Par un excellent connaisseur du capitalisme français, la biographie de Bernard Arnault, empereur du luxe, spadassin de la finance, parrain d’un milieu affairiste dont les mœurs sont cruellement dévoilées.
D’abord, ne pas confondre Bernard Arnault et son double maudit, François Pinault, malgré ces deux noms qui se ressemblent et ces deux itinéraires qui sont en parallèle – jusqu’au moment où les stratégies se heurtent dans un combat sans grandeur ni pitié.
Bernard Arnault, donc, c’est l’homme beau et glacé comme une gravure de mode qui est l’image parfaite de ce que fabrique le patron de LVMH (pour Louis Vuitton, Moët, Hennessy) : le produit de luxe (Dior, Chaumet, Guerlain…) qui est à la base d’un empire étendu à la grande distribution (La Samaritaine…), à la presse (La Tribune…) et à quelques autres domaines (Château d’Yquem).
Vous y êtes ? Bon. Vous croyez que cet Arnault est l’exemple même d’une vie réussie ? Vous souhaiteriez que les économistes à la mode fassent du bonhomme la figure emblématique de l’entrepreneur dynamique ? Vous acquiescez lorsque les échotiers vantent les talents de « décideur » et le génie boursicoteur du richissime personnage ?
Hélas, vous qui entrez dans le livre d’Airy Routier (1), abandonnez toute rêve de fortune honnêtement amassée, toute illusion sur les vertus du marché ultralibéral et sur la rationalité des choix effectués par les agents économiques.
Certes, Bernard Arnault est hors normes : ce n’est ni l’héritier d’une grande famille ni une auto-création à l’américaine mais l’enfant d’un brave patron du Nord et de Polytechnique. Sa réussite, il la doit pour commencer à Laurent Fabius, qui lui a permis d’acheter le groupe Boussac pour le franc symbolique. Il a ensuite bénéficié des largesses du Crédit Lyonnais – sans lequel les parrains du milieu affairiste (Arnault, Pinault) et le chien fou des années quatre-vingt (Bernard Tapie) seraient restés des seconds couteaux.
Sa fortune, il la doit à tout un système de pompes financières qui fonctionnent à l’intérieur du groupe LVMH et dont Airy Routier démonte les mécanismes : ils ne répondent pas, c’est le moins qu’on puisse dire, au sacro-saint principe de transparence.
Quant aux choix rationnels… Les richesses accumulées ne sont que le signe extérieur de pulsions plus profondes, qui transforment les hommes bien élevés en tueurs. Avec l’affaire Gucci, qui l’oppose à François Pinault, Monsieur Arnault est entré « avec une joie sauvage dans le monde de l’irrationnel, où la loi des chiffres s’efface devant la violence, l’amour et la haine » écrit Airy Routier. Voici l’ange dans l’enfer des passions. Il l’a bien cherché.
***
(1) Airy Routier, L’ange exterminateur, La vraie vie de Bernard Arnault, Albin Michel, 2003.
Article publié dans le numéro 819 de « Royaliste » – 23 juin 2003
0 commentaires