René Cassin : A la recherche de la liberté perdue – par Jean Daspry

Oct 29, 2025 | Billet invité | 0 commentaires

 

En cette rentrée littéraire de l’automne 2025, les devantures de librairies fourmillent des derniers ouvrages parus. Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a pléthore en quantité. Pour ce qui est de la qualité, c’est une autre histoire en dépit de la présentation racoleuse qu’en font les médias. Ils nous vantent les mérites incommensurables des auteurs à la mode ou des nouveaux et nouvelles venus (es). Nous devrions y trouver de futurs prix Goncourt, si ce n’est de potentiels Prix Nobel de littérature. Ben voyons ! Nous verrons bien mais il y a fort à parier que bon nombre de ces opus magnum finissent dans les poubelles de l’Histoire. A contrario, les ouvrages les plus dignes d’intérêt, de notre modeste point de vue, font l’objet d’une présentation fort discrète, pour ne pas dire secrète. Il faut avoir un œil de lynx pour parvenir à les dénicher entre d’importantes piles de romans de gare. Nous avons à l’esprit la réédition, de mai 2025, d’un ouvrage de René Cassin intitulé Les hommes partis de rien. Le réveil de la France abattue[1].

Un bref retour en arrière s’impose pour remettre en perspective cet ouvrage. Présentée comme la plus puissante à l’issue de la Première Guerre mondiale, l’armée française est balayée en quelques semaines au printemps 1940. Les causes de L’Etrange défaite sont parfaitement analysées dans l’ouvrage éponyme de l’historien médiéviste, Marc Bloch. Les résultats de ce naufrage de la Troisième République sont bien connus. La France capitule. Elle cesse le combat, remettant son sort entre les mains de la soldatesque du Troisième Reich. Le Parlement français donne les pleins pouvoirs au héros de la bataille de Verdun, le maréchal Pétain. La France est outragée, brisée, martyrisée. Elle est désormais l’ombre d’elle-même, livrée à ses vieux démons. Elle est loin d’être libérée. Par qui et quand ?

Que vont devenir et faire les citoyens français sidérés par ce raz-de-marée ? Se résigner ou résister ? Le choix n’est pas évident comme le démontre, parmi tant d’autres, le documentaire réalisé par Max Ophuls, en 1969, intitulé Le Chagrin et la Pitié. Certains choisissent la voie facile de la soumission par légalisme et par conformisme. D’autres optent pour le chemin exigeant de la désobéissance par patriotisme et par anticonformisme. Les premiers sont majoritaires. Les seconds sont minoritaires. Le front du refus de la Collaboration prend schématiquement deux formes. Celle de la Résistance intérieure successivement incarnée par Jean Moulin et Georges Bidault. Celle de la Résistance extérieure représentée par le général de Gaulle après l’appel du 18 juin 1940 sur Radio Londres. Certains Résistants de l’extérieur rejoignent l’Angleterre qui décide de ne pas plier devant l’ennemi à l’instigation du Premier ministre, Winston Churchill. Parmi ces « partis de rien », l’on trouve des Français de plus ou moins fraîche date qui ont l’amour de la France chevillés au corps tels Pierre Dac, Romain Gary, Joseph Kessel., voire un certain René Cassin (né en 1887 à Bayonne, mort en 1976 à Paris).

Qui est-il au moment de la débâcle ? René Cassin est professeur agrégé de droit civil à la Faculté de droit de Paris dont le doyen est un certain Georges Ripert – génie juridique incontesté, auteur de traités qui font encore autorité aujourd’hui – qui aura son heure de gloire sous le régime de Vichy en étant nommé secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la Jeunesse et en appliquant les lois antisémites dans l’enseignement supérieur avec rigueur. Avant la Seconde Guerre mondiale, René Cassin représente la France aux réunions sur les questions de désarmement dans le cadre de la SDN (il y représente aussi la France de 1924 à 1938). Par ailleurs, après avoir été gravement blessé au front durant la Première Guerre mondiale, il est particulièrement actif au sein des associations d’anciens combattants. Rien ne le désigne a priori pour une suite brillante tant auprès du Général de Gaulle à Londres dès 1940 (membre du gouvernement de la France libre et Compagnon de la Libération) qu’après les hostilités (juriste, diplomate, homme politique, artisan de la paix entre les peuples) : vice-président du Conseil d’État (1944-1959) ;  membre de l’Académie des Sciences morales et politiques (1947) ; membre du Conseil constitutionnel (1960-1971) ; représentant de la France dans différentes instances de l’ONU et du Conseil de l’Europe ; juge, vice-président puis Président de la Cour européenne des droits de l’homme (1965-1968) ; Prix Nobel de la Paix et Prix des droits de l’homme des Nations Unies (1968), panthéonisé le 5 octobre 1987 à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance …Il ne s’agit bien entendu que d’une biographie résumée tant la vie de ce héros est bien remplie.

Que va-t-il faire durant les années 1940-1941 à Londres ? Tel est l’objet de l’ouvrage en question qui se présente comme une dernière réédition de ceux de René Cassin (1974) et de Guislaine René Cassin (1987), avec une préface du professeur agrégé de droit public, Emmanuel Decaux, président de la Fondation René Cassin. L’ouvrage, organisé en douze chapitres couvrant la période 1938 « L’angoissante drôle de guerre » à celle de 1941 « Le Comité national français dans la guerre mondiale », se présente comme un voyage au bout de la résistance contre l’envahisseur allemand et les mauvais génies de Vichy. À travers son aventure personnelle, René Cassin livre un récit détaillé des choix effectués par ceux qui ont choisi le chemin de la défense des libertés et des valeurs de la France à Londres, y compris en passant par nos anciennes colonies.

Dans les premiers chapitres, René Cassin décrit l’état – peu glorieux – de la France à la veille de la Seconde Guerre mondiale à travers une multitude de rencontres qu’il effectue au gré de ses différentes activités. Manifestement, notre pays ne semble pas prêt à affronter l’armée allemande et cela d’autant plus que l’humeur n’est pas guerrière, y compris dans les plus hautes sphères de « l’État profond ». Dès le mois de juin 1940, René Cassin comprend qu’il ne peut rentrer en dissidence sur le territoire français : « l’idée s’impose à mon être tour entier qu’il fallait partir combattre la trahison » (page 59). Il choisit de rejoindre Londres. Un choix qui ne va pas de soi tant « ma conviction est que la conscience individuelle de chacun lui dicterait son devoir en dehors des étiquettes et des titres » (page 44). Il est vrai que préfets, ambassadeurs ne sont pas naturellement portés à la rébellion. Il cite le cas trop méconnu « de l’admirable télégramme de démission envoyé le 17 juin par M. Brugère, notre ambassadeur en Yougoslavie, qui mérite d’être retenu par la postérité ». Ce qui ne fut pas le cas ! Dès son arrivée à Londres, il rencontre le général de Gaulle dont « les traits de caractère, les plus manifestes, furent donc son non-conformisme, sa rigueur et son esprit de décision » (page 117).

Dans les chapitres suivants, René Cassin nous relate les difficultés rencontrées pour faire reconnaître le général de Gaulle comme représentant de la France au détriment du gouvernement juridique de Vichy. Et cela ne s’avère pas toujours chose aisée tant auprès des Britanniques (« La manière de raisonner de beaucoup d’autres Britanniques le surprenait et même le heurtait », page 123) que des Américains (« À l’égard de l’Amérique, il était partagé entre l’étonnement et l’envie », page. 123). C’est que nos relations avec nos alliés les plus proches ne furent pas toujours un long fleuve tranquille surtout dans les années 1940 et 1941. En dépit des réactions surprenantes de la Perfide Albion et de l’Oncle Sam, le général de Gaulle, qui « ruminait ses rancœurs dans le silence, comme ses ingratitudes » (page 123), se fait remarquer « par la profondeur de ses vues sur la situation mondiale » (page 194). Avec l’équipe rapprochée dont il dispose – René Cassin jouant sa partition sur les questions juridiques à l’importance certaine – parvient à lutter contre l’adversité venue de France et de l’étranger. Petit à petit, le chef de la France libre s’impose comme un interlocuteur incontournable à Londres comme dans nos colonies sur les plans militaire et diplomatique. Au fil des mois, il définit une stratégie pour la Résistance intérieure à la tête de laquelle il désigne un préfet, Jean Moulin. À la fin de l’année 1941, la France combattante relève la tête tant à l’Ouest avec les États-Unis qu’à l’Est avec l’URSS. Elle se prépare à prendre sa juste part et place dans ce qui sera trois années plus tard, la Libération de la mère patrie. Par touches successives, René Cassin nous aide à mieux appréhender la somme de tous ces petits combats à mener au quotidien pour consolider la France Libre de Londres et discréditer la France soumise de Vichy, toujours puissante dans son impuissance.

Pour conclure, nous ne saurions trop recommander, à tous ceux qui sont attachés à connaître le passé pour comprendre le présent et anticiper l’avenir, la très intéressante et instructive lecture de ces « Partis de rien ». Ils y trouveront certainement matière à réflexion sur les « temps mauvais » que nous traversons de nos jours à la lumière de l’action de tous ces courageux de l’an 40 qui avaient deux objectifs en tête : « sauver l’honneur de la France et préparer sa Libération » (page 295). Ils refusèrent de suivre le conseil du sinistre Pierre Laval pour qui « On ne sauve pas sa patrie en la quittant » (page 281). Hormis quelques descriptions, digressions très juridiques ou très détaillées – même lorsqu’elles s’avèrent utiles à une fine compréhension du sujet -, cet ouvrage est remarquable tant par sa clairvoyance que par son réalisme. Pour toutes ces raisons, nous invitons, tous ceux qui le souhaitent, à suivre ce voyage de René Cassin à la recherche de la liberté perdue !

Jean DASPRY

(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

 

[1] René Cassin (Préface à la présente réédition par Emmanuel Decaux, Président de la Fondation René Cassin, Les hommes partis de rien. Le réveil de la France abattue (1940-1941), Plon, mai 2025.

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