Alors, pour ou contre Coluche ? Allons-nous nous draper, comme la classe politique, dans notre dignité blessée, ou saluer, à l’exemple d’intellectuels réputés, ce phénomène révolutionnaire ? Ou bien tenter, à la mode radicale, une délicate synthèse entre ceux qui pleurent de rage en supputant leurs pertes de voix et ceux qui choisissent, faute de mieux, de rire aux éclats ? Rien de tout cela. Pour la simple raison que Coluche n’existe pas : il n’est que le reflet, grossier et terriblement grossi, de la classe politique, la triste caricature dans laquelle la gent politicienne peut tout entière se reconnaître.

Que dit Coluche en effet ? Rien que nous ne sachions déjà. Il se contente de pousser jusqu’à l’absurde des conduites, des techniques et des attitudes analysées et critiquées depuis longtemps. Nous savons bien que la politique est aujourd’hui un spectacle ; il peut sembler amusant qu’un professionnel du spectacle y intervienne, mais cela ne nous apprend rien. Et Coluche ne fait rien d’autre que de répéter, sur divers registres, cette mécanique bouffonne.

L’OUTRANCE

Les politiciens cherchent à frapper l’opinion ? Coluche va plus loin : il la choque en disant des gros mots. Georges Marchais a choisi un rôle comique ? On le battra sur son propre terrain en lui montrant qu’il n’est qu’un amateur. M. Giscard d’Estaing veut « décrisper » les Français ? Eh bien ! ils vont franchement rigoler. Les chefs politiques s’adressent de petites phrases vengeresses ? On va leur apprendre la technique de la gaudriole politique. Ils nous prennent pour des imbéciles ? Qu’ils se regardent dans le miroir coluchien qui leur est brutalement tendu. Le discours politique ne signifie plus rien ? Nous leur apprendrons que discourir est, au sens premier, courir à tort et à travers, et nous affirmerons de façon claire et distincte notre absence de principes et de projet.

Il n’y a là aucune révélation. L’outrance seule provoque de l’étonnement, mais elle finira par lasser : il manquera toujours à Coluche le grain de folie ou de génie qui nous bouleverserait vraiment. Coluche n’est pas un clown, ce qui suppose quelque poésie, mais un malin qui cherche à plaire par des singeries. Cela peut amuser un moment. Mais à quoi bon scruter le reflet quand nous pouvons regarder les personnages eux-mêmes ? Ce phénomène est superflu, et ne devrait pas préoccuper longtemps la classe politique : elle ne veut pas le regarder, et s’arrangera pour brouiller rapidement cette ignoble image d’elle-même que Coluche lui renvoie.

COLUCHE RÉCUPÉRÉ ?

Car il n’y vraiment pas de quoi fouetter un chat : Coluche n’est qu’une distraction furtive au malaise ambiant, un ricanement qui fait écho à celui des intellectuels nihilistes, un vague soulagement, d’ailleurs illusoire, à l’angoisse collective. Cela ne peut être confondu avec le rire libérateur, avec les mots de colère, avec le cri de révolte vraie que nous voudrions entendre et que nous attendons en vain depuis trop longtemps.

Décidément, Coluche n’existe pas. Ce n’est-pas une marque de mépris que de le dire, mais un simple constat que vérifie l’entretien récemment accordé par lui au Quotidien de Paris. Il n’en surgit qu’un tigre de papier. Oh ! bien sûr on y trouve quelques bonnes vieilles vérités, et un peu de gros bon sens. Il est vrai que beaucoup de Français ne se sentent pas représentés ni par la droite ni par la gauche, et que les campagnes électorales les ennuient : ceux-là risquent de se laisser prendre, nombreux, au piège de l’apparence coluchienne. Mais dans ces propos de bateleur, que de démagogie cachée sous de pauvres récriminations : plus de parcs pour les voitures, et moins de contraventions. Et tout cela qui se termine par une œillade appuyée lancée à François Mitterrand, traité la veille d’« imbécile ».

Comme il sera facile, la première surprise passée, de récupérer doucement la fausse contestation coluchienne… D’abord parce que les mécontents qui veulent rire au premier tour iront naturellement vers les partis d’opposition au second. Et puis, si en haut lieu on veut bien s’en donner la peine, il ne sera pas très difficile d’utiliser Coluche comme repoussoir, de jouer le contraste entre la grossièreté coluchienne et la distinction présidentielle, entre les plaisanteries grasses de l’un et le sérieux, l’élégance et le sang-froid de l’autre.

Ces risques concernent le candidat Coluche et ses électeurs éventuels. Mais il y a une menace plus grave, à laquelle M. Colucci devrait réfléchir, lorsqu’il cesse de faire le pitre. Elle pèse sur la liberté d’expression des familles politiques de notre pays. Citoyen responsable, M. Colucci y est certainement attaché. Or sa candidature offre à la classe politique un excellent prétexte pour exclure définitivement les minorités politiques des campagnes présidentielles. Déjà, lors de la dernière réforme constitutionnelle, on a utilisé l’exemple de Marcel Barbu, dont le comique était involontaire. Cette fois, c’est un comique professionnel qui se présente, et l’occasion est trop belle pour être manquée : il est si facile d’imaginer des dispositions qui rendraient impossible toute candidature n’émanant pas d’un grand parti politique… M. Colucci devrait réfléchir à la lourde responsabilité qu’il prend en maintenant la sienne. Après lui il ne sera plus possible de rire. Ni de témoigner.

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Editorial du numéro 327 de « Royaliste » – 11 décembre 1980

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