Lettre de Chinguetti – Chronique 207

Fév 29, 2024 | Chemins et distances

 

 

Sur la carte, une seule route vers Chinguetti et bientôt une piste qui serpente dans le désert avant de s’élever. Les cahots deviennent violents et il faut se maintenir comme on peut sur son siège sans perdre de vue le paysage qui défile lentement. Puis un grand plateau pierreux au centre duquel on s’arrête pour voir les ruines du fort Saganne construit pour les besoins du film. La piste s’élève encore et nous nous arrêtons à la passe d’Amogjar. Un homme âgé nous attend. Un litham entoure son beau visage et il se tient droit dans son burnous couleur de sable mouillé. Nous prenons le thé sous sa tente, dans le matin encore frais. Cheikh et notre hôte conversent et les sonorités de l’arabe viennent doucement ponctuer le temps qui passe. Puis nous prenons le chemin de l’Agrour Amogjar, un ensemble rocheux riche en gravures néolithiques d’où nous pouvons admirer, dans la brume de la chaleur montante, un immense cirque de montagnes qui entoure le plateau où nous nous sommes arrêtés. Le paysage minéral, sublime, porte à une contemplation d’autant plus silencieuse que le sable éteint le bruit de nos pas. Nous sommes dans l’immémorial, songeant vaguement que l’Histoire ne viendra jamais troubler cette paix intemporelle. C’est une belle illusion, que notre hôte dissipe en nous racontant, avec un plaisir manifeste, qu’après l’indépendance un régiment français est venu prendre position à quelques centaines de mètres de sa tente, pour dissuader les troupes marocaines de conquérir l’Adrar.

Nous avons repris notre chemin, sauté sur d’innombrables trous, glissé sur le sable et le cailloutis. Sheikh conduit, comme toujours, avec l’assurance que lui donnent ses innombrables équipées dans le Sahel. “Si tu conduis trop vite, Sheitan – le Diable – monte dans la voiture”, me dit-il. On s’arrête quand l’heure de la prière a sonné sur le portable et, avant de prendre la route comme avant chaque repas, un bismillah attire sur nous la bienveillance divine. Grâce au Ciel, nous ne serons ni blessés, ni malades et il est vrai que nous arrivons sans encombre à Chinguetti, à la maison d’hôtes La Gueïla construite par un architecte français avec les pierres et dans le style du pays grâce à Sylvette, qui a décidé, comme Nicole, de s’installer et d’investir dans l’Adrar après une très active vie professionnelle.

Patio fleuri, chambres confortables, table excellente que la conversation de la maîtresse de maison vient agrémenter. Avant de dormir, je regarde sur mon ordinateur la première heure de Fort Saganne pour retrouver les paysages de la journée. Le lieutenant Saganne avait conduit sa harka vers le Sud, jusqu’au fleuve Sénégal. Nous irons après-demain au bout de la route du Nord, à Ouadane.

Un réveil paisible, suivi d’un délicieux petit-déjeuner, nous permet de faire, sans fatigue, une longue promenade dans Chinguetti, vieille ville de pierres rousses et de rues sablonneuses qui paraîtrait semblable aux autres cités délaissées si certaines maisons n’abritaient pas d’admirables bibliothèques. Au XVIIe siècle, l’intense activité commerciale de Chinguetti ne marginalisait pas les tâches de la pensée. D’innombrables manuscrits et des ouvrages imprimés sont conservés par des familles et montrent l’ampleur de la réflexion savante déployée pendant deux siècles  sur des matières aussi diverses que la théologie, la grammaire, les mathématiques, l’exégèse coranique, l’histoire et le droit.

Nous entrons dans une maison où se tient, assis sur le sol, un homme vêtu d’une djellaba violette. Devant lui, des photocopies de quelques manuscrits tirés de dossiers en cartons empilés sur des rayonnages. Souriant, il nous raconte dans un français élégant l’histoire de la ville et celle des textes dont il a la garde. Faute de lire l’arabe, on doit se contenter d’admirer les calligraphies et le beau visage qui se penche sur ses trésors avant de lancer un regard malicieux à ses visiteurs, dont il a vite deviné l’ignorance, comme s’il voulait les inciter aux études, sur les lieux mêmes où tant de savants ont travaillé. Pour toute rétribution, il demande un poème.

 

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