Que de confusions dans la stratégie, que de retournements · dans la tactique ! Face au terrorisme, face aux Etats qui l’encouragent ou l’organisent, le Premier ministre avait parlé d’une guerre impitoyable. Ces paroles martiales semblaient annoncer des représailles économiques, voire des actions meurtrières, et certains jusqu’au boutistes souhaitaient que nous allions bombarder Damas.

Eh bien, ce n’était pas ça du tout. Dur entre les durs, Charles Pasqua s’est félicité fin octobre de la « réelle collaboration… établie entre les services de sécurité français et syriens », tandis que la presse annonçait la signature prochaine de contrats de vente d’armes et d’accords financiers entre la France et la Syrie. Faisant suite à la ferme mise au point du Président de la République, la cascade des démentis et de demi-aveux (nous ne vendrions que des armes défensives) n’a pas dissipé le malaise de la majorité et de l’opinion. Pourquoi cette solidarité retenue avec la Grande-Bretagne, qui a établi la responsabilité syrienne dans la préparation d’un attentat, alors que nous avions proclamé haut et fort la nécessaire coopération internationale contre le terrorisme ? Dans le souci parfaitement justifié d’obtenir l’arrêt des attentats en France et la libération des otages, avons-nous consenti à des marchandages infamants, sommes-nous en train de ruiner la cohérence de notre politique extérieure ?

RIVALITE

Parce que les faits ne peuvent encore être clairement établis, parce que leurs conséquences ne sont pas encore mesurables, le bilan de l’activité gouvernementale au Proche et au Moyen Orient est’ prématuré. Il est cependant possible, à partir du cas de figure que nous avons sous les yeux, de se livrer à une réflexion prospective sur la coexistence. Il ne s’agit donc pas de soupeser les risques d’un conflit entre François Mitterrand et Jacques Chirac, mais de s’interroger sur les rôles respectifs d’un Président et d’un Premier ministre de couleur politique différente face à une situation de crise.

Chef d’une majorité élue sur un programme économique et social, le Premier ministre a pour tâche de le mettre en œuvre. Son domaine est celui de la réforme gestionnaire, sa perspective est celle du court et du moyen terme. L’expérience de sa fonction sous la 5ème République et l’analyse de son emploi du temps quotidien montrent qu’il ne peut faire autre chose. Pourtant, dans une situation de coexistence, le Premier ministre est incité à dépasser le cadre normal de ses fonctions puisqu’il lui faut démontrer qu’il a une stature de chef d’Etat et qu’il peut avantageusement remplacer celui qui est en place.

Faut-il s’accommoder de cette logique de la rivalité, et accepter que le domaine présidentiel soit investi en partie ou en totalité ? Assurément non, pour des raisons de fond que nous avons souvent exposées : le chef d’un camp ne peut prétendre assurer tout ou partie de la fonction arbitrale. Assurément non, à cause des impératifs propres à la diplomatie et à la politique de défense. L’une et l’autre s’inscrivent nécessairement dans le long terme : le Premier ministre a besoin de résultats immédiats. L’une et l’autre supposent l’indépendance de conception et d’action : le Premier ministre est soumis très directement à la pression des groupes d’intérêts. L’une et l’autre doivent échapper aux passions partisanes, dans lesquelles le Premier ministre est chaque jour impliqué.

A maintes reprises, nous avons souligné le paradoxe de la fonction présidentielle, et les ambiguïtés auxquelles il conduit. Plus ou moins lié à son ancien parti, plus ou moins contraint d’envisager sa réélection ou d’organiser sa succession, le Président de la République ne peut être pleinement le représentant de tous les Français, l’arbitre de leurs conflits, l’homme du long terme. Point d’ambiguïté en ce qui concerne le Premier ministre : il faut à tout prix que sa majorité remporte les législatives, il faut à tout prix qu’il gagne la bataille des présidentielles. Une crise diplomatique surgit-elle ? Il risque de la résoudre de façon spectaculaire et artificielle, au risque de compromettre un projet de plus longue haleine. Un choix doit être fait en matière de défense ? Il sera tenté de céder aux exigences de tel ou tel milieu militaire. Un tournant délicat s ‘impose-t-il en politique étrangère ? Il risque de torpiller l’opération par crainte de, difficultés dans sa majorité et de mécontentement dans l’opinion …

Dans ce scénario, je n’oublie pas le Président de la République. Celui-ci ne peut être un élément passif ou neutre face au jeu de son rival. Sans noircir le tableau, on peut envisager un chef d’Etat qui serait candidat à sa propre succession avant l’heure, et qui passerait son temps à tendre des pièges à son Premier ministre. Dès lors, plus d’arbitrage, plus de souci de la durée, ni l’indépendance puisque le Président ferait la politique de sa clientèle.

PERMANENCE

Ces hypothèses rencontrent déjà la réalité en un certain nombre de points, que l’avenir proche permettra de préciser. Si François Mitterrand a la sagesse de ne pas faire acte de candidature, la précipitation et les improvisations diplomatiques de son Premier ministre montrent qu’il faut prendre au sérieux les dangers soulignés. Non pour condamner la coexistence, ce qui serait contraire à l’esprit des institutions, mais au contraire pour la fonder sur des principes solides, à partir de ce qu’elle suggère. Si nous voulons que le Président remplisse sa fonction et soit le garant de l’essentiel, si nous voulons que le Premier ministre remplisse sa tâche sans usurpations continuelles, il faut que leurs domaines respectifs soient plus nettement distingués, ce qui suppose une « toilette » du texte constitutionnel. Mais il faut aussi et surtout garantir la permanence du chef de l’Etat et mettre sa fonction à l’abri des rivalités politiciennes.

Tel est le propre de la monarchie. Loin d’être une mode amusante ou l’effet d ‘une nostalgie, elle représente l’issue, réaliste et démocratique, aux conflits actuels et potentiels qui affectent l’Etat et menacent le pays.

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Editorial du numéro 458 de « Royaliste » – 12 novembre 1986

 

 

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