Commerce extérieur : toujours plus de déficit

Mai 8, 2022 | Economie politique

 

Le commerce extérieur de la France connaît un déficit historique. Pour inverser la tendance, il faudrait un changement complet de politique économique fondé sur le constat d’une démondialisation qui s’accélère. La classe dirigeante préfère le volontarisme verbal et les effets d’annonce.

Jamais notre déficit commercial n’a été aussi élevé : – 84,7 milliards l’an passé. La France est déficitaire pour l’énergie (43,1 milliards), les biens d’équipement (39,6 M), l’automobile (18 M), le textile et l’habillement (8,6 M). Les excédents sont assurés par l’aéronautique et le spatial (19,7 M), la chimie, les parfums et les cosmétiques (15,2 M), l’agroalimentaire (8 M) et la pharmacie (2,6 M).

Il faut bien entendu tenir compte des fortes perturbations engendrées par la crise sanitaire en 2021 mais la tendance reste dramatiquement négative. On se console en soulignant que notre pays reste le sixième exportateur mondial de biens et de services – mais nous étions au cinquième rang en 2018. Le pire est encore à venir puisque le gouvernement s’attend à une nouvelle dégradation en 2022, vers un solde négatif de 100 milliards.

Pour renverser la tendance, le ministre chargé du commerce extérieur compte sur un vaste dispositif : réformes visant à “redresser la compétitivité de notre économie et des entreprises”, “stratégie de réindustrialisation”, plan France 2030. Franck Riester évoque aussi un “changement de paradigme de la politique commerciale européenne” visant à “renforcer notre autonomie stratégique” et à ouvrir de nouveaux marchés pour nos entreprises dans des “conditions de concurrence équitables”.

Les mots employés par le ministre (1) sont révélateurs d’un début de prise de conscience. Certes, il reprend les éléments de langage sur la “compétitivité” en oubliant de noter que les offrandes au patronat et la régression sociale n’ont pas empêché la dégradation de notre commerce extérieur. Mais on a compris en haut lieu la nécessité de la réindustrialisation et on s’aperçoit que quelque chose ne va pas dans la politique commerciale de l’Union et dans la sacro-sainte doctrine de la concurrence.

Nous sommes cependant très éloignés de la lucidité qui permettrait à la classe dirigeante de procéder à un changement résolu de politique économique. On ne peut s’alarmer, à la manière du Figaro, d’un déficit commercial “historique” sans faire l’histoire de ce désastre. Il ne suffit pas de dire que ce déficit est l’effet de la désindustrialisation comme si celle-ci avait été une fatalité. La classe dirigeante a fait voici trente ans le choix politique : elle a privilégié le secteur des services en abandonnant l’industrie à l’atelier du monde chinois selon la soupe idéologique de l’époque, qui mélangeait les thèses sur la “société postindustrielle”, le rejet “vert” de l’industrie et la théorie des avantages compétitifs.

La France a longtemps vécu sur les effets des grands programmes lancés dans les années soixante-soixante-dix (le spatial, l’aéronautique, le nucléaire, les télécommunications, le TGV) mais les privatisations, la financiarisation et l’austérité budgétaire ont abouti aux dégradations et aux destructions industrielles que nous n’avons cessé de dénoncer.

Cette idéologie postindustrielle s’est couplée à une apologie de la mondialisation conçue comme un immense marché de libre circulation des biens, des services et des capitaux, rendu fluide par les nouvelles technologies. L’Union européenne a accompagné ce mouvement et érigé le libre-échange en une norme quasi-constitutionnelle qui correspondait exactement aux principes formulés en 1995 par l’Organisation mondiale du commerce. La préparation du passage à l’euro et le fonctionnement de cette zone monétaire, qui a considérablement avantagé l’Allemagne au détriment de la France, ont aggravé les logiques à l’œuvre depuis la création du Marché unique en 1986. Malgré la lourde contrainte sur les salaires, la précarisation du travail et les baisses de charges, le commerce extérieur français n’a cessé de se dégrader depuis la fin du siècle dernier.

La classe dirigeante ne doit pas seulement reconnaître les effets désastreux de ses naïvetés sur la mondialisation et de ses bévues sur la Chine. Elle doit admettre les conséquences négatives pour l’économie française et pour le peuple français du libre-échange et de l’euro. Le “changement de paradigme” évoqué par Franck Riester ne prendra son sens que s’il procède d’un abandon des règles libre-échangistes et d’une dissolution de la zone euro. Mais le retour à la souveraineté monétaire –  qui permettrait une dévaluation favorable à notre commerce extérieur – n’assurera pas à elle seule les relocalisations et le redéploiement industriel. La reconstruction et le redéploiement de l’économie nationale doit être assuré par la mise en place d’un système de protections tarifaires et non-tarifaires qui est dans la logique de la démondialisation amorcée depuis une dizaine d’années.

La politique monétaire et la politique commerciale doivent se concevoir dans un cadre plus général, afin d’éviter qu’elles ne favorisent un conservatisme nourri par la référence aux Trente glorieuses. Il faut retenir de l’expérience passée le rôle décisif de l’Etat dans la direction de l’économie nationale mais c’est aujourd’hui l’impératif écologique qui doit orienter le développement industriel. La tâche est immense : il faut tout à la fois rénover nos infrastructures et les logements, repenser l’urbanisme, soutenir les industries privées innovantes, construire un vaste secteur public et nationalisé, lancer de nouvelles coopérations internationales car le protectionnisme n’est jamais un repli… Même s’il est nourri des meilleures analyses et animé d’une volonté de fer, un gouvernement ne suffira pas : il lui faudra s’appuyer sur une planification associant l’ensemble des acteurs économiques et sociaux à la formulation et à la mise en œuvre des projets collectifs. C’est dans le plan de la nation que la politique commerciale de la France devra être envisagée.

Le simple énoncé de ces difficultés et de ces enjeux montre que la “gouvernance” oligarchique n’a pas dépassé le stade velléitaire. Sous les incantations à la compétitivité et les déclarations volontaristes, perce la soumission aux normes bruxelloises. C’est la violence des bouleversements en cours qui conduiront à des réajustements dans l’urgence, faute de vouloir accomplir les indispensables révolutions.

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(1) Préface au Rapport annuel du commerce extérieur de la France, février 2022.

 

Article publié dans le numéro 1234 de « Royaliste » – 9 mai 2022 

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