Attentats : le temps des vraies questions (Eric Wenzel)

Jan 15, 2015 | Billet invité

Eric Wenzel, universitaire, a bien voulu m’adresser ses réflexions après les manifestations du 11 janvier. Je m’empresse de les publier.

Notre mouvement et ses sympathisants ont montré, par leur participation aux manifestations de ce 11 janvier, leurs légitimes tristesse et colère à la suite des tragiques événements que la France a eu  le malheur de connaître. Voici pour le temps légitime de l’émotion. Celui de la réflexion devra  bientôt suivre, afin de comprendre, avec profondeur et objectivité, comment des citoyens français en sont venus à en assassiner d’autres sous prétexte de blasphème ou d’appartenance à une autre communauté spirituelle. Si des causes externes sont évidemment à mettre en avant, négliger les facteurs internes serait faire preuve d’un criminel aveuglement.

Du côté des premières, nul angélisme. Si la religion musulmane ne peut en tant que telle être incriminée, parce qu’elle ne contient pas intrinsèquement les germes du terrorisme, pas plus et à la vérité pas moins que le christianisme (« Force les à entrer » Luc 14,22 ; « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » Matthieu 10,34), aucun doute sur la propagation depuis plusieurs décennies d’un islam radical, certes nourri du terreau colonial et post-colonial, mais largement encouragé  à coup de pétrodollars. Le wahhabisme, rejeton de la version la plus radicale de l’islam « historique », celle du hanbalisme, inonde aujourd’hui le monde en crise, au point, en Europe notamment, de faire se voiler entièrement des filles et des femmes issues de traditions pourtant bien différentes, qu’elles soient maghrébines (rite malékite) ou turques (rite hanéfite). Pourtant, la chose ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier, sans quoi d’aucuns parmi nos concitoyens n’auraient sans doute pas attendu, qui les années 1990, qui les années 2010, pour passer aux actes. Il faut donc bien avancer d’autres facteurs d’explication puisque se moquer des religions et, surtout, de leurs adhérents, par les dessinateurs de Charlie Hebdo ou d’autres journaux n’est pas non plus un phénomène récent ; la satire semblant exponentielle à la radicalisation des revendications confessionnelles.

Du côté des seconds, j’avoue ne pas être assez spécialiste de tout (genre l’inévitable BHL) pour m’aventurer avec précision sur l’ensemble des terrains politiques, économiques et sociaux, car c’est bien de cela dont il va évidemment être question. Voici au moins quelques réflexions que j’ose croire pertinentes, à défaut d’être complètes.

Les politiques qui, non sans légitimité, ont appelé ces jours-ci au grand rassemblement national, démocratique et républicain, doivent être tancés sans vergogne et remis face à leurs responsabilités. On les entend pourfendre le communautarisme alors que les années Mitterrand dans lesquelles ils ont été formés et dont ils sont issus, ont été celles des premières grandes revendications communautaires qui ont été encouragées, parfois consciemment, parfois plus inconsciemment. La marche des Beurs de 1983 aurait pu donner lieu à une vraie prise en compte des populations issues de l’immigration par une authentique politique d’intégration républicaine, au lieu d’un « touche pas à mon pote » pleurnichard aux effets dévastateurs. Le communautarisme donne un blanc seing au Marché : il existe un marché du hallal, comme il existe un marché gay, un marché bio, ou autres. Faiblesse des politiques devenus otages volontaires des forces économiques ? Vieille antienne du diviser pour mieux (faussement) régner ? L’éviction dans les années 1970 des catégories populaires de l’Est parisien attachées à la gauche revendicatrice et leur remplacement par des populations immigrées alors non politisées n’est pas un mythe… Le regroupement familial de cette même période a sans doute eu sa motivation humaniste, mais était aussi mu par une volonté de développer un consumérisme à grande échelle adressé à des populations peu critiques parce que faiblement éduquées, au sens académique du terme. Il faut affirmer aussi que, dans ce marchandage communautaire, certains groupes sont mieux traités que d’autres, au point qu’il n’est plus possible de critiquer l’attitude ambiguë de la France et de certains juifs de France à l’égard d’Israël sans se faire taxer d’antisémitisme !

Mais aussi, causes plus profondes déjà sous-entendues, notamment la déliquescence de notre système éducatif au nom d’un idéal, certes démocratique, mais pas franchement républicain. Cet idéal qui aspire au « tout le monde a droit à tout » et dont les résultats confinent à la « fabrique du crétin » vilipendée par des enseignants qui ont encore la culture pour s’en rendre compte. En tant qu’universitaire, j’avoue être effaré par l’arrivée d’un contingent chaque année plus fort d’étudiants quasi analphabètes, dont les seules références informatives et culturelles sont celles piochées sur le net, avec ses fantasmes et ses inepties. Fait absolument pas étrange, la multiplication des voiles intégraux allant de pair avec celle des pseudo-bacheliers, à qui l’on donne l’illusion d’une sortie vers un monde meilleur sans cesse repoussé (on va « à la fac » !), sous couvert d’une explosion à retardement (principe des bourses, à la vérité très vite seule motivation réelle, dont le montant est peu ou prou celui du RSA prochainement touché). Qu’arrivera-t-il lorsque notre Etat providence n’arrivera plus à financer une pauvreté toujours plus galopante, qui plus est lorsque les aides sociales sont le gagne-pain d’une population persuadée de pouvoir prétendre à mieux ou convaincue d’avoir été maltraitée ? Le désœuvrement est donc à double tranchant (c’est un euphémisme) : la rancœur est grande chez ces générations sacrifiées et dont le libre arbitre ne peut  s’exprimer (faute de culture suffisante) que dans l’appel des faux prophètes, sergents recruteurs de la misère sociale, comme naguère la SA s’engraissait du Diktat de Versailles. Il ne s’agit pas de s’autoflageller, mais de comprendre comment on crée un baril de poudre, qu’on entretient de l’extérieur qui plus est en proposant une (re)conversion à une religion étriquée, si éloignée de celle qui a pu produire un Avicenne, un Averroès, un Emir Abd el Kader ou, pour notre époque, un Mohamed Talbi.

Les attaques contre notre laïcité ne peuvent également être passées sous silence ; cette laïcité, norme constitutionnelle rappelons-le, largement fruit d’un combat contre l’Eglise catholique naguère sanctuarisée par le Concordat et dont la loi de 1905 n’a, positivement (le système concordataire en Alsace-Moselle, les arrangements dans plusieurs Collectivités d’Outre-Mer, la participation des collectivités locales dans la construction des édifices religieux, mosquées y compris, etc.), ou négativement (les discours de Sarkozy pendant son quinquennat), jamais strictement été appliquée ou respectée. Preuve de sa souplesse et de la souplesse dont sait faire preuve notre société, sauf quand il est question de la rendre « positive », comme si elle ne l’était pas déjà. Il serait bon de rappeler à nos chères têtes blondes ou brunes que la laïcité implique la fin du blasphème, juridiquement parlant, et que les grandes figures religieuses peuvent être louées pour leurs paroles, mais qu’en tant que personnages historiques, ils n’appartiennent en rien à une communauté particulière, mais à tous et qu’il est donc normal de pouvoir s’en moquer, gentiment ou moins. A titre personnel, les œuvres dites de l’esprit qui, sous prétexte d’art pour mieux en cacher la dimension mercantile et aguicheuse, genre Piss Christ, me gênent un tantinet, mais entre grincer des dents et vider un chargeur de Kalachnikov, il y a un monde ! Celui de la liberté !

La Res Publica implique discipline (sans quoi la liberté est vaine et confine au n’importe quoi), respect de la loi (que l’on peut changer) et de grands principes communs (qui évoluent, mais dont on ne peut faire table rase) : une grande partie de notre corps civique semble ne plus vouloir s’y tenir, nos politiques l’ont allègrement trahie, le capitalisme dit néo-libéral entend parfois s’en détacher pour mieux prospérer, nos grandes institutions s’en trouvent comme décalées. Le combat risque d’être long et difficile, mais il paraît qu’impossible n’est pas français…

Eric Wenzel

Avignon

 

 

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