Adolfo Kaminsky : Une vie de faussaire

Jan 10, 2010 | La guerre, la Résistance et la Déportation

 

 

Comédienne, écrivain, Sarah Kaminsky a écouté son père lui raconter sa vie – celle d’un faussaire de génie qui accumulait plus de dettes que d’argent parce que ses convictions et ses engagements le maintenaient dans son état d’honnête homme.

Il est rare qu’un homme dévoué à une cause et magnifiquement courageux fasse le miles gloriosus à la table familiale. Longtemps, Adolfo Kaminsky a gardé le silence jusqu’à que ce que Sarah, sa fille, l’amène doucement à parler de sa vie…

Une vie en tous points extraordinaire – celle d’un Juif argentin, fabricant de faux papiers, qui ne s’est jamais fait prendre alors qu’il exerça ses activités pendant les années d’Occupation puis pour de nombreux militants illégaux en des périodes de tension extrême. Trente ans de travaux clandestins, interrompus dans la dernière année de la guerre par une activité légale, officielle et correctement rétribuée : celle de fabricant de faux-papiers pour le compte des services secrets français, où l’homme de l’ombre, pacifiste déterminé, se vit attribuer un uniforme français, des galons de lieutenant, une voiture, un chauffeur et des bureaux…

On dirait un roman, mais tout est véridique, lourd de tragédies. Adolfo a 17 ans en juin 1940. L’arrivée des Allemands bouleverse l’existence de cette famille d’immigrés argentins, qui ne se souciaient pas de leur judéité, et jette un apprenti teinturier, passionné de chimie, dans la Résistance. Avec un matériel dérisoire, grâce à d’invraisemblables bricolages, il va devenir le plus grand faussaire de l’Occupation et sauvera des centaines de vie. Auparavant, l’habitant de la bonne ville de Vire, licencié de son usine parce qu’il est juif, aura la douleur de perdre sa mère, assassinée, et de connaître le camp de Drancy. Terrible témoignage sur les débuts de la persécution antisémite et sur les premiers convois pour l’Allemagne dont il réchappa deux fois. Admirable évocation des travaux et des peurs d’un clandestin exemplaire qui échappa à la Gestapo grâce à une inflexible prudence.

La vie d’Adolfo Kaminsky, c’est, tout du long, celle d’un homme de conviction. Sans engagement politique pendant la Résistance, il s’affirme anticolonialiste lorsque commence la guerre d’Indochine et démissionne de l’armée. Mais c’est comme frais converti au sionisme qu’il fabrique des papiers pour la Haganah et pour le groupe Stern, un exploit qui le contraint à une double clandestinité. La guerre d’Algérie fera de cet inlassable artisan le pourvoyeur des porteurs de valise du FLN puis du réseau Curiel. Je ne suis pas sûr qu’un humaniste conséquent puisse aider des poseurs de bombes aussi impitoyables avec leurs frères ennemis du MNA qu’avec les civils et les militaires français. Mais, qu’on partage ou non ses engagements, on mesure avec stupéfaction l’immensité des services que cet idéaliste particulièrement généreux a rendus aux persécutés de l’Espagne franquiste et de la Grèce des colonels, aux militants révolutionnaires d’Amérique latine et d’Afrique du Sud.

Cette vie, c’est aussi une histoire de sans-papiers qui trouve trop d’échos dans l’actualité. La famille Kaminsky arrive d’Argentine à Marseille, est refoulée en Turquie et se heurte aux rigidités bureaucratiques. Après la Libération, Adolfo, résistant reconnu, est lui-même considéré comme clandestin par la police qui le menace d’une mesure d’éloignement ! C’est seulement en 1992 qu’il a obtenu la nationalité française pour lui et sa famille.

Sa famille… Adolfo, juif argentin, Russe d’origine, sioniste déçu, a épousé en Algérie la fille d’un imam progressiste qui a donné naissance à trois enfants. La France, « c’était le choix de Leïla » qui voyait monter l’extrémisme religieux et qui craignait pour son mari, « le Juif », et pour ses trois « petits métis ». C’était en 1982, quand la France était encore considérée comme la patrie des droits de l’homme, la terre d’asile préférable à tant d’autres. C’est moins vrai maintenant. Il faut persuader toutes les Leïla du monde que ce n’est qu’un mauvais moment à passer.

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(1) Sarah Kaminski, Adolfo Kaminski, Une vie de faussaire, Calmann-Lévy, 2009.

 

Article publié dans le numéro 961 de « Royaliste » – 10 janvier 2010

 

 

 

 

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