Abécédaire de l’anti-diplomatie jupitérienne – par Jean Daspry

Avr 4, 2025 | Billet invité

 

« Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus ». Cette maxime bien connue pourrait parfaitement s’appliquer à notre président disruptif[1]. Depuis sa prise de fonctions en mai 2017, Emmanuel Macron ne cesse de mettre à bas moulte institutions anciennes de la France éternelle. La diplomatie n’échappe pas à ce tsunami jupitérien. Le chef de l’État n’a jamais caché le mépris que lui inspiraient les diplomates et leurs méthodes surannées. Il leur reproche d’être des empêcheurs de tourner en rond, des pinailleurs invétérés. Preuve en est qu’il démantèle le corps diplomatique à la faveur de la transformation de l’ENA en INSP le 1er janvier 2022 ! Emmanuel Macron considère que la diplomatie est son domaine réservé. Il estime être le mieux placé pour porter la voix de la France dans le monde en lieu et place de ces pleutres que sont les fonctionnaires de la Maison des bords de Seine. Nous allons voir ce que nous allons voir[2]. Finie la diplomatie de papa. Bienvenue dans le monde merveilleux de la diplomatie jupitérienne salvatrice ! Comment la caractériser ? Par les dix traits saillants suivants. Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle n’est qu’indicative.

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Diplomatie de l’arrogance. Chez Emmanuel Macron, le doute ne l’habite jamais tant il est certain de son fait. Ni le questionnement, ni l’humilité ne l’effleurent tant il dispose d’un ego surdimensionné. Il ne lui vient jamais à l’esprit, qu’il a délié, que ses multiples interlocuteurs étrangers pourraient ne pas penser comme lui. Leur histoire, leur culture, leur religion … ne les portent pas naturellement et nécessairement à épouser le mode de raisonnement binaire enseigné à l’ENA. Ils peuvent être déboussolés, pour ne pas dire froissés par l’arrogance de ce jeune homme intrépide. Le résultat se traduit souvent par un phénomène de rejet de ses nombreuses initiatives.

Diplomatie de la communication. Chez Emmanuel Macron, le besoin de parler à jet continu est irrépressible. L’homme de théâtre, initié à cette discipline par une certaine Brigitte Trogneux, n’est jamais loin de l’homme d’État. Le moins que l’on soit autorisé à dire est qu’il excelle dans la pratique des diplomaties du buzz, du mégaphone, du perron, du texto, de l’imprécation … en un mot une diplomatie médiatique. Mais à trop jouer de ce registre du ministère de la parole, l’actuel président de la République française, qui devrait être un acteur de poids dans la vie internationale, ne se transforme-t-il pas en vulgaire commentateur d’une actualité sans fin ?

Diplomatie de l’esbrouffe. Chez Emmanuel Macron, le besoin d’impressionner ses interlocuteurs est omniprésent. Il ne conçoit pas qu’une semaine ne se passe sans qu’il fasse parler de lui pour le meilleur et, le plus souvent, pour le pire. Il lui faut en mettre plein la vue à la terre entière en réunissant d’inutiles conférences sur les sujets divers et variés : Ukraine, Intelligence artificielle, océans … Rencontres pour lesquelles l’effet d’annonce est plus important que le résultat souvent incertain si ce n’est inexistant ! Pour parvenir à ses nobles objectifs, il excelle dans la « twitterisation » de la parole publique. Celle qui érode la confiance dans un pays.

Diplomatie au fil de l’eau. Chez Emmanuel Macron, le besoin de traiter – superficiellement, il va sans dire – tous les sujets d’actualité est indéniable. Tel un jeune cabri, il saute sur tout ce qui bouge. Au lieu de s’en tenir à quelques sujets sur lesquels la diplomatie française possède une expertise reconnue de tous, il a recours à la diplomatie du coup d’éclat ou du coup de menton. Son narcissisme particulièrement développé le conduit à mépriser la constance et la cohérence sur le temps long de son action internationale pour privilégier l’inconstance et l’incohérence sur le temps court, le temps médiatique. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits et la France y perd son âme.

Diplomatie moralisatrice. Chez Emmanuel Macron, le besoin de se placer sur un registre moral n’est jamais très loin. Il épouse l’approche développée par Jean Giraudoux dans sa pièce en un acte de 1937 intitulée L’impromptu de Paris lorsqu’il écrit : « La destinée de la France est d’être l’embêteuse du monde. Elle a été créée, elle s’est créée pour déjouer le complot des rôles établis, des systèmes éternels … ». Le chef de l’État quitte ainsi le terrain de la Realpolitik pour occuper celui d’une morale universelle dont la France serait dépositaire par une sorte de grâce divine. Manifestement, ce registre insupporte nombre de ses homologues étrangers qui ne se privent pas de pénaliser notre diplomatie.

Diplomatie du narratif (récit en bon français). Chez Emmanuel Macron, il y a le besoin de conférer à son action extérieure, comme intérieure, la tournure d’un roman de cape et d’épée que l’on ressasse le soir à la veillée au coin du feu. Ce besoin impérieux transpire de toutes ses initiatives diplomatiques. Elles ne sont pas uniquement que des paroles creuses incompréhensibles pour le commun des mortels. Elles ont une dimension historique avant que l’Histoire ait porté son jugement définitif sur les faits, leurs motivations et leurs résultats. Le réveil est souvent douloureux lorsque le conte de fées ne produit plus ses effets attendus[3]. La diplomatie est alors démunie.

Diplomatie de la posture. Chez Emmanuel Macron, il y a un parfum de statue du commandeur. L’homme en perpétuel mouvement éprouve l’impérieuse nécessité de poser son personnage sur la scène du théâtre des nations. Il oublie qu’une diplomatie crédible et efficace suppose une forte dose de retenue, de prise de distance nécessaire par rapport à l’évènement. Il oublie que la diplomatie oblige à s’effacer devant la difficulté du sujet que l’on traite en faisant abstraction de ses a prioris. Il oublie que la diplomatie suppose de connaître le passé pour comprendre le présent et anticiper l’avenir. Faute de se plier à ces contraintes, il en récolte les fruits amers depuis 2017.

Diplomatie du sabre de bois. Chez Emmanuel Macron, il y a le poids de mots mais il n’y a pas le choc des actes.  Un cas d’application de sa politique du en même temps. En réalité, il peut et doit être rangé dans la catégorie des velléitaires, de ceux qui ne se décident pas à agir lorsqu’il le faudrait. Nous disposons d’un exemple frappant avec la problématique de nos relations avec l’Algérie. Alors que le régime du président Tebboune multiplie les avanies et les humiliations à l’endroit de la France, Emmanuel Macron est tétanisé à l’idée de mettre en place des mesures de rétorsion. Le résultat est là. La diplomatie du sabre de bois affaiblit notre pays dans le concert des nations.

Diplomatie tactile. Chez Emmanuel Macron, le toucher – plus ou moins prolongé et appuyé – de son interlocuteur/interlocutrice est un marqueur fort de sa pratique diplomatique. Il est consubstantiel à sa manière d’être et de se comporter en société, dans le beau monde international. Il est vrai qu’il pratique cet art avec talent et brio que nul ne saurait lui contester sauf quelques esprits chagrins, quelques Dames austères ou bigotes. Il se murmure que la prude chancelière Angela Merkel ne goûtait guère ces familiarités jugées déplacées de la part de ce gringalet à l’endroit de la représentante de la grande Allemagne.

Diplomatie du zigzag. Chez Emmanuel Macron, la diplomatie n’est jamais un long fleuve tranquille. Elle va de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut. Elle change de cap en permanence … au gré de ses insomnies. Elle ignore la ligne droite. Elle n’est jamais là où on l’attend. Elle donne le tournis. En définitive, sa pensée complexe est incompréhensible pour le commun des mortels mais surtout pour ses interlocuteurs étrangers qu’il surprend par ses volte-face constantes. Le résultat est affligeant : le crédit que ces derniers accordent à sa parole n’est qu’une asymptote de zéro. C’est Cause toujours … tu m’intéresses !

La diplomatie a horreur du vide.

« La vérité est que cette forme de diplomatie sautillante relève d’un exercice platement gesticulatoire » (Alain Dejammet, ambassadeur de France dignitaire). Bientôt huit ans après sa prise de fonctions au Palais de l’Élysée, la diplomatie française à la sauce Emmanuel Macron n’est qu’un champ de ruines. Il est vrai qu’il oublie ou bien ignore l’un des principes cardinaux de l’action extérieure d’un État digne de ce nom. La différence fondamentale entre politique étrangère (le cap pérenne du paquebot France, le long terme, la stratégie) qui relève du chef de l’État et diplomatie (la route adaptable en fonction des aléas de la vie internationale, le court terme, la tactique) qui est du ressort du ministre des Affaires étrangères. Cette confusion regrettable est, en partie, à l’origine des multiples déconvenues du plus jeune président de la Cinquième République sur la scène internationale. Les faits sont têtus. Mais, il n’en a cure tant l’humilité n’est pas la vertu première qui caractérise Foutriquet[4]. Telles sont quelques conclusions sommaires mais instructives que l’on peut tirer de la consultation de cet abécédaire de l’anti-diplomatie jupitérienne !

Jean DASPRY

(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques)

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

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[1] Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anomosa, 2024.

[2] Étienne Campion, Le président toxique, Robert Laffont, 2025.

[3] Erik Emptaz, Bilan des effusions Trump-Macron à Washington. Un coup de paix dans l’eau ! Prise de tête-à-tête, Le Canard enchaîné, 26 février 2025, p. 1

[4] Michel Onfray, Foutriquet, Albin Michel, mars 2022.

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