant dégagée au Folketing (Parlement danois), la Reine Margrethe II a reçu les différents chefs de partis, puis nommé après consultation, Lars Lokke Rasmussen, Premier Ministre et les autres ministres sur sa proposition, bien qu’il constituât un gouvernement minoritaire. A la différence d’Emmanuel MACRON, tous les partis politiques ont été reçus par la Reine, sans exclusive.
Comment, le Président de la République, recevant également les chefs de parti ou plutôt les convoquant le 10 octobre 2025, a-t-il pu s’abstenir d’inviter les représentants de LFI et du Rassemblement national, représentant ensemble 20 millions d’électeurs, même s’ils avaient préalablement annoncé qu’ils ne se rendraient pas au Palais de l’Elysée ?
Après la dissolution dévoyée du Président de la République *, son refus de dissoudre à nouveau, et son obstination à former un gouvernement minoritaire à l’encontre de tous les usages, et au mépris de l’article 5 de notre Constitution, sa destitution, au titre de l’article 68 de notre Constitution, pourrait être ainsi motivée.
Une monarchie parlementaire en France nous dispenserait, entre autres, d’un exercice personnel du pouvoir, peu respectueux du fait démocratique.
Denis CRIBIER
* Cf. Royaliste n°1308
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