L’union très rapide entre la République fédérale allemande et la République démocratique allemande après la chute du Mur de Berlin est toujours présentée comme un événement naturel et positif pour l’ensemble des Allemands. Vladimiro Giacché montre qu’il n’en est rien.

Il n’y a pas de fatalité. Un événement historique ouvre toujours plusieurs perspectives et tel fut le cas lorsque, le 9 novembre 1989, les gardes-frontières est-allemands ouvrirent les barrières sous la pression de la foule. On dit que la chute du Mur est l’acte premier de la « réunification » mais ce mot n’est pas adéquat car la réunion des deux Allemagnes pouvait se faire autrement.

Nous avions oublié l’appel Pour notre pays : publié le 28 novembre et revêtu de 1 200 000 signatures, ce texte lu à la radio par l’écrivain Christa Wolf affirme la nécessité de préserver l’indépendance de la République démocratique allemande pour « développer une alternative socialiste à la RFA » face aux conditions dictées par l’Ouest qui amèneraient « une braderie de nos valeurs matérielles et morales » et « tôt ou tard l’incorporation de la RDA à la RFA ».

Le chancelier Kohl semble aller dans ce sens. Le 28 novembre, il propose au Bundestag d’établir un programme en vue d’une confédération de deux Etats, placée hors des blocs militaires. Ce programme est approuvé par Gorbatchev le 30 janvier 1990 mais le processus se transforme et s’accélère : le 7 février, le dirigeant soviétique accepte l’entrée de l’Allemagne unifiée dans l’OTAN et, le même jour, Helmut Kohl lance le projet d’union monétaire. En peu de temps, les Allemands de l’Est constateront que toutes les craintes exprimées dans l’appel Pour notre pays étaient justifiées. En s’appuyant sur des documents allemands, Vladimiro Giacché (1) démontre que la « réunification » fut en réalité une annexion (anschluss) dont les Allemands de l’Est et l’Union européenne supportent encore les conséquences.

Le gouvernement ouest-allemand a donné de la « réunification » une image romanesque de retrouvailles et s’est crédité d’une formidable générosité à l’égard des malheureuses victimes de l’Est. C’est faux. L’union monétaire allemande n’a pas été décidée en réponse, magnanime, au flux des émigrés de l’Est : c’est au contraire l’entrée en vigueur de l’union monétaire qui intensifie le flux migratoire. La « réunification » n’a pas été réalisée en urgence pour sauver la RDA de la banqueroute : son endettement était supportable, il n’y avait aucun risque d’insolvabilité et, malgré de lourds handicaps, son appareil productif permettait d’assurer 50% du revenu national par les exportations. Les économistes est-allemands qui demandaient une phase d’adaptation de trois à quatre ans ne furent pas écoutés : la « réunification » fut une opération politique menée par Bonn avec le concours des partis politiques ouest-allemands qui s’implantèrent à l’Est et remportèrent les élections du 18 mars 1990. Le nouveau parlement vota le 18 mai le Traité sur l’union monétaire, économique et sociale et adopta un taux de change ravageur : 1 mark de l’Est pour 1 mark de l’Ouest. « De but en blanc, écrit Vladimiro Giacché, les entreprises de la RDA perdirent toute possibilité d’être compétitives avec celles de l’Ouest et leurs produits sortirent immédiatement du marché. »

Certes, les consommateurs purent désormais acheter des produits occidentaux mais ils furent victimes de la forte hausse des prix. Quant à la croissance du chômage, elle fut proportionnelle à la chute de la production industrielle : alors que celle-ci se réduisait de moitié, on comptait plus de 1,7 millions de chômeurs au 30 septembre 1990. C’est sur cette catastrophe initiale que fut organisé le pillage de l’ancienne RDA. Alors que la Treuhandanstalt avait été créée par le dernier gouvernement est-allemand pour accueillir les sociétés d’Etat et distribuer à tous les citoyens de la RDA des certificats de propriété, une nouvelle loi votée en 1990 autorisait une privatisation générale. Celle-ci eut lieu au bénéfice des sociétés ouest-allemandes qui occupèrent et dépouillèrent le pays conquis au mépris des règles légales. La Treuhand fut une officine de pillage et d’escroqueries tellement systématiques qu’on estime qu’elle a détruit la valeur de 900 milliards de marks et au moins 2 millions et demi d’emplois. C’est ce que l’on ose appelle l’économie sociale de marché !

Vladimiro Giacché explique comment le calcul des dettes est-allemandes, la procédure de restitutions des propriétés confisquées, la liquidation de l’ensemble des élites est-allemandes – pas seulement des coupables de crimes avérés, d’ailleurs frappés plus durement que les criminels nazis – et la destruction du système scolaire ont littéralement liquidé l’Allemagne de l’Est. Aujourd’hui encore, les anciens länder de l’Est souffrent d’une industrialisation plus faible et d’un chômage plus fort qu’à l’Ouest, sur fond d’émigration, de vieillissement de la population et de dénatalité. Ce retard dans le développement a créé un « mezzogiorno » allemand qui vit grâce aux transferts réalisés à son profit par l’Etat fédéral afin de soutenir la demande des consommateurs est-allemands.

Il faut lire de très près l’histoire du second Anschluss car les principes et les méthodes utilisées au cours de cette opération politique sont appliqués depuis 2010 en Grèce : contrainte monétaire, destruction de l’industrie, pillage et asservissement de type colonialiste. Il n’est pas étonnant que Jean-Claude Juncker ait proposé dès 2011 le modèle de la Treuhand pour la Grèce !  Une différence cependant : il n’y a pas de transferts budgétaires vers la Grèce permettant que ses citoyens préservent un niveau normal de consommation. Une hiérarchie est à maintenir entre les peuples colonisés… Alles in ordnung ?

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(1)    Vladimiro Giacché, Le second Anschluss, L’annexion de la RDA, L’unification de l’Allemagne et l’avenir de l’Europe. Editions Delga, 2015.

Article publié dans le numéro 1095 de « Royaliste » – 2016

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