C’est déjà trop. Le principal acteur de la vie politique ne s’est pas prononcé, la campagne électorale n’est donc pas commencée sauf pour les deux candidats qui se disputent les suffrages de la droite – et voici que la direction socialiste commence à prendre des initiatives inquiétantes. Comme d’habitude, c’est en toute bonne conscience et avec le souci de bien faire, mais dans l’oubli des effets pervers des intentions exprimées.
La bévue des dirigeants socialistes s’étale sur les murs : c’est l’affiche de la « génération Mitterrand », largement commentée par la presse et expliquée avec une complaisance obscène par le publicitaire Séguéla. Pas moins d’un « point de vue » du Monde, d’ordinaire réservé aux acteurs de la vie publique, pour dire la difficulté de la conception et l’issue géniale de la méditation. Pas moins de cinq millions de francs pour « communiquer » aux Français cette symbolique de bazar, au risque de fausser ou de compromettre la relation simple et paisible qui s’est nouée entre le président de la République et une majorité croissante de citoyens. Qu’importe. M. Jospin et ses compères éprouvent le besoin irrépressible de montrer qu’ils existent et qu’eux seuls savent définir concepts, valeurs et références.
EXCES
Eux seuls savaient, au temps du Programme commun, comment rompre avec le capitalisme et changer la vie. Que de leçons péremptoires avant la prise du pouvoir, qui aboutissent sept ans plus tard à des « propositions » dont la médiocrité est reconnue au sein même du parti ! Pauvre Parti socialiste, qui ne cesse d’osciller entre !’excès et le défaut… Souvenons-nous. En mai et juin 1981, affectant d’ignorer que la majorité présidentielle dépassait largement l’électorat de gauche, l’appareil socialiste a trouvé tout naturel de se comporter comme en terrain conquis. Tout pour le parti, disait M. Poperen, qui était alors chargé des élections. A l’automne de la même année, faute d’avoir compris la nature, le sens et les limites de sa double victoire, c’est ce même appareil qui, par ses outrances verbales, a mis fin à un « état de grâce » qui ne le touchait pas.
N’oublions pas non plus l’aveuglement de la direction socialiste dans l’affaire de !’école, son militantisme revanchard, sa méconnaissance des véritables enjeux, qui ont retardé l’apaisement nécessaire et approfondi la fracture entre le Président de la République et une partie du pays.
A cette volonté hégémonique, à ces excès dogmatiques et sectaires, ont succédé d’étonnants reculs et d ‘inquiétantes carences : soumission au « pragmatisme », confession masochistes des erreurs puis annonce publique, plusieurs mois avant l’échéance, d’une défaite face à laquelle le Parti socialiste ne songeait plus qu’à préserver un nombre déterminé de sièges. D’où son opposition au rassemblement de toute la majorité présidentielle, à la présentation et à la représentation de l’ensemble de ses composantes. Tous les gains au parti dans la victoire, tous les restes au parti dans la défaite ! Le résultat, en mars 1986, a été à la mesure de l’ambition.
CRAINTES
Qu’on ne voie pas, dans ces critiques aujourd’hui brièvement rappelées, la marque d’une hostilité systématique. Les militants socialistes ne sont pas en cause ni ceux qui, parmi leurs dirigeants, ont acquis ou confirmé leur sens de l’Etat dans l’exercice de responsabilités ministérielles. Ce n’est pas non plus !’existence du Parti socialiste qui est contestée, mais seulement la logique de l’appareil, sa prétention au monopole, et par conséquent son attitude d’exclusion à l’égard de tous ceux qui ne sont pas dûment estampillés. A plusieurs reprises déjà, cette logique a produit des effets inverses aux objectifs recherchés et aux principes exprimés. Nous redoutons de la subir à nouveau, dans les
mois qui viennent. D’où la courte supplique que j’adresse à Lionel Jospin :
Monsieur le Premier secrétaire, l’élection présidentielle n’est pas l’affaire des partis politiques. Pour être élu, un candidat doit se distinguer de sa famille politique originelle, rassembler au-delà de celle-ci, puis, une fois désigné, oublier ses anciennes querelles et s’élever au-delà de lui-même. Nous pouvons, pour diverses raisons, discuter ce système qui exige, du candidat et du chef de l’Etat, des conditions difficiles à remplir. Si François Mitterrand décide de se représenter nous aurons la chance, vous socialistes, nous royalistes, de voter pour un candidat qui a déjà fait ce chemin politique et personnel. Ne cherchez pas à l’annexer. Ne cherchez pas à le récupérer.
François Mitterrand n’est plus le chef de votre parti, et il n’est pas seulement le candidat de la gauche. Si le président de la République bénéficie aujourd’hui d’une telle popularité, c’est qu’il a su, hors des logiques et des médiations partisanes, assumer remarquablement sa fonction et tisser un lien affectif avec le pays. Ne gâchez pas cette popularité par excès de zèle. Ne permettez pas que le soutien à François Mitterrand dégénère en une idolâtrie qui risque d’écœurer les Français et qui révèle une nostalgie de la filiation et un fantasme monarchique jusque-là inavoués. Surtout, ne détruisez pas ce lien entre le Président et les Français, en laissant supposer que sa victoire serait celle des socialistes, l’occasion pour eux de reprendre le pouvoir. D’autres hypothèses peuvent être envisagées, d’autres solutions sont possibles. Ne les compromettez pas.
Acceptez enfin, monsieur le Premier secrétaire, que des citoyens votent comme vous pour des motifs différents des vôtres, et daignez vous interroger sur ce fait. Puisse cette réflexion vous conduire à une tolérance qui ne serait plus seulement verbale et exprimerait, mieux que par le passé, votre conviction démocratique.
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Editorial du numéro 486 de « Royaliste » – 4 février 1988
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