Dans tous les domaines, la pulsion identitaire vise à défaire le lien politique, national et local. Trop souvent flattés par des élus régionaux, les ethno-régionalismes illustrent ce processus.

Le sous-titre du livre de Benjamin Morel (1) est source de malentendus. Ce n’est pas le régionalisme en tant que tel qui engendre le séparatisme mais l’ethno-régionalisme. Le régionalisme, qui procède de l’amour des régions françaises, de leurs coutumes spécifiques et des langues ou des parlers locaux, a inspiré l’idée de la décentralisation. L’ethno-régionalisme est une idéologie moderne, apparue à la fin du XIXe siècle, qui reproduit en tous lieux le même processus subversif.

Il ne s’agit plus de défendre les cultures régionales et locales en sauvegardant les langues historiquement parlées en certains lieux, mais de construire une identité non pas distincte mais séparée de la collectivité nationale. On célèbre un peuple originel au risque de la mythologie, on lui prête des qualités héroïques et ce récit fictif peut aller jusqu’à la recomposition d’une langue purgée de toute influence “étrangère”. Cette novlangue est utilisée comme un marqueur identitaire qui permet de donner une apparence d’unité au territoire revendiqué par les ethno-régionalistes. Ces procédés sont particulièrement visibles en Bretagne, où des panneaux bilingues fleurissent à l’entrée de villes et de villages où l’on n’a jamais parlé breton. Il s’agit de créer une unité essentielle entre le peuple tel qu’il a été inventé, la langue telle qu’elle a été reconstituée et le territoire tel qu’il a été redessiné par les théoriciens identitaires. Les effets sont impérieux, à défaut de pouvoir être impérialistes, comme on le vit après 1968, lorsque les partisans de l’Occitanie voulurent imposer leur langue en Corrèze où le parler local était en train de disparaître. La poussée ethno-régionaliste se fait toujours au détriment des “petites patries” locales.

En France, l’ethno-régionalisme est souvent considéré comme un folklore plus ou moins radical mais peu dangereux. C’est négliger les dynamiques qui sont à l’œuvre chez nos voisins italiens, espagnols et britanniques, dont nous nous croyons à tort préservés. La logique de surenchère qui a conduit, par exemple, à l’émergence d’un nationalisme écossais, ne nous est pas épargnée. Les nationalistes corses invoquent la Nouvelle-Calédonie, des élus bretons vont étudier la Communauté européenne d’Alsace et, dans les collectivités décentralisées, des politiciens de droite et de gauche multiplient les signes de connivences avec les groupes ethno-régionalistes. L’objectif est double. Les candidats trouvent des militants qui attireront des électeurs – rares lorsqu’il s’agit des élections régionales. Ils peuvent utiliser des signes et des thématiques – drapeaux, chants, célébrations identitaires – beaucoup plus parlantes que les austères comptes-rendus de mandat. C’est ainsi que l’on en vient à accepter des revendications d’autant plus radicales que, dans la mouvance ethno-régionaliste, il y a aussi surenchère entre les modérés et les extrémistes.

Confrontée à ce processus, les élites parisiennes ne cessent de faire des concessions qui rendent illisible la décentralisation et qui contribuent à la dislocation de l’unité nationale. Le danger ne vient pas des groupes ethno-régionalistes, marginaux et divisés, mais de l’irresponsabilité de la gouvernance oligarchique.

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(1) Benjamin Morel, La France en miettes, Régionalisme, l’autre séparatisme, Le Cerf, 2023.

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