Depuis le trop fameux « tournant de la rigueur » de 1983, le Front national a été capable de réunir un électorat de plus en plus impressionnant sur le rejet de l’immigration auquel s’est ajouté le rejet de l’islam mais aussi, dès ses débuts, le rejet du mondialisme et de l’establishment. Jean-Marie Le Pen a fait preuve d’une remarquable intelligence tactique, mise au service d’une stratégie de gestion patrimoniale des acquis frontistes qui impliquait le refus de prendre le pouvoir ou d’y participer.

Un imaginaire s’est constitué autour des « arabo-musulmans » à partir d’éléments historiques – la guerre d’Algérie – et de fragments de réalité. Il a suscité d’innombrables débats qui étaient nécessaires mais qui ont occulté les causes du malheur français : adhésion à l’ultralibéralisme, décomposition sociale, passage au Marché unique et à l’euro, domination allemande. Le Front national de Jean-Marie Le Pen a efficacement exploité les colères et les angoisses provoquées par ces évolutions catastrophiques, mais son nationalisme xénophobe excluait une entente patriotique susceptible de créer un choc frontal entre les défenseurs de la nation française et le camp européiste-mondialiste. Le trouble de la conscience nationale s’en trouva fortement aggravé.

Le Front national de Marine Le Pen a fait preuve d’une capacité supérieure : il a fait fructifier le capital xénophobe grâce au terrorisme, mais il a gonflé le capital anti-européiste et les thématiques sociales afin de séduire toute la clientèle des humiliés et des offensés. Stratégie payante : la présidente du Front national est désormais « en capacité » de se faire élire à la présidence de la République.

Mais cette élection possible marquerait le brutal retournement de toutes les capacités tactiques et stratégiques en incapacités politiques. Si Marine Le Pen est élue, les promesses frontistes se heurteront immédiatement aux contraintes institutionnelles : avant de pouvoir agir, il faut que le parti du président gagne les élections législatives. Or le Front national est une formation électorale qui repose sur le charisme de sa présidente et sur deux personnalités qui s’opposent sur la ligne du parti : Florian Philippot qui privilégie la souveraineté et Marion Maréchal-Le Pen, qui mélange les thématiques identitaires à celles de la droite libérale. Ces définitions sont approximatives car le Front national est un parti très moderne, sans idéologie, sans intellectuels, qui ne compte pas plus de trois ou quatre ministrables et qui est trop interclassiste pour avoir une base sociale. Gagner des élections législatives avec ce semblant d’appareil, face à la réaction de tous les autres partis qui cultiveraient la peur, voilà qui relèverait de l’exploit !

Admettons que le Front national soit capable d’un tel tour de force. Pour maintenir la paix civile, il faudrait que Marine Le Pen, le gouvernement et la majorité parlementaire passent d’une gestion identitaire qui appelle au conflit interethnique à une politique de l’unité nationale. Dans un climat très tendu, avec une base militante qui tient pour primordiale la lutte contre l’immigration, il est hautement probable que le Front national sera incapable de passer du conflit identitaire à une politique de rassemblement. Dès lors, il démontrera son incapacité générale :

S’il choisit la ligne identitaire avec Marion Maréchal-Le Pen comme Premier ministre, la violence politique augmentera et le gouvernement se heurtera aux réalités juridiques, administratives, politiques et simplement humaines : comme au temps de Nicolas Sarkozy, il y aura des rodomontades, quelques expulsions spectaculaires, une augmentation du nombre des étrangers si l’on parvient à supprimer le droit du sol …mais la population française restera toujours aussi diversement colorée.

S’il choisit la ligne souverainiste avec Florian Philippot et donne la priorité à la sortie de l’Union européenne, de la zone euro et de l’Otan, il faudra qu’il soit soutenu par un grand mouvement populaire – donc qu’il ait réussi au préalable l’impossible passage de l’identité à l’unité.

Marine Le Pen reste prisonnière de la dynamique qui a fait son succès. Elle nous demande de parier sur le pari qu’elle fait : transformer les colères et les haines du peuple français, aussi différentes ou contradictoires soient-elles, en adhésion à une politique qui trouverait sa cohérence dans les multiples conflits qu’elle ouvrirait. C’est faire courir à la France et aux Français un risque considérable.

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Editorial du numéro 1119 de « Royaliste » – 2017

 

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