Année après année, les sondages nous disent que le pouvoir d’achat est la priorité des Français. Puis les polémiques médiatiques reprennent sur l’immigration couplée à l’insécurité et le Rassemblement national suivi par la droite classique tend son panier où s’amassent les voix. C’est ce scénario qu’on s’apprête à reprendre pour la prochaine campagne présidentielle, sous le regard indigné de la gauche. Une gauche qui n’a toujours pas compris que l’indignation nourrie de référence au fascisme n’avait jamais fait reculer l’inusable “bête immonde”. D’ailleurs, l’antifascisme, c’est comme les sondages : on choisit ce qui arrange. En Italie, Gianfranco Fini, qui avait commencé sa carrière avec les héritiers de Mussolini avant de devenir vice-président du Conseil, est très vite apparu, aux yeux des élites européennes, comme un homme tout à fait fréquentable. Il en va de même pour Georgia Meloni, qui a suivi le même chemin.

Que les jeunes loups de la droite radicale choisissent le confort des positions assises ne saurait nous étonner. C’est le chemin que prend sous nos yeux Jordan Bardella, avec l’onction du délinquant multirécidiviste qui sert de parrain de la droite et la bénédiction quasi quotidienne des médias possédés par des patrons de l’industrie et de la finance. Il s’agit de préparer l’arrivée au pouvoir d’un Rassemblement national rajeuni, assagi, grossi par les restes de LR, aimablement soumis aux règles du néolibéralisme.

Le calcul est judicieux. L’élimination probable de Marine Le Pen vient renforcer l’hypothèse d’une forte progression du Rassemblement national et de l’arrivée de Jordan Bardella à l’Elysée, comme candidat du ressentiment porté par un pari sur l’homme neuf. Le voici engagé sur un vaste boulevard, sans voir les deux obstacles qui peuvent faire tout capoter.

Le premier, c’est une lutte sociale de forte intensité, paysanne comme celle qui se dessine, ouvrière au sens large, qui placerait le Rassemblement national devant un choix douloureux : ou bien soutenir le mouvement social et s’aliéner les parrainages financiers et médiatiques ; ou bien rester sur une prudente réserve et apparaître comme le nouveau pilier de l’ordre injuste des choses. Même si les stratèges du Rassemblement national ne sont pas tous rompus à la guerre de classes, ils ont entendu les commentateurs dire à maintes reprises que leurs électeurs sont à droite quant à l’immigration et à la sécurité, mais à gauche en matière sociale puisqu’ils ont refusé la réforme des retraites.

Le deuxième obstacle se présente sous la forme de la “tenaille identitaire” mise en évidence par le regretté Laurent Bouvet. Depuis des années, la chaîne CNews, souvent relayée par Le Figaro qui a toujours plusieurs fers au feu, mène une campagne d’agitation permanente sur l’invasion migratoire et l’insécurité, en assurant la promotion de trois spécialistes de la guerre civile verbale sous prétexte de défense d’une identité mythifiée : Eric Zemmour, Mathieu Bock-Côté et Philippe de Villiers (1).

Nul ne peut ignorer que les mots peuvent provoquer le passage à la violence. Les groupes industriels et financiers qui permettent ou favorisent les pulsions de haine raciale pour détourner les classes moyennes et populaires de la lutte sociale sont parfaitement irresponsables.

L’autre mâchoire de la tenaille est composée de La France insoumise et de ses groupes d’appui. Pour attirer les électeurs issus de l’immigration, Jean-Luc Mélenchon s’est réinventé en promoteur d’une prétendue “nouvelle France” urbaine, musulmane, féministe, racisée, créolisée, qui s’opposerait à la vieille France rurale, blanche, réactionnaire, sioniste… Diffusée par un groupe sectaire, étrange caricature des pires aspects du communisme stalinien, cette propagande s’oppose point par point à celle du courant identitaire en vue d’un choc frontal, inexpiable. Épouvantée et ravie de ce programme horrifique, la droite des “valeurs” érige Jean-Luc Mélenchon en ennemi principal et le conforte dans sa posture antifasciste. La haine, c’est mieux quand on l’excite à deux.

Le Rassemblement national croit pouvoir coiffer tout le monde au poteau en dénonçant vertueusement les menées de l’extrême gauche tout en utilisant hypocritement les exactions intellectuelles de l’ultra-droite qui, depuis que Zemmour est en piste, lui sert de repoussoir. Restera la haine diffusée par les deux extrémismes, la peur qui l’accompagne et le choc que provoquerait la victoire de Jordan Bardella. Comment les vainqueurs, qui ont fait leur fortune électorale sur l’identité, pourraient-ils maîtriser les pulsions qu’ils ont suscitées depuis quarante ans ?

Il n’y a pas de réponse. On ne dose pas les fantasmes comme on le fait pour des stimulants psychiques. Nous l’avons souvent dit, le jeu de l’identité et de la différence est infini. Il faut le calmer et l’apaiser en faisant le choix politique de l’unité de la nation, qui est décisif lorsque la patrie est menacée de dislocation. Il va presque sans dire que cette unité doit être incarnée et instituée.

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Editorial du numéro 1313 de « Royaliste » – 15 décembre 2025

1/ Je ferai au printemps une critique détaillée des ouvrages publiés par ces trois personnages.

 

 

 

 

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