« Je persiste à penser qu’en matière diplomatique le contact direct est toujours préférable à l’esquive » (Roland Dumas, 2011). Le moins que l’on puisse dire est que le 47ème Président de la première puissance mondiale privilégie le contact direct à l’esquive. Avec Donald Trump II, depuis le 20 janvier 2025, çà balance pas mal aux États-Unis mais aussi aux quatre coins de la planète. Une sorte de tsunami diplomatique continuel secoue l’Ancien Monde. Jour après jour, les homologues étrangers du milliardaire américain en restent sidérés. Surtout ceux qu’ils sermonnent en direct, accompagné de sa mauvaise troupe, dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche comme ce fut le cas avec Volodymyr Zelensky qui ne s’en est toujours pas remis. Fini le temps des bonnes manières et des discours melliflus de la diplomatie de papa. Bienvenue dans le monde merveilleux de la diplomatie trumpienne novatrice, imprévisible et décoiffante ! Comment la caractériser de manière générale après un semestre de mise en œuvre pratique ? Par les dix traits saillants suivants. Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle n’est qu’indicative.
Diplomatie de l’abattage. Chez Donald Trump, il y a une boulimie de traitement des dossiers de toute nature. D’abord les dossiers diplomatiques comme ceux de l’Ukraine (à sa manière particulière)[1], de la Palestine, de l’Iran (problématique du programme nucléaire militaire), du statut du Groenland (dans une approche folklorique), du canal de Panama sans parler du partage du fardeau dans la défense de l’Europe par les Européens. Il enregistre ses premiers succès sur le différend entre l’Inde et le Pakistan (cessation des hostilités) et entre la RdC et le Rwanda (accord de paix). Ensuite, les dossiers commerciaux avec ses partenaires (Union européenne) et ses compétiteurs (Chine). Enfin, le dossier complexe de la lutte contre l’immigration illégale.
Diplomatie commerciale. Chez Donald Trump, il y a l’âme d’un commerçant qui veut appliquer à sa diplomatie les méthodes du commercial qu’il fut avant d’embrasser la fonction présidentielle. Il met la diplomatie américaine au service des intérêts économiques bien compris la « nation à la destinée manifeste ». Dès qu’il entend le mot minerai rare, le Président des États-Unis se redresse. À titre d’exemple, l’accord de paix conclu à Washington, sous l’égide de l’Amérique, entre Kigali et Kinshasa, permet de décrocher plusieurs contrats miniers[2]. Il en fut de même avec les terres rares d’Ukraine. Et, l’on pourrait multiplier à l’envie les démarches diplomatiques à vocation commerciale. C’est bien la preuve que l’action extérieure trumpienne est portée par une stratégie.
Diplomatie du « deal ». Chez Donald Trump, il y a toujours l’homme d’affaire qui sommeille. Désormais, il enfile le costume du diplomate en quête perpétuelle de « deals », d’accords pour le bien-être d’un monde déboussolé[3]. Pas des accords négociés laborieusement durant des mois, des années par des experts pointilleux mais des accords obtenus dans de brefs délais par le maniement de la carotte (la persuasion) et du bâton (la dissuasion). Après le temps des frappes militaires doit obligatoirement venir le temps de l’horizon diplomatique, comme c’est le cas avec l’Iran actuellement. Ne murmure-t-on pas que le Président américain caresserait l’idée de voir son œuvre diplomatique récompensée par un Prix Nobel de la paix ? Il a de la suite dans les idées.
Diplomatie de l’imprévisibilité. Chez Donald Trump, il y a un sens inné de la surprise stratégique. Il est rarement là où les médias et les crédules l’attendent. Il est partout et nulle part à la fois. Le Président américain pratique avec un art consommé, celui de la ruse stratégique chère aux grands penseurs des relations internationales. Ainsi, il parvient à mettre amis et ennemis devant le fait accompli. Nous pensons tout particulièrement aux membres de l’Union européenne sur les dossiers ukrainien, iranien, palestinien et commerciaux. Manifestement, l’Europe n’a pas encore trouvé la parade idoine pour anticiper les audacieuses initiatives américaines. Elle semble perdue, laissant le soin à chacun de ses États membres et à ses organes d’improviser à la hâte.
Diplomatie du mélange. Chez Donald Trump, il y a une inclination pour un cocktail subtil d’approche entre le coopératif et le coercitif. Elle est parfaitement résumée par son vice-président actif, James David Vance lorsqu’il définit ainsi la doctrine Trump : « Elle consiste à définir notre intérêt, essayer d’employer la diplomatie, puis une force militaire écrasante lorsque la diplomatie échoue »[4]. On ne saurait être plus clair quoi que certains prétendent. Ne rejoint-il pas ainsi la formule d’Henry Kissinger et de George Schultz de 2008 : « La diplomatie sans la force est stérile. La force sans la diplomatie est stérile » ? Rien de nouveau sous le soleil, pourrait-on ajouter ! La diplomatie efficace n’est-elle pas, en définitive, l’art d’utiliser avec nuance des moyens de coercition ?
Diplomatie de la non-intervention. Chez Donald Trump, il y a une fibre isolationniste et unilatéraliste particulièrement développée. Il rejette le rôle de gendarme du monde que les États-Unis assumaient, bon an mal an, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en qualité de garant de l’ordre international, en faveur d’une politique de « l’America First ». Sa pensée est bien résumée dans son discours d’investiture du 20 janvier 2025 lorsqu’il déclare « Nous mesurons notre succès non seulement à l’aune des batailles que nous remporterons mais aussi des guerres auxquelles nous mettrons fin – et peut-être plus important encore des guerres dans lesquelles nous n’entrerons jamais ». Donald Trump œuvre pour mettre la puissance américaine au service de ses seuls intérêts, notamment économiques[5].
Diplomatie de la paix par la puissance. Chez Donald Trump, il y a un rejet du mantra – vénéré depuis la fin de la Seconde guerre mondiale – de la paix par le droit. Les traités ne sont que de vulgaires chiffons de papier qui ne garantissent rien si ce n’est l’instabilité et l’insécurité. On ne respecte que les forts et les puissants. L’affirmation d’une puissance incontestée ne constitue-t-elle pas la meilleure garantie du maintien de la paix et de la sécurité internationale mais surtout celle des États-Unis (« d’America First ») ? Au diable, la Charte des Nations unies et autres instruments juridiques multilatéraux qui engagent les États respectueux et dont se moquent les États voyous. L’un de ses conseillers à la sécurité ne raillait-il pas, en son temps, les « traités Maginot » ?
Diplomatie de la réciprocité. Chez Donald Trump, il y a une propension évidente à appliquer la loi du talion, œil pour œil. Depuis leur indépendance, les États africains n’ont de cesse de critiquer, avec une certaine vigueur, l’impérialisme américain et sa dérisoire aide publique au développement. Qu’à cela ne tienne, Donald Trump supprime illico l’USAID et autres agences qui lui sont rattachées ainsi que les crédits qu’elle distribuait manu larga. Et, il reste ensuite insensible à leurs cris d’orfraie et larmoiements. « Trade, not aid » est sa devise. Depuis 1945, les États européens tablent sur le parapluie américain et la garantie de l’article 5 de l’OTAN. Désormais, il faut passer à la caisse, acheter des armes américaines pour bénéficier de l’assurance tout-risque de Washington[6].
Diplomatie de l’unilatéralisme. Chez Donald Trump, il y a une détestation viscérale du multilatéralisme façon machin. L’homme à la mèche blonde n’a pas de temps à perdre avec les palabres de marchand de tapis, avec les discours convenus, avec les communiqués communs creux et autres sauteries diplomatiques. Le Président américain va droit au but. En conséquence, il privilégie le dialogue bilatéral direct tant avec ses alliés qu’avec ses compétiteurs et ennemis. Il retrouve sa vocation de magnat de l’immobilier qui exècre les circonvolutions diplomatiques. Il transpose la méthode de la scène commerciale à la scène internationale. Peu lui chaut ce qu’en pensent ses nombreux détracteurs. Ne varietur, il poursuit son petit bonhomme de chemin.
Diplomatie de Zorro. Chez Donald Trump, il y a un côté cowboy sauveur des situations désespérées. Tel le héros des séries télévisées de notre enfance, Zorro est arrivé avec sa casquette rouge MAGA et met bon ordre dans le désordre planétaire. Il se veut une sorte de Deus ex machina arrivant fort à propos pour mettre un terme aux incendies qui gagnent différents points du monde. Comme ses différents émissaires, il court dans tous les sens investi d’une cause messianique : empêcher et, si ce n’est pas possible, mettre un terme aux guerres. Donald Trump n’est pas belliciste. Il apparaît comme un original apôtre de la « pax americana ». En quelque sorte, un héros de western agissant à l’échelle de la planète.
Bienvenue dans la diplomatie du Nouveau Monde
« Un diplomate ne doit s’étonner de rien » (Talleyrand, 1800). C’est le moins que l’on soit en droit d’attendre de nos dirigeants politiques à l’égard de la diplomatie de Donald Trump. Mais, nous n’en sommes pas encore là. Le Président des États-Unis ne les prend pas au dépourvu. Il fait ce que le candidat avait promis. Ni plus, ni moins. Quand ses alliés européens, la France plus particulièrement, voudront bien en tirer les conséquences qui s’imposent au lieu de se lamenter inutilement ?[7] À l’évidence, ils sont devenus les spectateurs d’un nouvel ordre mondial en pleine recomposition où priment la force et les armes, eux qui raillaient, il y a peu encore, l’amateurisme diplomatique de Donald Trump[8]. Celui qui « réaffirme la centralité stratégique des États-Unis ». Celui qui possède un incontestable sens du contre-pied[9]. Il serait grand temps que les Européens changent de méthode et de discours à l’aune de ce qui précède pour s’adapter au changement de paradigme de la diplomatie au XXIe siècle. Telles sont quelques conclusions sommaires mais instructives que l’on peut tirer de la consultation de cet abécédaire de la diplomatie décoiffante de Donald Trump !
Jean DASPRY
(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques).
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
[1] Gilles Paris, Guerre en Ukraine : la mise en garde de Trump à Moscou, Le Monde, 16 juillet 2025.
[2] Mathilde Roussian, En Afrique, la diplomatie commerciale américaine, Le Monde, 5 juillet 2025, p. 3.
[3] Sylvie Kauffmann, Les « deals » inattendus de Donald Trump, Le Monde, 3 juillet 2025, p. 30.
[4] Piotr Smolar, La guerre en Iran, un révélateur de la « doctrine Trump », Le Monde, 1er juillet 2025, p. 3.
[5] Justin Vaïsse, Avec Trump, c’est moins l’effet produit que l’impression donnée qui compte, Le Monde, 25 juin 2025, p. 30.
[6] Philippe Jacqué/Élise Vincent, OTAN : Donald Trump renforce le doute des alliés sur sa solidarité, 26 juin 2025, p. 4.
[7] Jean Daspry, Abécédaire de l’anti-diplomatie jupitérienne !, www.bertrand-renouvin.fr , 4 avril 2025.
[8] Claire Gatinois/Philippe Ricard, Pour Emmanuel Macron, une croisade semée d’écueils, Le Monde, 27 juin 2025, p. 3.
[9] Marc Semo (propos recueillis par), Thomas Gomart : « Donald Trump réaffirme la centralité stratégique des États-Unis », Le Monde, 27 juin 2025, p. 27.
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