Face au mouvement historique que le putsch manqué de Moscou a brutalement accéléré, il est regrettable que le débat public, dans notre pays, n’ait pas été à la mesure des nouveaux enjeux. Rien ne fut plus important, pour les quelques journalistes qui mettent en scène l’information, que de savoir si le chef de l’Etat faisait ou non de la bonne « communication ». Or nous savons que l’impression de ces messieurs fut mauvaise, en dehors de toute analyse des textes et de toute remise en perspective de la politique française. L’opinion publique fut décrétée insatisfaite, et des sondages enregistrèrent tout à la fois l’usure du pouvoir présidentiel et la nette remontée de la popularité de son détenteur. Allez comprendre…
L’opposition, quant à elle, ne chercha pas à s’interroger plus avant : sa fraction chiraquienne se précipita à Moscou en songeant aux élections cantonales, ravie du bon tour joué à Giscard et certaine de doubler le président de la République. M. Chirac et ses amis croient sans doute que leurs interlocuteurs moscovites ne savent pas distinguer une opération de politique intérieure française d’une action diplomatique. Ce comportement méprisant nous serait compté, si la présence de la France se résumait à l’agitation de quelques hommes politiques sur la place Rouge. A entendre MM. Gorbatchev et Eltsine, on s’aperçoit heureusement que tel n’est pas le cas.
EFFACEMENT ?
On m’objectera que j’ai tort de me plaindre puisque la récente conférence de presse présidentielle, présentée comme un « oral de rattrapage », a été jugée passable ou bonne par d’éminents éditorialistes. Ce serait méconnaître la nature de l’inquiétude que nous exprimons dans ce journal depuis des années. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de prendre la défense du chef de l’Etat, mais de lutter contre la dégradation et l’effacement progressif du commentaire et du débat politiques.
Nous ne devrions pas accepter plus longtemps que l’on présente comme une analyse la vague impression laissée par un acte public sur un journaliste qui se garde bien de donner ses critères de l’élégance médiatique, de dire qui l’a désigné comme arbitre lors qu’il siffle des « fautes de communication », et de tirer les conséquences de ses propres manquements à une éthique professionnelle dont il fixe les règles (1).
Nous ne devrions pas accepter plus longtemps que des éditorialistes certes brillants prennent des poses de commentateurs objectifs alors qu’ils sont tantôt les agents rétribués d’une entreprise commerciale (TF1 par exemple), tantôt des militants que l’on retrouvera, d’ici quelques années, dans un cabinet ministériel ou dans une ambassade. Attaché, comme tout le monde, à la liberté de la presse, je récuse cette confusion des genres qui explique, au moins pour une part, un discrédit des journalistes sur lequel nos grandes consciences médiatiques évitent de s’interroger.
INQUIÉTUDES
Ce point souligné, et ce ne sera pas la dernière fois, que dire d’une rentrée qui, quant à l’action de l’Etat, s’esquisse à peine au moment où j’écris ? D’abord que l’agitation de surface des dernières semaines n’avait pas lieu d’être : Edith Cresson est bien Premier ministre, et Jacques Delors demeure à Bruxelles, figurez-vous ! La France, on s’en doutait, continue de mener en Europe la politique qu’elle a définie depuis belle lurette et le projet de Confédération, que l’on disait enterré, est une œuvre de longue haleine qu’il faudra souvent remettre sur le métier tant il est vrai que l’Europe qui se retrouve va être, pendant des années, perturbée, déchirée et ensanglantée – elle l’est déjà en Yougoslavie – par la question des nationalités. Aider à la reconstitution d’Etats de droit, éviter autant que possible les dérives ethnicisantes ; l’enjeu est de taille, pour l’Europe et pour la France qui ne sera pas épargnée, on ne le voit que trop, par les délires identitaires. Qu’on ne fasse pas comme si tout était d’ores et déjà perdu.
Quant à la politique économique, nul ne pouvait sérieusement s’attendre à un changement de cap depuis que les grandes orientations budgétaires étaient connues. Nous avons exprimé cent fois, et en tous lieux, nos critiques et nos réserves qui sont d’autant plus vives que les plus hauts responsables n’ont pas dit (ou fait dire) clairement ce qu’ils veulent pour la nation et pour son avenir dans l’Europe. Mais laissons au Premier ministre le temps (quelques semaines) d’engager la politique pour laquelle elle a été nommée, en espérant qu’elle évitera les bévues et les dérapages qui lui ont fait tant de tort au début de l’été.
Décisive mais lourde de violences en Europe, bavarde et Incertaine dans notre pays, la situation politique en cette rentrée n’incite pas à l’optimisme. L’effondrement du communisme crée un vide que d’autres illusions totalitaires risquent de venir combler, si de nouveaux projets ne sont pas clairement définis et accomplis. Nous aurons à cœur d’y contribuer.
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(1) Les journalistes de la télévision jurent qu’ils ont veillé à recouper leurs informations lors du putsch moscovite. C’est donc qu’ils ne le faisaient pas auparavant…
Editorial du numéro 563 de « Royaliste » – 23 septembre 1991.
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