Chroniques de l’invasion de l’Ukraine, à distance (LXXII) par Mendo Henriques

Oct 22, 2022 | Billet invité

Professeur de la Faculté des sciences humaines de l’Université catholique portugaise, de Lisbonne, membre du conseil d’administration du Centre pour l’étude de la Philosophie, Mendo Henriques, qui a été conseiller et directeur des services à l’Institut de la défense nationale (1990-2007) et président de l’Institut de la démocratie portugaise (2007-2015) a bien voulu me communiquer un nouvel article sur l’évolution du conflit russo-ukrainien. 

La reprise de Kherson

La région de Kherson est sur le point d’être reprise par l’Ukraine. Les signes ne trompent pas. Le général Surovikin, récemment nommé commandant de toutes les troupes d’invasion, a déclaré le 18 octobre que « la situation est tendue » et ne peut exclure « les décisions les plus difficiles » concernant la défense de la ville. Le gouverneur de la région fantôme a répété ses appels à l’évacuation des civils pro-russes, voire à la déportation des Ukrainiens.

Comment est-on arrivé là ? Pourquoi la dynamique de la guerre conventionnelle favorise-t-elle de plus en plus l’Ukraine et pourquoi seule une situation très exceptionnelle peut donner un avantage à la Russie ?

Fin août, après des semaines de préparation des militaires et de concentration des matériels reçus de l’Occident, l’Ukraine lance sa première grande contre-offensive, dans la région sud, à Kherson. Les avancées sont alors très limitées, mais obligent la Russie à envoyer des troupes dans ce secteur sud, en retrait des fronts est et nord-est.

En septembre 2022, l’Ukraine a lancé une nouvelle contre-offensive dans la région de Kharkiv et le nord de Donetsk. Les Russes, pris au dépourvu car ils avaient envoyé des renforts au saillant de Kherson, sont contraints d’abandonner les régions et les villes d’Izium, Kupyansk et Lyman et les troupes ukrainiennes reprennent quelque 2 500 km² de territoire.

Dans les deux contre-offensives, les Ukrainiens ont commencé par décimer les dépôts de munitions russes et les centres de commandement derrière la ligne de front, grâce aux équipements HIMARS et M777, Haubitze et César. Les avions AWACS de l’Otan fournissent aux Ukrainiens des cibles et ils choisissent.

Au nord, ils avançaient avec des groupes de reconnaissance occupant des points loin en avant de la ligne de combat et incitant les Russes à se retirer pour ne pas être encerclés. Une brillante stratégie du général Zaluznhny.

Dans le cas de Kherson, les Ukrainiens ont commencé par endommager des ponts vitaux sur le fleuve Dnipro afin d’isoler les troupes d’invasion sur la rive ouest du fleuve. Des attaques de précision avec HIMARS sur le pont Antonovsky et sur les ponts secondaires du canal du barrage de Kakhovka ont empêché la circulation régulière des véhicules. Les ponts flottants et ferrys que les Russes utilisent sont trop vulnérables. Ainsi, quelque 25 000 militaires russes des 58e, 49e et 5e Armée interarmes risquent d’être isolés. Cela fait plus d’un mois que l’on sait et c’est pourquoi le général Surovikin est maintenant venu préparer l’opinion publique chez lui.

Le Kremlin était tellement conscient de la menace de septembre qu’il a été contraint de décréter ce qu’il redoutait le plus : la mobilisation des conscrits, qui à ce premier stade semblent être au nombre de 300 000. C’est la première mobilisation russe massive depuis la Deuxième  Guerre mondiale et ça ne va pas bien, pour de nombreuses raisons.

D’un point de vue stratégique, une troisième phase de la guerre débute donc en septembre. Le commandant en chef ukrainien place l’état-major russe devant un dilemme fatal : soit les Russes renforcent le front sud de Kherson, soit le front est du Donbass ; et éventuellement, il doit choisir de perdre l’un ou l’autre. C’est le sens des déclarations de Surovikin, qui, comme tout militaire, connaît le dilemme appelé « les deux cornes de l’animal ». Les Anglais l’ont rencontré lorsqu’ils ont été vaincus par les Zoulous dans la bataille d’Isandlhwana avec «impondo zankomo». Et le stratège Liddell Hart a élevé le principe stratégique à la raison d’être des grandes victoires de la Seconde Guerre mondiale.

Dans l’immédiat, plus le temps passe, plus les destins des fronts Est et Sud seront liés. Kherson est à 100 kilomètres de la Crimée, illégalement annexée par la Russie en 2014. À moins que l’Ukraine ne commence à faire des choix désastreux sur le champ de bataille, la victoire russe semble hors de portée. Quant à l’utilisation d’armes nucléaires, elle nuirait à la Russie à long terme, plus que tout gain imaginé par Poutine.

Tout indique que les Russes vont se retirer de Kherson, dans une manœuvre qui, dans les prochains jours, sera manipulée comme « un geste de bonne volonté », une offre de paix. Une date importante s’approche car Kherson est la seule grande ville capitale tombée aux mains des envahisseurs, en raison de la non-destruction du pont Antonovsky par des éléments dont la trahison fait l’objet d’une enquête.

Demain est un autre jour.

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