D’un long discours prononcé devant les maires de France, les médias n’ont retenu que la petite phrase du général Mandon sur la “perte de nos enfants” qu’un conflit avec la Russie nous obligerait à accepter. La polémique qui en a résulté n’est qu’un aspect du chaos provoqué par les déclarations officielles.
Après le tumulte médiatique, prenons la mesure des choses. Le discours adressé aux maires de France le 18 novembre occuperait quatre pages de notre journal si nous décidions de le publier. Il faudrait sans doute ajouter deux pages de commentaires car le chef d’état-major des Armées a fait un tour d’horizon complet des tensions internationales : il y est question de la Chine, des Etats-Unis, de l’Afrique autant que de la Russie et de la guerre d’Ukraine.
Cette analyse distanciée peut être discutée sur divers point mais il ne s’agit pas d’une exhortation échevelée à l’esprit de sacrifice. Lorsqu’il évoque la situation sur le continent européen, le général Mandon affirme que face aux Russes, nous sommes les plus forts par nos capacités technologiques et par le nombre de combattants qui peuvent être alignés sur le flanc est de l’Otan. “Ce qu’il nous manque, déclare-t-il, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est (…). Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production de défense, par exemple, si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque”.
La suite du discours montre bien que “les enfants” dont il est question sont les jeunes gens qui sont déjà engagés dans l’Armée et que ce n’est pas le territoire national qui serait à défendre. “La mécanique, ce n’est pas des chars russes qui débarquent en Alsace. La mécanique, c’est une mécanique de solidarité, c’est une mécanique de solidarité avec des pays qui sont aujourd’hui sur le flanc est de l’Otan qui pourraient être attaqués et qu’on ira protéger par solidarité”.
La phrase sur “les enfants” a déclenché un tintamarre médiatique disproportionné et de nombreux citoyens ont pu comprendre que l’Armée française allait se porter en masse vers l’Est pour participer à des combats dont la télévision donne, quant à l’Ukraine, un aperçu. On peut, il est vrai, reprocher au général Mandon de maintenir l’ambiguïté des discours officiels qui confondent l’engagement militaire aux côtés d’alliés et la mobilisation pour la défense du territoire national. De fait, les affirmations péremptoires et les déclarations martiales, amplifiées ou mal interprétées par les médias, en viennent à former un magma incompréhensible.
Il y a des jours où le président de la République dit avec élégance et respect pour des soldats qui risquent leur vie qu’on va envoyer “des mecs” en Ukraine, et d’autres où le porte-parole du gouvernement affirme que “Nos enfants (…) ne vont pas aller combattre et mourir en Ukraine”.
Il y a des jours où l’on déclare qu’on va entrer dans une “économie de guerre” ou qu’on y est déjà, et d’autres où l’on constate que la réindustrialisation annoncée ne s’est pas faite. L’économie de guerre, c’est 70% du Produit intérieur brut orienté vers la guerre : nous en sommes loin, très loin, nous n’avons pas de planification de la production militaire mais on donne des canons Caesar et des Mirage comme si nous avions des surplus.
Il y a des jours où l’on nous parle de notre Armée et de ses “enfants” et d’autres où l’on évoque sur le mode rituel une “défense européenne” qui n’apparaît toujours pas. En 2020, le président du Conseil européen, affirmait que “l’autonomie stratégique européenne est l’objectif de notre génération”. Cinq ans plus tard il ne s’est toujours rien passé, et l’on entend le général Gomart – ancien directeur du Renseignement militaire, aujourd’hui député européen – déclarer que le marché unique de la défense, prélude à l’autonomie stratégique, est “une illusion dangereuse qui, sous couvert d’intégration européenne, risque de sacrifier la souveraineté des États et de soumettre de fait l’Union européenne à Washington”.
Il y a des jours où les médias dissertent sur les dégâts que feraient les missiles nucléaires russes dans notre pays, et d’autres où ils évoquent des combats de haute intensité sur le flanc est de l’Otan, avec comme seule ambition de diffuser de la peur pour capter l’attention et recueillir le maximum de recettes publicitaires.
Le bruit médiatique déclenché par le discours du général Mandon nous incite à demander, une fois de plus, qu’on prenne la question de la guerre au sérieux. S’il s’agit seulement d’utiliser la menace de guerre pour prendre des postures avantageuses et pour rassembler les foules apeurées autour d’une présidence chancelante ; s’il s’agit simplement d’exploiter le marché de la peur comme on le fait lors des épisodes terroristes, alors on fabriquera des légions de pacifistes comme on a conforté les djihadistes dans leur conviction qu’ils pouvaient nous détruire.
Si, au contraire, le risque d’une agression russe contre des nations appartenant à l’Union européenne est sérieux, il faut que le peuple français en soit averti et qu’il sache comment le gouvernement français se prépare à parer la menace. Cela signifie que le président de la République doit s’adresser solennellement à la nation. A la suite de son allocution, le Premier ministre doit présenter au Parlement les plans et les projets qui permettront de mobiliser les entreprises et les citoyens ainsi que les moyens budgétaire d’un renforcement de nos Armées. A cet égard, il importe de souligner que tous les groupes parlementaires, y compris la France insoumise, votent sans la moindre obstruction les crédits militaires. Il est tout à fait possible de renforcer la cohésion nationale si les autorités fixent des objectifs clairs et se donnent les moyens de les atteindre.
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Article publié dans le numéro 1312 de « Royaliste » – 30 novembre 2025
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