A la différence des années trente du siècle dernier, l’information économique est surabondante et nous risquons d’y être noyés. La tâche des journalistes est de choisir les données pertinentes et de clarifier les débats mais ils ont tous des convictions ou des intérêts à défendre – ce qui est tout à fait acceptable quand toutes les cartes sont mises sur la table. Tel était le cas lorsque la crise de 1929 a éclaté : la presse quotidienne était une presse d’opinion et les lecteurs du Temps, du Populaire et de L’Humanité savaient que ces journaux représentaient des tendances idéologiques bien définies. Aujourd’hui, les grands médias cultivent le beau mythe de l’information objective alors qu’ils se contentent de reproduire les messages des milieux dirigeants et les avis des experts bien en cour. C’est dans ce contexte d’une information produite par la presse placée sous le contrôle de l’oligarchie qu’il faut placer la question de la reprise.
Le gouvernement français se réjouit d’une situation stabilisée et d’une reprise en 2010. Les grands médias reprennent le message et lui donne de la consistance en publiant les analyses d’un institut d’analyse économique plus ou moins connu et en invoquant le « consensus des économistes ». Curieux consensus : quand des chiffres importants sont publiés, on ajoute en guise de commentaire que c’est mieux que prévu par « les économistes » – ce qui renforce la confiance dans les mécanismes qui conduisent à la reprise. Dans quelques cas, les chiffres sont moins bons que prévu mais comme la bourse monte et que l’euro se renforce nous pouvons rester optimistes…
C’est donc par la méthode Coué que le consommateur est incité à consommer, l’industriel à investir et le spéculateur à spéculer. Nous souhaitons tous que le discours sur la reprise engendre une reprise effective de l’activité qui atténuerait la souffrance sociale. Il faut cependant relever, dans le discours dominant et dans les informations que publie la presse financière, des éléments qui nourrissent le doute et l’inquiétude.
Le « consensus des économistes » n’est pas rassurant : si les chiffres sont toujours meilleurs ou pires que prévu, c’est qu’il y a un gros défaut dans les analyses de ces experts anonymes qui n’avaient pas prévu la crise. Il faut donc interroger les économistes hors consensus (1), les hétérodoxes qui avaient expliqué pourquoi la catastrophe était inévitable et qui sont aujourd’hui très dubitatifs sur la réalité ou sur la solidité de la reprise.
La langue de bois des oligarques recèle des messages subliminaux envoyés selon la bonne vieille technique du balancement circonspect : ainsi Jean-Claude Trichet annonce une reprise « très progressive » (très lente) tout en prévenant que « l’incertitude reste élevée » car « la volatilité persistante des statistiques requiert une interprétation prudente des informations disponibles ». Cela signifie qu’on ne sait presque rien mais qu’on n’aura jamais tort même si on n’a pas vraiment raison.
Qu’y a-t-il de presque certain dans l’incertitude générale ?
– Le système financier a été sauvé par l’intervention des pouvoirs publics et les plans de relance étatiques ont des effets positifs dans quelques secteurs industriels – l’automobile par exemple. Les solutions ultralibérales à la crise de l’ultralibéralisme auraient provoqué une catastrophe immédiate et totale.
– Aux Etats-Unis, la crise bancaire n’est pas terminée (des établissements continuent de faire faillite), la crise immobilière non plus et l’augmentation massive du chômage accroît le nombre des factures de cartes de crédits impayées. Ce qui signifie que la reprise de la consommation ne peut avoir lieu.
– En Europe, les experts annoncent une croissance sans création d’emplois : s’ils ne se trompent pas, si les licenciements et les délocalisations se poursuivent, si les salaires continuent de baisser, il n’y aura pas non plus d’augmentation de la demande des ménages et la reprise sera faible ou inexistante.
– Partout, la spéculation à hauts risques a repris, sur les actions, sur l’or, sur les matières premières et les perspectives monétaires sont pour le moins incertaines.
A mon humble avis, la méthode Coué ne suffira pas.
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(1) Cf. par exemple l’article publié dans les Echos du 18 août par l’économiste américain Nouriel Roubini.
Editorial du numéro 953 de Royaliste – 2009
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