Des royalistes avec François Mitterrand ? Ce n’est plus une surprise puisque cela fait sept ans que nous sommes, librement, avec le président de la République. Ceux qui nous suivent depuis longtemps savent que notre choix de 1981 et notre maintien de celui-ci, y compris dans les moments les plus difficiles du septennat, fut exempt de toute complaisance et, lorsque le Président retrouva sa popularité, de toute idolâtrie.

Notre conception monarchique du pouvoir, notre idée de l’homme – ni technicien, ni surhumain qui est appelé à l’incarner – fait que nous sommes rebelles aux dévotions et aux courtisaneries. Ces démonstrations excessives ne sont pas notre fait. Elles ne nous intéressent que comme symptômes d’une angoisse profonde, comme regret inavoué d’une absence que la politique ne peut ni ne doit combler. Avec François Mitterrand, nous le sommes sans abdication d’aucune sorte, mais au contraire dans la fidélité à notre projet essentiel et aux objectifs qui y sont inscrits. Cela signifie notamment que le double paradoxe d’un royalisme pactisant avec la gauche et rallié à la République n’a pas le moindre semblant d’existence ni de pertinence puisque nous demeurons hors de la famille socialiste, puisque la République signifie désormais l’Etat de droit, le souci du bien commun selon sa définition originelle. Un bref retour en arrière permettra d’éclairer ces points.

RISQUES ET CHANCES

Il est vrai que notre choix de 1981 ne fut pas sans risques, et que notre appel en faveur du candidat de la gauche était d’abord la conséquence de notre constante opposition à V. Giscard d’Estaing. Ayant dénoncé pendant sept ans l’imposture du « libéralisme avancé », et chez le Président en place une absence totale de sens de l’Etat que son livre de souvenirs vient de confirmer, il n’était pas concevable de se tenir dans l’abstention.

Contre le gouvernement des apparences et de la monarchie caricaturée, nous avons choisi celui qui exprimait l’espérance de la justice sociale et du changement économique, et qui offrait la possibilité d’une restauration de l’Etat dans sa dignité, son honnêteté et son indépendance à l’égard de l’argent. Ni l’antigaullisme systématique de François Mitterrand, ni ses penchants atlantistes, ni sa référence à l’idéologie laïque, ni les ambitions hégémoniques de son parti n’étaient oubliés ou négligés, mais des évolutions étaient perceptibles, qu’il fallait encourager. Quant à la présence de communistes au gouvernement, elle ne nous inquiéta pas une seconde et, d’autre part, nous étions favorables aux nationalisations et à la décentralisation. Opposés au conservatisme de la droite, étrangers aux mythes de la gauche, pour laquelle nous n’avons voté ni en juin 1981 ni en mars 1986, nous accordions notre confiance à l’homme et non à son parti, nous prenions pour critères le service de l’Etat et du pays, et non une idéologie.

Nous n’avons pas eu à regretter notre choix et le risque qui fut pris. Sans changer de critères ni de ligne de conduite, nous pouvons aujourd’hui faire le même choix qu’en 1981 – à cette différence près qu’il n’y a plus de risques à courir mais des chances à saisir.

Être aujourd’hui avec François Mitterrand ne signifie pas que son septennat doive demeurer exempt de toute critique. Mais il convient de distinguer, selon la règle politique, le rôle du Président dans le domaine qui est le sien et celui des gouvernements successifs. Face à l’action de ceux-ci, nous n’avons cessé d’exprimer nos déceptions et nos reproches : incohérence de la politique économique décidée en 1981, faute d’une dévaluation de combat, choix néfaste de la « rigueur », échec sur le plan de l’emploi et développement de la pauvreté, archaïsme d’une bataille scolaire mal engagée, mal conduite et mal expliquée, épuisement rapide d’un projet que les socialistes n’ont pas su renouveler… Autant de critiques franches et sévères, mais jamais systématiques puisque nous avons soutenu, notamment, l’action de Robert Badinter, de Georgina Dufoix, d’Edgard Pisani, de Jean-Pierre Chevènement, de Jack Lang. Le président de la République porte sa part de responsabilité dans les erreurs et les échecs que Je viens d’évoquer. Mais, quant à l’exercice de sa fonction, le fait est que François Mitterrand s’est révélé bon serviteur de l’Etat, respectueux de la règle institutionnelle et fidèle à l’esprit de nos institutions. Attachés aux principes d’unité, de continuité, d’arbitrage et d’indépendance qui furent ceux de la monarchie capétienne et qui marquent aujourd’hui une constitution monarchique dans son esprit, nous avons constaté que le Président, sans abandonner ses convictions, rejoignait ces principes, s’efforçait de garantir l’unité du pays, d’arbitrer dans le souci de la justice, et inscrivait la politique étrangère et la défense dans la tradition profonde de notre pays. Quant à l’expérience de la cohabitation, grâce à lui réussie, elle a permis une définition plus claire et plus juste de la fonction présidentielle – tandis que s’esquissait, malgré d’inévitables ambiguïtés, une évolution institutionnelle à nos yeux positive.

NOTRE SOUHAIT

D’où notre souhait que François Mitterrand se représente et soit réélu. Pourquoi pas ses rivaux ? Raymond Barre, conservateur archétypique, présente le risque d’une perversion institutionnelle par le quinquennat de fait qu’il pourrait laisser s’établir. Jacques Chirac, malgré des qualités que nous avons plusieurs fois soulignées, n’est-il pas trop fragile, trop malléable, trop changeant pour exercer une fonction qui exigera, plus que jamais dans les années qui viennent, l’expérience, la constance et la fermeté dans les décisions ? Avec François Mitterrand, nous sommes assurés que le chef de l’Etat aura les qualités requises. Les ayant déjà démontrées, il peut, il doit être pendant sa campagne, l’homme d’un rassemblement qui peut, qui doit aller très au-delà de la famille politique dont il est issu. Confirmé dans ses fonctions, il pourrait alors changer la donne politique, renouveler le débat, en amorcer de nouveaux, et, par le Premier ministre qu’il choisira, faire apparaître un gouvernement affranchi des questions d’étiquettes et des rituels partisans et de ce fait capable de mieux servir le projet commun. Telle est, avec François Mitterrand, la chance que nous voulons saisir.

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Editorial du numéro 489 de « Royaliste » – 17 mars 1988

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