Cash investigation : Des raisons d’être en colère

Avr 3, 2018 | la lutte des classes

 

Depuis 2012, le magazine Cash investigation révèle les multiples scandales engendrés par l’ultralibéralisme. Cet excellent travail journalistique provoque un double mouvement de colère.

Disponibles sur la Toile, les émissions présentées par Elise Lucet et diffusées sur France 2 forment un acte d’accusation minutieusement documenté au fil d’enquêtes qui s’étalent sur plusieurs mois. Deux heures d’antenne sont consacrées aux vêtements à bas prix, à l’agro-alimentaire, à l’évasion fiscale, au marché des téléphones portables, à l’obsolescence programmée, à l’industrie de la peur, aux pesticides…

Dans l’émission « Travail : ton univers impitoyable » diffusée en septembre 2017, on voit chez Lidl que les ouvriers-magasiniers, les « préparateurs », sont transformés en robots répondant aux ordres d’un ordinateur. Obligés d’accomplir des tâches répétitives à des cadences infernales, ils soulèvent dans leur journée jusqu’à huit tonnes de caisses de tomates, de lait et autres produits… Le cœur souffre, les tendinites et les dorsalgies apparaissent très vite, si vite que les ouvriers sont, comme les caissières polyvalentes, mis hors d’état de travailler et viennent grossir les rangs des chômeurs de longue durée. Interrogés sur ces insupportables conditions de travail, les chefs et les sous-chefs mentent comme des arracheurs de dents et, pris sur le fait, se réfugient dans les « éléments de langage ».

Même chose chez Free, l’entreprise lancée par Xavier Niel, aujourd’hui neuvième fortune française. Travail précaire, salaires plus que médiocres, management par le stress, chantage à l’emploi, listes noires, éviction des contestataires. Là encore, les dirigeants mentent « les yeux dans les yeux » : ils veulent le bonheur et même « l’enchantement dans le quotidien » de leurs salariés mais le système qu’ils ont mis en place est impitoyable.

Chaque émission provoque un double sentiment de colère. Colère à cause de la violence qui est faite aux salariés, aux consommateurs, aux agriculteurs par des firmes capitalistes qui se croient tout permis. Colère contre les gouvernements successifs, qui connaissent parfaitement ces scandales et qui ne font rien. On ne fait rien contre les compagnies privées de distribution de l’eau qui gaspillent chaque année un litre d’eau potable sur les cinq qu’elles fournissent. On ne fait rien contre les industriels de l’agro-alimentaire qui provoquent cancers, obésité et maladies cardio-vasculaires avec leurs produits pourris. Des millions de téléspectateurs et d’internautes font ces constats et enrichissent à chaque émission leur culture économique et sociale. La révolte gagne sans cesse en densité et il n’est pas impossible que cette connaissance intime des rouages du capitalisme ultralibéral rapportée à l’expérience directe de chacun soit à terme facteur de révolution.

Encore faut-il que Cash investigation et les autres émissions de ce type puisse poursuivre leur travail de dévoilement. Rien n’est moins sûr ! En juin 2015, Elise Lucet avait lancé une pétition qui dénonçait le projet de directive bruxelloise visant à protéger le secret des affaires et qui a reçu plusieurs centaines de milliers de signatures : « Au prétexte de protéger les intérêts économiques des entreprises, c’est une véritable légitimation de l’opacité qui s’organise. Si une source ou un journaliste viole ce secret des affaires, des sommes colossales pourraient lui être réclamées, pouvant atteindre des millions voire des milliards d’euros » puisque les dommages-intérêts devront correspondre au préjudice réellement subi.

La directive liberticide a été adoptée par la commission des affaires juridiques le 16 juin 2015 et par le Parlement de Strasbourg le 14 avril 2016. Elle va être transposée dans le droit français, à partir d’une proposition de loi déposée par les députés macroniens et approuvée en première lecture le 28 mars dans une indifférence quasi-générale. C’est pourtant la liberté d’informer qui est en jeu.

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Article publié dans le numéro 1142 de « Royaliste » – 3 avril 2018

 

 

 

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