« Il faut dire ce que l’on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». On connaît cette citation de Charles Péguy. Nous regrettons qu’elle soit si souvent perdue de vue par les responsables politiques, les médias, les chercheurs et autres commentateurs « indépendants » des relations internationales. La récente désignation de Donald Trump comme 47ème président des États-Unis en fournit un exemple frappant. Qu’on le veuille ou non, cette élection sonne comme le sursaut d’une Amérique profonde inquiète pour son avenir et non comprise par le parti démocrate et les élites des grandes métropoles. Or, la bien-pensance nous assénait doctement, jusqu’au 5 novembre, que Kamala Harris, première femme issue des minorités à se présenter au poste de président des États-Unis, allait/devait être élue[1]. La question ne faisait pas débat. Elle relevait du dogme. Et cela d’autant plus que son adversaire était un affreux machiste, fasciste, populiste … Il n’en a rien été à leur grande stupéfaction. Ils n’en sont toujours pas revenus. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche nous inspire trois réflexions, subjectives par nature.
Une victoire qui ne souffre pas la moindre contestation
Ayons le courage de regarder la réalité en face avec un minimum de recul et d’objectivité ! Donald Trump fait un carton plein en termes de voix, de grands électeurs, d’États remportés, y compris les États pivots, de représentants envoyés dans les deux chambres. La victoire est totale alors que l’issue du scrutin était présentée comme très serrée. Et cela même en dépit d’une couverture médiatique à sens unique et partisane au-delà du possible. Selon une étude du « Media Research Center », le nouveau président des États-Unis n’a bénéficié que de 15% de couverture médiatique positive, contre 78% pour sa concurrente démocrate. Les trois grandes chaînes de télévision du pays, à savoir ABC, CBS et NBC, ont largement favorisé la vice-présidente Kamala Harris. On ne saurait être plus clair. Comme toujours les faits sont têtus. C’est donc bien que Donald Trump (l’idiot du village) a mieux compris les aspirations profondes, sociales, économiques, sécuritaires, identitaires d’une grande majorité de ses concitoyens que sa rivale, focalisée sur les questions dites sociétales : genre, race, « woke », « cancel culture », féminisme débridée à la sauce MeToo, droit à l’avortement …, n’a pas voulu aborder. Le désaveu est cinglant pour elle et son parti. Mais également pour nos journalistes idéologues. À titre d’exemple, Mediapart évoque un « cinglé fascisant » aux manettes du monde, la victoire de la masculinité toxique. Libération évoque la « menace d’une présidence sans garde-fous ». Le reste est à l’avenant. Rien de moins. Rappelons-nous que tout ce qui est excessif est insignifiant !
Une victoire qui devrait ouvrir les chemins de la paix
Rappelons, s’il en était encore besoin, que lors de son premier mandat (2016-2020), Donald Trump ne s’était lancé dans aucune guerre ! Il se situait tout simplement dans la continuité de la doctrine Monroe qui caractérise la politique étrangère américaine de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Tirée du nom du cinquième président des États-Unis James Monroe, elle condamne toute intervention européenne dans les affaires « des Amériques », tout comme celle des États-Unis dans les affaires européennes. Ceci explique bien des choses qu’ignorent nos perroquets à carte de presse incultes dans la sphère des relations internationales. C’est pourquoi, nous ne devons guère nous étonner que le 47ème président américain veuille en finir avec les deux conflits qui empoisonnent le monde d’aujourd’hui : la guerre en Ukraine et au Proche-Orient. Pour ce qui est du premier, nous devons aller au-delà de ses déclarations à l’emporte-pièce pour n’en retenir que la substantifique moelle. Il entend se rapprocher rapidement de Vladimir Poutine pour mettre au point les termes d’une paix qui en finisse avec cette boucherie, sans demander leur avis aux Européens. Il est clair que les Occidentaux n’en sortiront pas grandis et que les Ukrainiens seront les dindons de la farce. Pour ce qui est du second, s’il est un soutien inconditionnel d’Israël, Donald Trump veut attacher son nom à un règlement pacifique du conflit (à sa manière) dans la suite des accords d’Abraham. Une sorte de paix à dimension régionale. Est-ce une démarche condamnable dans son principe ? La réponse est dans la question.
Une victoire qui pourrait sortir l’Europe de sa torpeur
Comme le souligne justement, l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert, « L’Europe est nue et d’une insoupçonnable légèreté de l’être ». Ceci relève de l’évidence pour celui qui suit attentivement et objectivement l’évolution du projet européen depuis ses premiers balbutiements dans les années 1950 jusqu’aux errements actuels du mammouth bruxellois. Souvenons-nous de la parabole du cabri lancée par le général de Gaulle lors d’une conférence de presse le 14 décembre 1965 (« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont. ») ! Et c’est bien de cela dont il s’agit aujourd’hui, soixante ans plus tard, alors que les positions de Donald Trump sont claires (« America First »). L’élection américaine renvoie les Européens à leurs responsabilités premières. Veulent-ils continuer comme si de rien n’était sur la voie de la politique du chien crevé au fil de l’eau ou du tout change pour que rien ne change ? Ou bien sont-ils disposés à prendre leur destin en main en lançant rapidement une réflexion stratégique sans naïveté et sans tabou – pas une discussion de bazar et pas d’interminables palabres sur les questions institutionnelles – sur la place et le rôle de l’Europe dans le monde du XXIe siècle ? La réponse à cette question n’est pas à Washington mais dans les capitales des États membres. Le veulent-ils ? Le peuvent-ils ? Nous le saurons très bientôt … sans nous faire trop d’illusions sur le sujet à la lumière de l’expérience passée qui n’est guère encourageante. Mais, sait-on jamais ?
« Je suis pessimiste par l’intelligence mais optimiste par la volonté ». Cette citation attribuée à Antonio Gramsci devrait servir de source d’inspiration à tous nos décideurs et nos folliculaires en abordant le monde d’après l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. Toute conduite réaliste et pragmatique d’une diplomatie efficace ne peut se concevoir sans concilier une dose de pessimisme et d’optimisme. Au lieu de se lamenter – c’est un fait acquis – nous devons nous projeter vers un avenir incertain pour tenter de mieux le comprendre et de mieux l’anticiper. Rien ne sert de regretter les coups de cœur et les coups de gueule de Donald Trump (62% des Français se disent inquiets après l’élection de Donald Trump). Il faudra faire avec. C’est le bon sens près de chez vous. Il n’est pas si détestable que certains veulent bien nous le présenter à condition de se confronter au réel et non de chevaucher des chimères. Abordons donc cette nouvelle ère des relations internationales avec lucidité et volontarisme, en citoyens libres, en reprenant en chœur les premières phrases du Chant du Départ : « La victoire en chantant, la liberté guide nos pas … » !
Jean DASPRY
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Jean Daspry, Du Trump bashing à la Kamalamania, Le blog de Bertrand Renouvin, 20 septembre 2024.
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