Christophe Barret : Le défi catalan (Billet invité)

Nov 4, 2015 | Chemins et distances

C’est à un acte révolutionnaire presque comparable au Serment du Jeu de paume auquel les élus nationalistes au Parlement de la Generalitat de Catalogne prétendent ! D’ici quelques jours, ils devraient annoncer la création d’un « État indépendant » ayant « forme de République ». En attendant, le communiqué diffusé par la majorité issue des élections régionales du 27 septembre dernier fait du Parlement régional « le dépositaire de la souveraineté » d’une nation en devenir. Est envisagé « un processus de déconnexion démocratique » d’avec les institutions de l’État central espagnol, et tout d’abord d’un Tribunal constitutionnel « délégitimé » et « sans compétence » puisqu’il continue, de manière réitérée, à condamner toutes les velléités d’indépendance portées par les nationalistes catalans – que ceux-ci soient de gauche ou de droite.
Les correspondants de presse nous ont expliqué quelles sont les origines historiques et les enjeux de pouvoirs très immédiats liés à une proclamation qui aurait lieu juste avant la tenue d’élections législatives renouvelant, comme rarement on l’a vu depuis la transition démocratique, le paysage politique espagnol. Ils nous indiqueront si la société catalane va continuer à se scinder en deux parties presque égales en effectifs, mais irréconciliables. Vu de France, la prudence invite à s’en tenir à un principe de neutralité absolue. Nos amis de Catalogne, de Belgique ou du Royaume-Uni nous le reprocheront peut-être… Mais c’est la position qui doit être tenue, du moins tant que l’on ne constatera pas de risque de contagion sécessionniste à la Catalogne française ou à d’autres États.
Curieusement, c’est le leader de Podemos qui fait la meilleure analyse géopolitique, à l’échelle du continent. Le parti, produit d’un marxisme hétérodoxe, est pourtant par principe le défenseur de la « souveraineté populaire » face aux États. Prime, pour lui, la défense d’une société auto-régulée. Face à l’urgence de la crise, Pablo Iglesias est cependant le seul responsable politique espagnol capable de pointer l’une des principales causes du divorce qu’il est peut-être encore possible d’empêcher. À l’issue de sa première rencontre officielle avec le Premier ministre, au cours d’une conférence de presse – donnée pour la première fois de sa carrière politique au pied du drapeau constitutionnel espagnol –, il a en substance rappelé que c’est bien à Bruxelles et à Berlin, et non à Barcelone, qu’on a commencé à déchirer les pages de la Constitution espagnole : quand il s’est agi de proposer aux gouvernements espagnols successifs de vider de leur sens les articles du texte fondamental relatifs au droit du travail, puis d’introduire dans la Constitution la fameuse « règle d’or » supposée réduire les déficits budgétaires. Des propositions de réformes constitutionnelles, conçues pour désamorcer le mécontentement des Catalans en renvoyant dos-à-dos « les indépendantistes » et « les immobilistes », semblent elles aussi être marquées du sceau du bon sens. Le jeune leader demande à ce que soient introduites dans le texte fondamental : une nouvelle loi électorale renforçant le scrutin proportionnel ; la garantie d’une plus grande indépendance de la Justice et la lutte contre la corruption ; la prescription du respect effectif des droits sociaux et une réforme territoriale permettant la tenue d’un référendum en Catalogne. Mais Podemos reste isolé, sur l’échiquier politique.
Pour s’en extraire, peut-être pourrait-il compter sur un pouvoir qu’il respecte mais condamne encore au motif qu’il est non élu : la Couronne. À l’occasion de la remise des Prix Princesse des Asturies, le roi Philippe VI a prononcé un discours composé avec la seule aide de ses conseillers les plus proches – comme celui de Noël –, sans la marque de toute intervention gouvernementale. Une nouvelle fois, il montre la force d’un pouvoir symbolique, dans l’Europe du XXIe siècle. « Réfléchissons et valorisons avec sincérité et honnêteté à ce que nous Espagnols avons construit ensemble, qui nous unit et nous fortifie ; éloignons-nous de ce qui nous sépare et nous affaiblit ; et tenons-nous écartés, spécialement, de tout ce qui prétend dénoncer, différencier ou rejeter l’autre. C’est pourquoi, quand se lèvent des murs émotionnels – ou que se promeuvent les divisions – quelque chose de profond se brise en nous-mêmes, en notre propre être, en nos cœurs. Que personne ne construise de mur avec les sentiments. Les divisions ne grandissent jamais un peuple ; mais l’appauvrissent et l’isolent. Évitons les fractures sociales qui font tant de maux aux consciences des personnes, aux affections, à l’amitié et aux familles, aux relations entre les citoyens. » (1) La monarchie est le meilleur rempart pour défendre « l’unité populaire » chère à l’ultragauche. Le pragmatique Pablo Iglesias, à qui il est déjà arrivé de serrer la main au roi, ne manquera peut-être pas de le noter.
Christophe BARRET
(1) http://www.casareal.es/ES/Actividades/Paginas/actividades_discursos_detalle.aspx?data=5533

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