La crise ! La Crise ! Mais connaissons-nous vraiment la crise à laquelle nous sommes confrontés ? On parle de crise politique. On évoque une crise de régime comme s’il s’agissait d’une crise politique de haute intensité. On bavarde même sur une crise des institutions républicaines… Essayons d’y voir clair.
Dans les médias, les mots volent dans tous les sens, vidés de leur signification. Il s’agit de faire des effets de manche pour toutes sortes de motifs étrangers au raisonnement politique. Le sentiment de la crise se renforce, au risque d’aggraver l’angoisse collective. Il est urgent de retrouver son sang-froid en s’appuyant sur de classiques définitions.
Le régime politique fait référence au mode d’organisation des pouvoirs publics et à la manière dont ils sont exercés. En d’autres termes, c’est la forme institutionnelle du pouvoir et la pratique politique qui en procède.
Une crise de régime, c’est par conséquent la mise en cause radicale de ce régime et la volonté de le remplacer par un autre type de régime. Notre régime politique, sous la IIIe comme sous la IVe et la Ve République, c’est la démocratie parlementaire. Le régime parlementaire peut se dégrader en régime d’Assemblée : l’équilibre des pouvoirs est rompu au profit du pouvoir législatif, qui domine le pouvoir exécutif. C’est ce qui s’est produit sous la IIIe et la IVe République, dans lesquelles l’instabilité ministérielle n’a cessé de se renforcer en raison des rapports de force au sein de la Chambre des députés. Le régime parlementaire peut aussi se stabiliser sous la forme d’une monarchie élective, comme ce fut le cas entre 1965 – année de la première élection du président au suffrage universel – et le passage au quinquennat en 2000.
Nous sommes quant à nous favorables à la monarchie royale, conçue comme accomplissement de la monarchie élective : dès lors que le chef de l’Etat est désigné selon un ordre dynastique résultant d’une loi de succession inscrite dans la Constitution, le principe d’arbitrage énoncé à l’article 5 (voir plus bas) peut devenir effectif puisque le chef de l’Etat n’est plus l’élu des uns contre les autres. Dès lors, la monarchie royale peut rééquilibrer les relations entre les pouvoirs. Le chef de l’Etat n’est plus un acteur du jeu politique mais le garant de celui-ci et le Premier ministre peut effectivement déterminer et conduire la politique de la nation dès lors qu’il dispose d’une majorité parlementaire.
Cela signifie que nous ne souhaitons pas changer de régime mais réaliser un changement dans la symbolique politique, non un changement de symbolique (voir l’éditorial). Il s’agit d’apporter une solution institutionnelle à l’un des problèmes majeurs de la démocratie parlementaire dans notre pays – celui du chef de l’Etat – dans le respect de la Constitution de la Ve République. Celle-ci pourrait être réformée à la suite d’un référendum portant sur le mode de désignation du chef de l’Etat. La République en tant que telle serait rigoureusement respectée dans ses principes fondamentaux, inscrits dans le Préambule de 1958.
Il y a crise de régime quand les faiblesses et les impasses institutionnelles font naître une volonté radicale de changement. C’est le cas lorsque Louis-Napoléon Bonaparte établit sa dictature par le coup d’Etat du 2 décembre 1851. C’est également le cas lorsque Pierre Laval organise le coup d’Etat du 10 juillet 1940 qui installe sous la fiction de “l’Etat français” une autorité de fait qui viole tous les principes de l’Etat de droit. La crise de mai 1958 est différente. Il y a bien crise de régime puisque des forces politiques opposées prétendent changer radicalement les institutions. D’un côté, le Parti communiste et la CGT ont pour projet explicite – mais plus qu’hypothétique – l’abolition de l’ordre bourgeois et l’avènement de la dictature du prolétariat. De l’autre côté, certains militaires et des mouvements d’extrême droite envisagent une dictature militaire sur le mode franquiste ou un régime autoritaire à la manière de Salazar au Portugal. La prise du Gouvernement général à Alger le 13 mai 1958 semble annoncer le largage de parachutistes sur Paris… Or la IVe République, dans sa faiblesse, recèle une force : le chef de l’Etat a été peu à peu rétabli dans sa fonction symbolique – dans sa capacité à incarner l’unité de la nation – et le président René Coty bénéficie d’une très large popularité. Alors que le pays est au bord de la guerre civile, il fera appel au “plus illustre des Français” qui sauvera la démocratie parlementaire et la République en faisant adopter par référendum une nouvelle Constitution.
Sommes-nous aujourd’hui dans une crise de régime ? La réponse est négative
Personne ne veut détruire la République, en dehors de groupes ultras. Ceux-ci reprennent d’ailleurs l’argumentaire du “prétendant” espagnol qui est avant tout fidèle à l’héritage de Franco. Rappelons, pour la centième fois, que la République n’est pas un régime, mais l’idéal de la raison politique : le gouvernement de la nation selon l’intérêt général, qui s’appuie sur un corps de principes inscrits dans la Déclaration de 1789 et dans le Préambule de 1946. La République ne s’oppose pas à la monarchie, mais à l’Empire, pour ce qui concerne l’extérieur, et à l’oligarchie dans le domaine intérieur.
Les institutions de la Ve République résistent aux aléas politiques.
Notre Constitution a résisté aux périodes de cohabitation plus ou moins conflictuelles, entre 1986 et 1988, entre 1993 et 1995, entre 1997 et 2002. Contrairement à ce qui a été souvent affirmé, l’existence d’une forte majorité parlementaire à l’Assemblée nationale n’est pas consubstantielle à la Ve République. Bien au contraire, les rédacteurs du texte de 1958 pensaient qu’il fallait remédier à l’instabilité résultant du jeu des partis par un encadrement juridique. La Ve République a donc repris la logique de rationalisation du parlementarisme. Celle-ci ne se réduit pas à la mise en œuvre de l’article 49-3, qui a la plus souvent permis de maîtriser les frondes parlementaires, car le succès d’une motion de censure suppose la coalition des groupes d’opposition. Dans un article récent, Benjamin Morel rappelait que, même en renonçant au 49-3, le gouvernement dispose de plusieurs autres moyens : l’article 40 interdit de présenter des amendements créant de nouvelles charges publiques non compensées ; le vote bloqué (article 44-3) autorise le gouvernement à présenter au vote un texte contenant les seuls amendements qu’il accepte ; le Sénat joue un rôle très important par le jeu des Commissions mixtes paritaires ; des ordonnances budgétaires sont possibles à certaines conditions.
Bien entendu, la Constitution de la Ve République est critiquable sur de nombreux points. Nous avons publié nos propres critiques et propositions au fil des septennats et quinquennats et repris les analyses de constitutionnalistes – récemment celles de Lauréline Fontaine sur le Conseil constitutionnel. Nous avons débattu avec Benjamin Morel des réformes qui pourraient être envisagées pour éviter une dérive illibérale. Nous avons aussi dénoncé le mythe de la “VIe République” dont nous savons seulement qu’elle procèderait d’une Constituante – qui ne suivrait pas nécessairement les consignes de Jean-Luc Mélenchon.
Le débat sur les institutions reste ouvert mais, hors slogans, personne ne propose un régime fondamentalement différent. Comme naguère le Front national, le Rassemblement national ne se pose pas en adversaire de la démocratie parlementaire et il n’a jamais visé la destruction de la Ve République. Mais si ce parti obtenait la majorité absolue lors des prochaines élections législatives, puis parvenait à faire élire sa candidate ou son candidat à la prochaine présidentielle, la crise politique gagnerait évidemment en intensité.
Comme toute crise politique, celle que nous vivons a plusieurs causes et de multiples effets. Au mépris de la lettre de la Constitution, le septennat permettait une dérive présidentialiste lorsqu’il y avait pleine cohérence entre le président de la République, le Premier ministre et l’Assemblée nationale. Cette dérive était cependant freinée par les conflits entre le président et le Premier ministre, comme par les contradictions au sein de la majorité parlementaire. L’adoption du quinquennat a provoqué un hyper-présidentialisme paradoxal : la fonction présidentielle a disparu et c’est un super-Premier ministre, tel Nicolas Sarkozy, qui a dirigé le pays. Cette phase a culminé dans l’hyper-présidentialisme “jupitérien”, par lequel Emmanuel Macron a voulu jouer tous les rôles, y compris ceux des principaux ministres.
Mis en difficulté par le résultat des élections législatives de 2022, l’hyperprésident a perdu le contrôle de la vie politique après la dissolution manquée de juillet 2024. Reflétant les divisions du pays, les trois blocs plus ou moins cohérents qui composent l’Assemblée nationale provoquent une forte instabilité puisque, comme sous la IVe République, les extrêmes refusent toute participation à un gouvernement – hier les gaullistes et les communistes, aujourd’hui les mélenchonistes et les lepénistes. Reste un faux bloc central, composé de partis (PS, EELV) qui hésitent entre soutien et opposition, d’entrepreneurs individuels qui veulent garder leur circonscription, de petites féodalités menées par un aspirant à la présidentielle, par exemple Edouard Philippe, Gabriel Attal ou Laurent Wauquiez. Enfin, chacun peut observer que la succession accélérée des élections présidentielles a stimulé les ambitions, hystérisé les rivalités politiciennes et provoqué des phénomènes d’addiction à la présidentielle dont Jean-Luc Mélenchon présente la forme la plus aigüe. Si l’on sort de la pathologie, on constate que la crise politique est une crise de l’oligarchie : quelques-uns dirigent, pour le compte de grands intérêts privés, et sont incapables de sortir des impasses provoquées par le néolibéralisme.
Quels que soient les rebondissements à venir, une conclusion immédiate s’impose, qui ne demande aucune dépense supplémentaire, aucune réforme constitutionnelle, mais seulement de la volonté. Il faut rétablir la fonction présidentielle telle qu’elle est définie par l’article 5 de la Constitution : Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. /Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords de Communauté et des traités.
Un homme d’Etat, ça s’oblige à respecter la Constitution. Encore faut-il avoir la volonté de s’obliger – et savoir ce que c’est que la volonté. A ces deux égards, le doute grandit.
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Article publié dans le numéro 1309 de « Royaliste » – 19 octobre 2025
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