Conversation avec Lorànt Deutsch

Juil 2, 2011 | Entretien

 

Acteur familier du public français, Lorànt Deutsch a montré sa passion pour l’histoire en publiant un Métronome puis un Métronome illustré qui ont obtenu un immense succès. Lors d’entretiens télévisés et radiophoniques, il a souvent exprimé sa conviction royaliste. Nous l’avons reçu le 25 mai dernier aux Mercredis de la NAR, où s’est déroulée une conversation dont nous relatons ici les principaux moments.

La salle est pleine, l’entrée aussi, si bien qu’on adopte la disposition des grands soirs : Lorànt Deutsch s’assoit sur la table du conférencier et Bertrand Renouvin se place à côté du lui pour animer le débat. L’ambiance n’a rien de particulière : ce n’est pas une vedette qui se produit sur notre petite scène – personne ne songe à prendre une photo – mais un invité qui vient exposer ses idées et mener une discussion, cette fois sur la France, la politique et l’histoire.

Vastes sujets, mais brève réflexion introductive. Lorànt Deutsch exprime sa conviction quant à la monarchie : « le pouvoir suprême attribué à une dynastie royale, c’est la meilleure garantie possible contre les ambitieux » – qui sont légion en cette période de précampagne présidentielle. C’est aussi la possibilité d’une défense de l’intérêt général, donc du peuple lui-même. Mais aujourd’hui, nous vivons une régression dont l’acteur, amoureux de Paris, donne un exemple concret : « Regardez les tours de la Défense : ce sont les forteresses où sont les seigneurs modernes. Ils ont des privilèges, par exemple de laisser leurs tours allumées toute la nuit alors que tout le monde parle de faire des économies d’énergie ». Et de préciser : « Je ne suis pas partisan de l’aristocratie, je pense que nous sommes tous égaux mais moi qui suis sans famille du côté de mon papa, je me retrouve avec une généalogie qui est celle des rois de France. Nous sommes les héritiers d’un merveilleux pays que les rois de France et leurs successeurs ont fabriqué peu à peu et que nous avons le devoir de protéger… On ne se rend pas compte à quel point la France sous la monarchie d’Ancien Régime, a été un miracle de cohésion : c’étaient des gens tellement différents et qui auraient dû s’opposer ! Pourtant ils ont pu vivre ensemble sous l’égide d’un roi ».

Pascal Beaucher intervient pour souligner la singularité de la monarchie française par rapport à l’anglaise. « L’Angleterre est un régime aristocratique : il y a la nobility et la gentry, qui ont une emprise territoriale très importante alors que la Révolution française a cassé les grandes propriétés nobiliaires. L’Angleterre est un domaine tenu par le roi d’Angleterre, la France a été une République bien avant la Révolution française parce que la monarchie a créé une maison commune. Il y a une spécificité française ». Bertrand Renouvin souligne pour sa part que ces spécificités nationales n’empêchent pas la monarchie royale d’être la même partout en Europe par la fonction symbolique qu’elle assure de manière satisfaisante puisque les peuples des différentes nations ne souhaitent pas la remplacer par une présidence.

On en vient tout naturellement à une question sur la manière dont le royalisme de notre invité est perçu dans son milieu professionnel. La réponse est sans détours : « Je suis pris beaucoup plus au sérieux depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. La majorité d’entre nous reste convaincue que 1793 est le plus beau moment de la Révolution. Il est difficile de faire comprendre que [dans la période révolutionnaire] les décisions vraiment positives ont été prises sous l’égide d’un roi ». Mais Lorànt Deutsch veut éviter d’être L’Acteur royaliste, estampillé comme tel et assigné à ce rôle par les médias : « Du point de vue de l’engagement politique, il faut éviter de se prendre trop au sérieux : je ne veux pas me servir de mon métier pour avancer des idées, j’évite la confusion des genres. Nous restons des clowns ! ». Et de souligner que la conviction royaliste ne conduit pas à faire un travail partisan : Métronome évoque toute l’histoire et ce livre est inspiré par une seule intention servir notre histoire. C’est pour cela que ce livre rencontre un grand succès dans les publics les plus divers et les plus contrastés. D’ailleurs, « j’aime toutes les cicatrices de notre histoire, j’aime aussi Napoléon qui a provoqué beaucoup de gloire et beaucoup de souffrance. Une dynastie a tenté d’en remplacer une autre et cette tentative a été très coûteuse pour la France ». Une question sur le bloc révolutionnaire relance la discussion sur 1789 et la suite. Sur ce point, Lorànt Deutsch récuse la démonstration de la monarchie par la négative : « il n’y a pas besoin de justifier la monarchie par les violences révolutionnaires : on constate qu’il y a un échec de la Terreur révolutionnaire et de la violence bolchevique. La Révolution n’est pas un bloc : il y a dérive vers la dictature avec Robespierre. » 1789 ne se conçoit pas sans Montesquieu et Rousseau, mais Louis XIV porte aussi sa part de responsabilité – et Bertrand Renouvin vient souligner ce point en rappelant ce que beaucoup d’historiens qui furent les invités des Mercredis tiennent pour acquis : l’absolutisme a trop retardé l’institution d’une représentation nationale.

C’est Lorànt Deutsch qui ramène le débat sur les questions d’actualité : « Une monarchie constitutionnelle résoudrait le problème de la compétition, qui descend au niveau de la Star Academy entre les présidentiables… On fait et on défait : la fonction suprême est mise en cause. Il y a une politique-spectacle qui atteint en ce moment son point culminant : on a un président qui est marié avec une chanteuse ! Dans la presse, le jeu est de détruire les hommes politiques. C’est tout à fait préjudiciable car c’est la fonction politique qui est finalement mise en cause. La téléréalité se diffuse à tous les niveaux de la société, même au plus haut niveau du pouvoir. »

Cette critique amène une question sur le film La Conquête, qui met en scène Nicolas Sarkozy et que Lorànt Deutsch juge très significatif : « j’admire Denis Podalydès mais là encore nous sommes dans la politique-spectacle : on n’attend pas que le président ait quitté le pouvoir, on ne prend plus la moindre distance : on pense et on agit dans l’instant ! On n’est plus dans la réflexion politique, on est dans le réflexe ! » L’acteur ne pouvait éviter une question sur l’avenir de la langue française, qui ne l’inquiète pas outre mesure : « je suis très confiant. C’est la langue qui nous constitue, autrefois tous les Français ne parlaient pas français mais ils arrivaient à se comprendre. On a codifié notre langue, puis on l’a magnifiée au Grand Siècle. Mais la langue est mouvante et j’aime l’argot ! Si le libre échange devient intégral, on peut sans doute arriver à la perte du français mais la mondialisation va se défaire et la langue française sera préservée – même si le retour sur soi est parfois quelque chose de dangereux. » À ce propos, Lorànt souligne l’importance du droit du sol : « on arrive de l’étranger, on s’installe en France, on devient Français et on trouve tout de suite une famille, une dynastie qui carne l’ensemble de l’histoire de France. »

Lorànt Deutsch insiste sur le moment de bascule que nous sommes en train de vivre : « il est vrai que les citoyens-du-monde sont anglicisés mais il n’y pas un pays en Europe qui parle la même langue. Et il y a toujours un cinéma français même si l’exception culturelle est ébranlée. » « L’anglais est une langue très expressive, on peut s’exprimer en peu de mots – d’où le succès de cette langue. Le français est une langue analytique : il faut beaucoup de mots pour dire ce que nous avons à dire. L’appauvrissement est cyclique : mon père et moi nous parlons l’argot de Céline. Il y a l’envie de retourner à la langue classique, chez les Français de ma génération : ils veulent se réapproprier la langue française. La langue anglaise ne me dérange pas : elle est pleine de mots français en ion et puis avec la devise Dieu et mon droit il n’y a pas de souci à faire ! Un comédien comme Djamel bouleverse magnifiquement les mots et d’ailleurs les jeunes utilisent moins de mots anglais que de mots arabes : ma nièce qui a quinze piges et qui habite à La Baule ne dit pas qu’elle est énervée : elle dit qu’elle est zaf… »

On en revient à la monarchie avec une question sur le droit divin. Lorànt Deutsch donne sa position personnelle : « Tout en étant croyant, catholique, je suis content de vivre dans un pays laïc. Pour moi, on ne tient pas son pouvoir de Dieu, on le tient des Français » ce qui a été reconnu après la révolution de 1830 : Louis-Philippe est « roi des Français ». Et d’ajouter que dans la monarchie « ce n’est pas l’homme qui fait le principe. C’est le principe qui fait l’homme ». Mais le principe, ce n’est pas le roi de droit divin invoqué par les partisans de Luis Alfonso de Bourbon qui se pose en roi catholique par référence nostalgique à l’ancien monde dont la Révolution française a marqué le terme.

Une brève discussion s’engage sur le cas de Luis Alfonso de Bourbon qui, souligne Pascal Beaucher, « n’appartient pas à la famille royale espagnole ; ni à aucune autre famille royale d’ailleurs » tandis que Bertrand Renouvin rappelle que la légitimité royale repose sur trois principes indissociables : le droit de succession, le service rendu et le consentement populaire. Quant au service rendu, les descendants de Louis-Philippe n’ont cessé de participer à la vie de la nation, même en exil. Le défunt comte de Paris s’est engagé dans la Légion étrangère en 1940, un de ses fils le prince François est mort pour la France en Algérie, son fils aîné, alors comte de Clermont, officier de l’Armée française, a combattu en Algérie et le prince Jean a fait son service militaire dans notre armée.

La réunion se termine par une discussion à plusieurs voix sur les fondements du pouvoir politique. Dans notre France laïque, pour un mouvement politique comme la Nouvelle Action royaliste qui adhère pleinement au principe de laïcité, le pouvoir trouve son fondement dans la raison politique, selon l’idéal de Res publica, du Bien commun. Cela n’empêche pas un croyant de se référer à la tradition juive et à la tradition chrétienne du pouvoir : comme toute la Création, le pouvoir des hommes n’existe que par la permission divine et, de ce point de vue théologique, un président de la République est de droit divin… Mais les hommes ont pleine liberté pour choisir leur gouvernement : il n’y a pas de préférence juive, ni de préférence chrétienne pour la monarchie. Les croyants doivent reconnaître et respecter le pouvoir politique s’il ne contredit pas les principes premiers de l’éthique religieuse. Lorànt Deutsch est d’autant plus à l’aise dans ce débat qu’il fit, à l’université, de brillantes études de philosophie…

***

Article publié dans le numéro 995 de « Royaliste » – 2 juillet 2011.

Lorànt Deutsch, Métronome, Michel Lafon, 2009 ; Métronome illustré, Michel Lafon, 2010.

 

 

Partagez

0 commentaires