Comment défendre les libertés publiques ?

Fév 4, 2025 | Billet invité | 0 commentaires

 

« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens » (Montesquieu). En un temps où la plus grande confusion règne dans les esprits, disposer de clés de compréhension de concepts incontournables est indispensable à tout citoyen digne de ce nom ! Nous pensons à ceux de démocratie, d’État de droit, de libertés, souvent utilisés à tort et à travers par médias de grands chemins et experts à la petite semaine. S’agissant du dernier terme, l’on pense aussitôt à la peinture d’Eugène Delacroix intitulée « La liberté guidant le peuple »[1]. Mais, au juste, que se cache-t-il derrière ce mot-valise et son corollaire, celui de libertés publiques ? Le commun des mortels est bien en peine d’appréhender ces concepts sous leur angle juridique. Ce qui est important pour ne pas dire indispensable. Comment sortir par le haut de cette interrogation quasi-existentielle ? La meilleure manière ne consiste-t-elle pas à se tourner vers un(e) authentique juriste pour éclairer notre lanterne de béotien. Cela tombe bien. Nous avons déniché l’oiseau rare. Il (elle) nous propose un ouvrage dont la lecture est aussi prenante et indispensable qu’instructive et interrogative.

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UNE LECTURE PRENANTE ET INDISPENSABLE

Quelle est donc cette perle rare ? Une professeure agrégée de droit public à l’université Paris Sorbonne, dont l’expertise en matière de libertés publiques est unanimement reconnue[2] et qui éclaire notre lanterne à bon escient. Roseline Letteron, puisque c’est d’elle dont il s’agit, relève le défi avec brio. Elle réalise la prouesse d’être à la fois précise, claire et compréhensible pour tout un chacun dans un petit opuscule de 160 pages au format de poche d’un Que sais-je ?. Il s’intitule « Comment défendre les libertés publiques ? »[3]. Cette universitaire nous conduit à explorer les méandres de cet objet juridique désormais bien identifié (OJDBI) que sont les libertés publiques tout au long de sept chapitres. Après une introduction bienvenue, ils vont d’une interrogation sur la qualification des libertés ou le passé (1) à la situation actuelle des libertés au défi des nouvelles technologies au futur (7) en passant successivement par la problématique de l’empilement des normes et le dialogue des juges (2) ; l’absence de pouvoir judiciaire au profit d’une autorité judiciaire (3) ; la tentation récurrente de l’interdit (4) ; le modèle américain ou la justice en mode dégradé qui fait le siège de notre droit romain (5) ; le principe de la laïcité écartelé entre non-discrimination et égalité devant la loi (6). Pour donner le ton, nous retiendrons in extenso les premières phrases de l’introduction qui posent clairement la problématique des libertés publiques et résument l’importance de la question :

« Les libertés ne sont pas l’affaire de quelques professionnels e la politique, des médias ou des ONG. Elles sont l’affaire de tous. Chaque citoyen, chaque individu qui s’intéresse à ses droits, doit pouvoir prendre connaissance des principes généraux qui gouvernent le système de protection et de garanties des libertés, et en mesures les évolutions profondes. Cette démarche de connaissance ne s’exerce toutefois pas sans difficultés et se heurte à deux obstacles essentiels ».

Tout est dit et bien dit en quatre phrases bien senties. C’est peu dire que cet opuscule embrasse une matière aussi vaste qu’évolutive. La lecture de cet ouvrage consacré à une problématique en apparence austère se révèle aussi prenante que celle d’un roman d’aventure aux multiples rebondissements au fil du temps. Prenante signifie également indispensable au citoyen avide d’apprendre pour comprendre et se forger sa propre opinion en dehors des clichés moralisateurs véhiculés par notre clergé médiatique.

UNE LECTURE INSTRUCTIVE ET INTERROGATIVE

Même si Roseline Letteron se fixe des objectifs limités, il n’en demeure pas moins qu’elle réussit le tour de force, dans un cadre éditorial contraint, de parfaitement définir le périmètre du sujet, mais surtout, de nous aider à conduire une réflexion personnelle salutaire sur les menaces qui pèsent sur nos libertés chéries (« La construction d’une sorte de village Potemkine des droits de l’homme », p. 40). Et cela sans tomber dans le travers d’une approche idéologique ou moralisatrice de la problématique, si prisée de nos jours. Cette universitaire aux indéniables talents de pédagogue procède par une présentation harmonisée : courte introduction en gras au début de chaque chapitre à objectif problématique et conceptuel ; corps de texte rendu plus digeste par l’insertion de sections et sous-sections en noir et en rouge rehaussé d’encadrés en rouge présentant des extraits de jurisprudences essentielles voire des références doctrinales.

Ainsi, le lecteur ne se sent pas submergé par la complexité et la densité de l’exposé, disposant de temps réguliers de pause et d’illustrations ludiques de la démonstration juridique. Grâce à ces cailloux du Petit Poucet, le béotien dispose d’un indispensable fil conducteur pour progresser dans le maquis de normes et d’interprétations divergentes de ces dernières. Parvenu au terme de sa prise de connaissance de l’ouvrage, il se sent plus assuré dans son approche citoyenne d’une problématique fondamentale dans toute démocratie et État de droit digne de ce nom. Par ailleurs, il dispose d’un outillage nécessaire à la compréhension du fonctionnement des juridictions judiciaires, administratives et du Conseil constitutionnel[4] (chapitre 3).

Notons, qu’à notre connaissance, aucun des grands quotidiens nationaux et autres hebdomadaires de renom n’a daigné lire cet ouvrage et, encore moins, en dresser une analyse critique. C’est vraisemblablement que tous ces bons apôtres et autres folliculaires estiment que n’existe aujourd’hui, et encore plus demain, avec la révolution technologique en marche (Cf. l’Intelligence artificielle), aucune atteinte ou possibilité d’atteinte aux libertés publiques dans la patrie auto-proclamée des droits de l’homme. Ceci se passe de tout commentaire. Vive la France des réseaux, des copains et des coquins !

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« Quiconque cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir » (Alexis de Tocqueville). À l’issue de ce voyage au bout des libertés publiques, qui suppose une lecture attentive et non distraite tant l’ouvrage est dense, nous avons la très nette impression de mieux appréhender ce concept dans toute sa complexité. C’est pourquoi, nous recommandons à tous ceux qui cherchent à comprendre la signification de l’un des piliers de l’État de droit et de la démocratie, la lecture de cet ouvrage, voire son acquisition à vil prix. C’est pourquoi, nous félicitons vivement l’auteure de cette somme condensée dans un format de poche pour son remarquable œuvre de clarté et de pédagogie dans un domaine ne supportant pas le simplisme. Un grand bravo pour votre contribution à notre éducation de citoyen averti et responsable. Nous ne saurions inciter nos décideurs (ministres, parlementaires, élus locaux …) à prendre le temps de lire cet opuscule riche. De la même manière, ce livre devrait être mis entre les mains de tous les collégiens et lycéens de France et de Navarre afin de les initier à la démocratie et à ce qu’elle signifie concrètement. Ceci constituerait, de notre point de vue, un investissement plus rentable en termes de savoir que les futurs cours d’éducation sentimentale et sexuelle dispensés à ces mêmes têtes blondes par la volonté de Sainte Elisabeth Borne, la ministre de l’éducation et des fariboles.

Continuez sur la voie de l’excellence universitaire et de l’indépendance intellectuelle qui vous caractérise, madame la professeure, pour notre plus grand plaisir ! C’est tellement rare de nos jours. Comment défendre les libertés publiques ? Pari gagné.

Jean DASPRY

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

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[1] Jean Dapsry, Europe : la liberté bernant le peuple, www.bertrand-renouvin.fr , 12 octobre 2024.

[2] Cette professeure agrégée de droit public est l’auteure d’un manuel de libertés publiques en ligne et, depuis environ quinze ans, tient régulièrement la chronique des jurisprudences essentielles de la Cour de cassation, du Conseil d’État, de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg dans un blog très suivi des praticiens du droit intitulé « Liberté, Liberté chéries » (www.libertescheries.blogspot.com).

[3] Roseline Letteron, Comment défendre les libertés publiques ?, Doc en poche. Place au débat, La Documentation française, octobre 2024. (9 euros 90)

[4] Grégoire Biseau/Solenne de Royer, Macron entend proposer Ferrand pour le Conseil constitutionnel, Le Monde, 2-3 février 2025, p. 13.

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