Y a-t-il eu, cet été, des changements significatifs ? A l’évidence oui, bien que certains, dans l’opposition, s’obstinent à en nier la portée et même la réalité.
Le départ de Mauroy, l’arrivée de Fabius ? Ce n’est pas seulement une question de style ou de génération. L’homme qui a quitté Matignon a vécu et subi avec courage l’insurmontable contradiction entre sa foi en un socialisme vieilli, inopérant, et les dures exigences d’un quotidien déconcertant. D’où l’improvisation, les fautes, et l’usure si visible à la fin… Les nostalgies historiques et les fidélités militantes n’embarrasseront pas le nouveau venu. Sa nomination consacre la défaite du socialisme tel qu’il était conçu depuis Jaurès. Dans l’immédiat, c’est sans doute un avantage. Mais la froideur technicienne n’est pas sans inconvénients : on ne peut bien gouverner sans quelque forte conviction. La question est de savoir si Laurent Fabius la possède ou peut l’acquérir.
La fin de la querelle scolaire ? C’est évidemment une bonne nouvelle, qui marque, elle aussi, la fin d’un certain socialisme archaïque, dérisoire, mais dangereux pour la paix civile comme on l’a vu au printemps dernier. Que de temps perdu et de déchirements inutiles ! Quel échec cinglant pour un gouvernement qui voulait mobiliser l’opinion et l’a retournée, massivement, contre lui ! La lucidité a été bien tardive, mais l’essentiel est qu’on y soit parvenu.
La bataille du référendum ? Le Président de la République a eu raison de l’engager mais tort – s’il y tenait vraiment- de choisir une procédure qui conduisait à l’échec de son projet. Il gagne le mauvais procès que la droite lui faisait sur la question des libertés. Il fait apparaître le sectarisme et la mauvaise foi d’une opposition, « gaulliste » notamment, qui sacrifie sa doctrine de l’Etat et de la démocratie à sa passion de revanche. L’ennui est que cette démonstration ne semble pas avoir retenu l’attention de l’opinion publique. L’inquiétant est que ce combat tactique risque de faire tomber en désuétude la procédure du référendum et de favoriser la lecture parlementariste de la Constitution. Il y aurait là un véritable changement, négatif parce que réactionnaire au pire sens du terme.
PERIPETIES
J’allais oublier le départ des communistes du gouvernement, qui relève plus de la péripétie que de l’événement. Selon la juste formule de Jacques Julliard, les communistes étaient au gouvernement sans être au pouvoir. Simples exécutants d’une politique dont la définition leur échappait, incapables de modifier son cours, les ministres communistes étaient objectivement complices d’une politique contraire à leurs souhaits. Leur départ ne changera rien, ni pour le pays, ni pour eux-mêmes : il n’est qu’un moment dans le déclin d’un parti sans idéologie pertinente, sans projet attirant, et à l’identité fuyante. II y a longtemps, déjà, que le communisme, ne peut plus apparaître comme la « jeunesse du monde ».
La « décrispation » d’une hypothétique « deuxième droite » ressort, quant à elle, de la simple anecdote. La logique propre aux grands appareils politiciens et les règles actuelles du jeu politique incitent à la violence verbale, aux discours délirants. Quand un parti a pour seule ambition la reconquête du pouvoir, quand il ne peut présenter le moindre projet cohérent, il n’y a pas d’autre voie. Cela ne signifie pas que les analyses mesurées et les gestes d’apaisement de certains « cadets de la droite » soient méprisables. Bien au contraire. Mais ils n’imposeront rien aux états-majors de notre guerre civile froide, qui les dénoncent déjà comme ambitieux et « collabos ». Si ces « cadets » veulent changer la politique, ils devront agir ailleurs et autrement. En attendant, nous sommes condamnés à entendre le toujours même discours d’opposition. Jusqu’à l’écœurement.
L’AVENIR DU SOCIALISME
Tel est le bilan politique de l’été, qui n’a rien d’exaltant. Effondrement des mythes, fin des illusions, retour à la « sagesse » gestionnaire, éternel combat des mêmes contre les mêmes… L’important est de ne pas s’y résigner. Après tout, ces erreurs et ces échecs étaient peut-être nécessaires pour qu’un nouveau projet surgisse et triomphe de la médiocrité du temps.
Parce qu’ils ont payé très cher leurs discours idéologiques et leur sectarisme, parce qu’ils ne peuvent ignorer les limites de leur parti, les socialistes sont en mesure de revenir à leur idée-mère : celle qui dit la nécessité – aujourd’hui très urgente – de défendre la société contre la violence de l’économie, de créer de nouvelles solidarités et de faire prévaloir le souci de la justice contre la rationalité technique. Ce « socialisme » -là, qui ne devrait plus rien aux doctrines qui portent ce nom, peut être un projet d’avenir si ceux qui sont en mesure de le concevoir ne succombent pas à la mode néo-libérale ou à la tentation de simplement limiter les dégâts. Si d’autres, dans la droite gaulliste singulièrement, ont le courage de retrouver leur véritable tradition, la question politique pourrait être enfin repensée dans son ensemble et nous cesserions de subir les mouvements erratiques qui nous font aller de l’individuel au collectif sans souci des médiations.
Pour le moment, hormis le Comte de Paris (1), seul le Président de la République a compris l’enjeu et tente de parvenir à cette situation de médiateur, pour servir ce qu’il appelle les « biens communs à la nation ». Le drame est que ses partisans comme ses adversaires le veulent partie prenante à leurs affrontements, que la logique de notre système politique l’y entraîne et que les institutions ne permettent pas l’indépendance nécessaire à un véritable arbitrage. Pourtant, là encore, le pire serait de se résigner. Aucun citoyen ne devrait rester insensible aux appels lancés par le Président en faveur de l’unité : toute parole qui l’exprime, tout acte qui l’esquisse doivent être considérés confîmes des bienfaits. F. Mitterrand aura accompli une tâche essentielle s’il fait prévaloir, par-delà les passions partisanes, le désir de l’unité. Il restera à l’accomplir et à l’incarner durablement. La tâche des royalistes est de dire à quelles conditions en posant, inlassablement, la question du pouvoir politique.
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(1 Sa « Lettre aux Français » est, aujourd’hui comme il y a un an, d’une évidente actualité.
Editorial du numéro 410 de « Royaliste » – 19 septembre 1984
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