Avant comme après l’exécution de Charles Ier, un débat oppose en Grande-Bretagne partisans et adversaires de la monarchie et rencontre un large écho sur le continent. Des chercheurs anglais, français et hollandais expliquent dans un ouvrage remarquable les enjeux de cette bataille idéologique.

C’est agaçant mais c’est ainsi ! Dans l’ordre politique, les Anglais nous précédent pour ce qui concerne les évènements décisifs : la Grande-Bretagne est la mère du parlementarisme beaucoup trop tardivement institué en France, la patrie du Bill of rights publié un siècle avant notre Déclaration des droits et ce sont les Anglais qui, les premiers en Europe, ont osé commettre un régicide.

L’exécution de Charles Ier d’Angleterre eut un retentissement considérable. A l’époque où la République en France est essentiellement conçue comme res publica, les Anglais se livrent à une vaste controverse théologique et politique sur la valeur de monarchie et sur ses fondements – certains n’hésitant pas à présenter les avantages d’un régime républicain. Débat décisif au sens premier du terme puisque la désacralisation de la personne royale permit de trancher la tête du monarque de droit divin. Sous la direction de Yves Charles Zarka et de Franck Lessay, un séminaire réunissant à la Sorbonne des spécialistes de la pensée théologique et politique au 17ème siècle en a précisé les enjeux (1).

Pour s’y retrouver, il faut d’abord souligner que le mot République change de signification au 17ème siècle. Classiquement, le Commonwealth était utilisé (notamment par Hobbes) pour traduire la res publica latine et désigner toute forme d’Etat légitime. Puis, comme l’explique Franck Lessay, les Anglais sont requis de prêter serment d’allégeance au « Commonwealth of England », étant précisé que cette république est « sans roi ni Chambre des Lords ». On retrouvera cette définition négative dans la conception française du régime républicain qui exclut plus radicalement toute transcendance divine. Comme en France, les citoyens rendus libres de se gouverner selon leur propre choix feront avec Cromwell l’expérience de la dictature.

Il reste que le travail de négation de la monarchie de droit divin fut intelligent et efficace, malgré la qualité de la réflexion des défenseurs de l’absolutisme royal. Le premier d’entre eux n’est autre que Jacques VI d’Ecosse, auteur en 1616 de « La vraie loi des libres monarchies » : sa thèse fondamentale, écrit Bernard Bourdin, « est de mettre en évidence que Dieu est seul juge du contrat entre le roi et le peuple » (2). La monarchie libre est celle qui est délivrée des freins juridiques et religieux : c’est au sens strict une monarchie absolue de droit divin puisque la souveraineté royale s’inscrit « dans le cadre d’une hiérarchie métaphysique » dont les modernes que nous sommes ne soupçonnent plus la force.

Au 17ème siècle encore, la théologie politique est confortée par la philosophie politique dont les concepts sont utilisés avec pertinence. Dans son étude sur la royauté et le corps politique pendant la guerre civile anglaise, Ian Harris s’interroge sur la notion de puissance et montre que la conception archétypale de la royauté classique, qui procède de la puissance divine, se comprend selon la théorie aristotélicienne de la causalité. Le monarque n’est pas cause matérielle du corps politique (il n’est pas sa matière) ni sa cause finale (le but, c’est de vivre le plus heureusement possible) ni sa cause efficiente, c’est-à-dire ce qui donne immédiatement le produit fini – à moins d’être fondateur d’une nation. Le roi est la cause formelle – autrement dit le modèle de ce qui est effectivement produit : il donne corps à la multitude, il constitue par son gouvernement les individus dispersés en collectivité politique. L’idée se trouve dans la Bible et garde aujourd’hui sa vérité : le pouvoir politique assure le lien social. Ce qui a été abandonné par la modernité, c’est le principe divin, le fondement en Dieu du pouvoir et de la puissance.

Les Anglais n’ont pas attendu la Révolution française pour refonder la royauté. Contre Jacques VI, Buchanan affirme avec d’autres contemporains que « C’est la loi qui fait le roi ». En toute rigueur, il n’y a pas de souveraineté royale : c’est la loi qui est le véritable souverain. Il devient alors possible de penser, avec Hobbes, que la légitimité du souverain ne vient pas de Dieu mais d’une décision humaine – celle de passer le contrat qui donne naissance au corps social et au souverain.

Il y a donc débat entre les partisans de la monarchie et la thèse absolutiste y est vigoureusement combattue. Peu à peu s’impose l’idée que le roi n’est « rien qu’un serviteur éminent de l’Etat », un homme soumis à la loi. La désacralisation de la fonction royale précède la décapitation du monarque et marque le passage à la modernité politique. Le courant républicain (John Milton, James Harrington, Algernon Sidney) contribue très largement à cette authentique révolution mais sans réussir celle qui se produisit effectivement : comme le note Spinoza, les Anglais qui avaient décapité leur roi virent s’installer un autre monarque sous le nom de Lord Protecteur.

Les événements d’Angleterre furent abondamment commentés en Hollande. La France frondeuse, telle qu’on la retrouve dans les mazarinades, réprouva avec horreur le républicanisme anglais. L’absolutisme récusé puis détruit outre Manche était, chez nous, encore à venir…

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(1) Leurs contributions ont été publiée sous la direction de Yves Charles Zarka: Monarchie et république au XVIIIème siècle, PUF, 2007.

(2) Bernard Bourdin, La genèse théologico-politique de l’Etat moderne, PUF, 2004.

 

Article publié dans le numéro 917 de « Royaliste » – 7 janvier 2008.

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